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Marie-Reine Mezzarroba M., le 8/1/2014
Désireuse de réfléchir sur ce projet de modification de la loi Leonetti, je viens de lire l'article de François Larue : plein de délicatesse,
d'expérience, de réelle attention pour cette vie précieuse qui échappe à toute emprise, qui échappe à notre savoir, à notre imaginaire, cette vie qui
reste un mystère. Les expériences qu'il relate sont telles que je peine à comprendre comment il en arrive à sa conclusion.
Pour ma part, je suis convaincue que rendre légal le droit de tuer (je sais que ma manière de parler est brutale) est une manière de signifier qu'il
est bon aux yeux du corps social que certains meurent parce qu'ils ne méritent plus de vivre, parce qu'ils dérangent notre bon ordre social. La loi
renforcerait alors l'obligation intérieure que se fait chacun de correspondre à l'image qu'il a de lui-même et à se suicider quand il la perd, alors
que le rôle de la loi est précisément le contraire ; son rôle est de dire à chacun : "il est bon que tu sois".
Que l'interdit de tuer reste un interdit est une balise essentielle. Si ce n'est plus interdit, c'est donc que c'est permis et même préférable puisque
l'on s'est donné la peine de modifier la loi.
L'interdit ne sert pas à condamner mais à baliser.
J'avais tenu le même discours dans notre échange à propos de l'avortement.
Permettre à quelqu'un de parler, de formuler son angoisse, ses souhaits - en ne le prenant jamais "au mot" car le prendre au mot serait la meilleure manière de
ne pas l'entendre, en étant à l'écoute du désir vivant qui cherche à se dire dans le dédale de l'imaginaire - n'est possible que là où celui qui écoute n'est
pas pris dans l'imaginaire (du patient ou du sien propre).
Je sais bien qu'il y a des situations tout à fait extrêmes où l'application rigide de la loi n'est plus que dureté de cœur voire cruauté. Mais ce n'est pas
l'exception qui fait la règle.
Si vous vouliez ouvrir le débat, le voilà ouvert !
Michel J., le 8/1/2014
@ Marie-Reine : "Que L'interdit de tuer est une base essentielle" : Nul ne songe à le nier.
La question - à laquelle je n'ai pas de réponse - est d'un autre ordre. Comment la loi peut-elle permettre que la parole soit maintenue jusqu'au bout et qu'ainsi
la vie reste humaine ? Une loi qui permet la vie ne vaut-elle pas mieux qu'une loi qui interdit la mort?
Si la parole est paralysée, si elle enferme le malade en lui-même au lieu de l'ouvrir, il n'est pas possible de sortir de l'imaginaire. Si elle est libérée,
le chemin vers la vie est ouvert. Les trois cas cités par la Dr Larue le laissent entendre.
Il ne s'agit pas de "prendre au mot" mais de laisser aux mots leur pouvoir de libérer et de retrouver le désir de vivre.
Trouver une loi qui ne soit pas un fardeau qui entrave la marche mais qui réalise la promesse ("mon joug est léger").
Pas plus que le Docteur Larue, je n'ai de réponse. Mais je trouve qu'une belle question est posée.
Yves G. médecin, le 11/1/2014
Aider un malade à mourir, c’est pour moi lui assurer une fin de vie sinon facile du moins digne de l’être qu’il a été.
Cela n’a rien à voir avec une mort assistée ou provoquée en répondant au désir du malade. J’ai enseigné et dirigé des services hospitaliers et jamais une
mère ne m’a demandé de tuer son enfant au stade terminal d’une leucémie.
Une fois, au chevet d’un cancéreux, comateux, poussant des hurlements réguliers, j’ai dit à la mère et à l’épouse que j’avais les moyens de le calmer mais
que je risquais d’accélérer la fin.
La mère, une vieille paysanne de 80 ans, sans regarder sa belle-fille, m’a dit simplement : "Faites ce qu’il faut faire"...
Nous ne sommes pas des instruments de mort, mais des personnes dont la vocation est avant tout de guérir et au moins de calmer la souffrance. Nous en avons
de plus en plus les moyens.
Il me paraît monstrueux de faire comparaître aux Assises une mère qui a aidé son fils à mourir dans tel cas sans issue, mais tout aussi monstrueux de
légiférer pour faire d’un médecin un agent de mort. Une loi ne pourra que banaliser un acte inhumain.
François Larue, le 11/1/2014
En fait la vraie question est de savoir si une modification législative peut aider dans des situations d'impasse. Est-ce même le rôle d'une loi. J'en discute
régulièrement et je continue de penser que c'est complexe. D'où la nécessite de prendre son temps avant de trancher. Me revient une phrase d'un professeur
de neurologie que je n'ai pas connu mais qui disait : "je ne connais pas la façon de ne pas se tromper mais je sais que la meilleure façon de se tromper
est d'aller vite !".
Annie T., le 11/1/2014
J'ai lu et relu l'article de François Larue. Il a une longue expérience de médecin confronté à la fin de vie de bien des malades.
Moi non, mais je me demande si les médecins ne disposent pas déjà des moyens d'abréger les souffrances voir de raccourcir un peu la vie - sans toutefois pouvoir
accéder au souhait d'un malade d'abréger lui-même ses souffrances et sa vie -?
Je pense à deux "cas" dont j'ai été le témoin impuissant : tout d'abord, une amie souffrant de la maladie de Charcot insupportable pour elle,
épouvantable pour les proches, la mort étant inéluctable. Lorsqu'elle ne pouvait plus respirer, une trachéotomie lui été proposée qu'elle avait refusée
en début de maladie mais qui a été faite tout de même; la nourriture par sonde la faisait ressembler à une machine, sa tête attachée pour qu'elle ne tombe
pas etc... L'horreur. Pourquoi, pourquoi toutes ces souffrances ? On a parlé de sédation mais personne n'a pris de décision. Enfin, elle est morte dans son sommeil.
A ses obsèques, on a parlé de son courage dans ses souffrances ! Pourquoi n'avait-on pu les abréger ? Tout cela se passait à domicile. Quel dialogue
aurait pu être mis en place avec une loi Léonetti revisitée ?
Une autre expérience concerne l'attitude formidable des soignants d'un service parisien de "gériatrie aigue" : une amie âgée se meurt d'une maladie de
Parkinson. Elle souffre physiquement et moralement car elle a un fils handicapé moteur qui vient tous les jours la voir et qui a bien du mal à comprendre que
sa mère va disparaître. Le médecin propose de la morphine à la malade qui refuse car elle a peur de dormir et de ne plus voir son fils. Elle préfère souffrir ; le
dialogue instauré par le médecin entre la malade et son fils a permis à ce dernier de comprendre, de cheminer (pendant 10 jours) et à sa mère d'accepter
la proposition du médecin. J'ai beaucoup admiré l'attitude de l'équipe médicale qui, avec l'aide de l'équipe de soins palliatifs de l'hôpital, a passé beaucoup
de temps à gérer, à choisir le temps restant à vivre pour cette malade, à apporter de la sérénité dans cette fin de vie.
Les soignants disposent donc d'une marge de manoeuvre mais il est souvent trop tard pour parler. La loi Léonetti revisitée ne pourrait-elle permettre d'anticiper
une prise de décision pour abréger des souffrances inéluctables ?
Michèle S. le 13/1/2014
médecin ayant travaillé en hôpital et aumônier dans un service d'enfants
Quelques flashes à partir de l'article de François Larue :
- La loi Leonetti ne serait plus la même loi, avec une dérogation vers le suicide, même pour quelques cas. Cette loi est
super ! Même imparfaite !... mais ce sera toujours le cas. Gardons là ainsi.
- Dans le dernier cas presenté, je ne saisis pas comment une aide au suicide aurait permis une Parole ; le silence, la fermeture,
ne sont-ils pas des signes de l'angoisse, ne sont ils pas des... paroles ? Est ce qu'il faut - est ce qu'on peut toujours - supprimer
les angoisses (les questions, les relectures, etc.) des fins de vie ? Les accompagner, aider à les traverser, les alléger, sûrement
nous le pouvons. Je ne peux que dire mes petites experiences : le côté riche, apaisant, des échanges dans des mini-comités d'éthique
où la parole de chacun était librement entendue à propos de la fin de vie d'un enfant à l'hopital. J'ai encore un livret intitulé
"Demander la mort de son enfant"... travail d'un centre d'éthique clinique d'un hôpital, à propos de trois cas ; travail remarquable.
- Comme François, je pense qu'il est bon de toujours porter ces questions avec d'autres, de ne pas cesser de chercher des réponses
sachant très paisiblement que nous n'aurons pas la réponse attendue. Peut-être recevons-nous d'autres réponses, pas là où on
le pensait, à nous de les voir ! Non ? Pour moi, pouvoir avoir une conviction, en conscience, la dire, recevoir celle d'autres,
décider à partir de cet échange d'une attitude thérapeutique, se revoir, dire ses doutes, ses assurances, etc... tout cela me dit
quelque chose de très grand chez l'être humain !
Marité Delalande, le 17/1/2014
Merci François pour cet article qui m’a touchée… j’ai aimé ce que vous dites sur :
- l’ambivalence du désir de mourir et celui de vivre, si proches et parfois si confondus,
- les dangers des positions tranchées militantes, qui heurtent, caricaturent, réduisent une démarche infiniment complexe,
- le corps qui parfois exprime l’au-delà de la parole,
- l’éminente et impérieuse nécessité de cette parole qui fonde notre commune humanité,
- le questionnement, pour chacun, qui ouvre un débat, qui suppose un regard à distance des émotions, des précipitations, des confusions.
Comment prendre soin de l’autre ? Comment entendre une parole au plus près de ce qu’elle exprime de demande de vie, de mort ? Comment prendre soin de la vie
jusqu’au bout de la vie ? Je n’ai pas de réponse mais je résiste, pour l’instant, à l’idée de vouloir et pouvoir maîtriser toutes les forces et les fragilités de cette vie.
Maurice Buttin, le 28/1/2014
Je ne peux en tant que juriste donner un point de vue particulier, mais en tant " qu'homme de bonne volonté ".
Oui, la loi Léonetti, mérite d'être modifiée, complétée, ne serait-ce que pour éviter une décision comme celle rendue par le tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne (Marne), le 16 janvier dernier sauf erreur, où une famille se déchire sur le dos d'un parent, Vincent Lambert,
très largement en fin de vie, n'en déplaise au Tribunal !
Je crois, en effet, très important, s'il est encore possible, le dialogue entre le patient, son entourage et le, ou plutôt les, médecins.
Si le patient ne peut plus s'exprimer, c'est en conscience que la famille, dûment informée par le corps médical de la situation,
devrait pouvoir donner son accord pour l'arrêt de soins devenus de facto inutiles. Dans ce cas, si le contraire était retenu, on pourrait parler à mon avis d'abus de soins palliatifs,
voire de fausse maintien en vie.
Je sais combien notre sainte mère l'Eglise est stricte sur le sujet, mais ne serait-il pas temps qu'elle combatte davantage, urbi et orbi, toutes les guerres d'ici ou là,
où par exemple, qu'elle conteste l'occupation d'un peuple par un autre (les Palestiniens en l'espèce occupés par Israël) occupation qui entraîne tant de morts pour un oui ou un non,
et qu'elle affirme, dès lors, que l'on ne peut mettre sur le même pied l'occupant et l'occupé, et que l'on doit par suite refuser l'emploi de " terroristes " par le premier pour évoquer les seconds,
qui sont des résistants à l'oppression/occupation qu'ils subissent.