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Michel Poirier (responsable de la rubrique "Histoire de l'Eglise")

Je me demande si Bernanos n’est pas un peu injuste à l’égard de Martin Luther.

Certes, je suis bien persuadé, Bernanos a raison là-dessus, que c’est de l’intérieur, en souffrant s’il le faut, que l’on est le plus fécond. Lors des censures injustes de la fin du règne de Pie XII, les plus grands des théologiens persécutés, les De Lubac, Congar, Chenu, etc. n’ont pas claqué la porte, ils ont accepté le retrait et le silence qui leur étaient imposés, sans se renier mais sans se révolter, et leur présence a été pour beaucoup dans tout ce qu’il y a eu de positif à Vatican 2. Que reste-t-il de ceux qui sont partis alors ? On ne connaît même plus leurs noms.

Mais Luther a-t-il eu le choix ? Lui a-t-on laissé le choix de faire ce qu’ont fait Congar, De Lubac, etc. ? Il me semble bien que lors des débats de 1518-1521, on lui a demandé tout simplement de se rétracter, de renier publiquement ce qu’il avait écrit. Pie XII a eu la sagesse de ne pas exiger cela, et de se contenter de faire mettre hors-jeu ceux dont il jugeait (à tort) qu’ils étaient dangereux. Est-ce claquer la porte que de ne pas se résigner à dire, contre sa conscience : « ce que j’avais écrit est erroné » ? Il a été mis dehors.

Bernanos voit dans Luther avant tout un indigné et un réformateur obstiné. Il participait certes à ce grand appétit de réforme qui se manifestait un peu partout dans l’Église à cette époque, il s’est indigné comme d’autres contre les scandales, il a parfois (c’est un catholique qui écrit cela) jeté le bébé avec l’eau sale du bain, mais il me semble que ce qui l’a poussé en avant, c’est d’abord autre chose : le désir d’épargner aux autres les affres par lesquelles il était passé lorsqu’il tentait d’assurer son salut par l’accumulation d’œuvres méritoires, et constatait l’impossibilité pour l’homme pécheur de satisfaire la justice de Dieu, jusqu’au jour où, grâce à saint Paul et à l’Épître aux Romains, il avait pu comprendre que sa tentative était vaine, que l’homme ne peut se rendre juste, qu’il peut seulement accueillir dans la foi la justice que Dieu lui confère gratuitement par les seuls mérites du Christ. Telle est, indemne encore des durcissements intervenus ensuite, l’intuition fondamentale qui a été ratifiée dans l’accord luthéro-catholique sur la justification signé à Augsbourg en 1999. Pouvait-il y renoncer ?