Comment faire société aujourd'hui ?
Jean-Luc Rivoire


Avocat, spécialiste du droit de la famille.
Extrait d'un article en préparation pour le site "Dieu maintenant"

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Marcel Gauchet, dans « le désenchantement du monde » soutient que le système d’avant les Lumières, est un système « théologico-politique » : un système pyramidal et hiérarchisé qui fait que toute la société, au sommet de laquelle il y a le roi et Dieu, inclut toutes les microsociétés qui sont prises elles-mêmes dans un fonctionnement hiérarchisé et pyramidal ; la famille, par exemple, est organisée sur ce modèle pyramidal. Ce qui s’est passé au moment des lumières, dit Marcel Gauchet, c’est la fin de la religion. Le christianisme étant la religion de la fin de la religion. Là-dessus, Paul Ricœur déclarait : « Je ne suis pas d’accord avec Gauchet. J’adhère totalement au fait que le théologico-politique est à terre mais je pense que ce qui se joue est la fin du hiérarchique et du pyramidal mais que ce n’est pas la fin du religieux ».

En matière juridique on était persuadé que la loi s’imposait d’en-haut (du roi, de Dieu ou de toute autre instance immuable). Ce fonctionnement est définitivement cassé. Il est vrai que, durant deux siècles, l’Eglise a continué de fonctionner sur ce modèle hiérarchique qui ne pouvait plus marcher : elle a maintenu ce fonctionnement en interne et a tenté de maintenir des sociétés politiques hiérarchiques. Cela a été toute la question du XIXème et d’une partie du XXème. Maintenant tout le monde peut considérer que c’est fini : le droit ne se fait plus comme cela. Et on ne peut que dire « Bravo ! ». Je suis souvent frappé que lorsqu’on fait un constat comme celui-là (« enfin une chose mauvaise qui s’arrête, un système répressif qui ne marche plus ! »), on voit apparaître, en même temps, combien la question « comment faire du droit » est compliquée. Le fait d’avoir supprimé cette manière critiquable de faire du droit ne règle pas la question de comment faire du droit sans cette organisation hiérarchique et pyramidale.

Aujourd’hui, d’un côté, on construit une société hyper-individualiste où chacun dit : « C’est moi qui me fixe mon propre droit. » D’un autre côté, demeurent des manières intellectuelles et idéologiques de fonctionner comme l’institution ecclésiale mais aussi beaucoup d’autres courants qui vont, par exemple, raisonner en termes de « nature ». Comme s’il y avait une sorte de surplomb auquel on pourrait se référer et qui permettrait de fonder le droit. Pour ma part je pense que ce concept de « nature » est suffisamment flou pour être inconsistant : qu’est-ce qui est naturel sans être culturel ?

Mais aujourd’hui, au moins deux difficultés nouvelles apparaissent : celle de la place de chacun au sein de la société (les parents au sein de la famille, le professeur pour l’éducation nationale, le juge, etc. ; la deuxième difficulté est celle des limites à poser pour faire société.

La société ce sont des hommes mais des hommes ensemble. Comment fait-on cet ensemble, c’est tout le problème. C’est-à-dire comment faire société ?

Jean-Luc Rivoire
Pastel de Pierre Menevalle