Le déclin du christianisme
Entretien avec Marcel Gauchet


Télérama n° 3178 (11 décembre 2010)

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Un aspect de votre œuvre concerne la religion. Le déclin du christianisme vous paraît-il inéluctable ?

Rien n'est inéluctable dans l'histoire, et on ne compte plus les morts ressuscités qu'on a enterrés un peu prématurément. Ce qui a disparu dans les dernières décennies, c'est ce qu'il restait du christianisme politique, c'est-à-dire l'ambition du pouvoir religieux d'exercer un rôle d'englobement normatif de la collectivité. A disparu aussi le christianisme sociologique, à l'orée des années 1960 : le christianisme paroissial qui se vouait à l'encadrement des communautés et du cycle de vie. Mais il reste la vitalité de la foi chrétienne. La nouveauté, c'est qu'elle est minoritaire, alors qu'avant elle était le cadre. Cela produit une situation intellectuelle totalement nouvelle : toutes les conditions dans lesquelles s'est défini historiquement le christianisme, sur un plan théologique ou pastoral, ont changé. Mais la place est ouverte pour une réinvention de la foi chrétienne dans sa manière de s'énoncer, dans les horizons qu'elle donne à ses pratiques, dans le rôle qu'elle entend jouer dans la cité. A beaucoup d'égards, tous les éléments sont réunis dans nos sociétés pour une réactivation du religieux, dans de nouveaux rôles très éloignés de ceux du passé.

Mais quel sens revêt votre dialogue avec la religion ?

Le christianisme est quand même la matrice culturelle du monde dans lequel nous sommes, et si l'on n'a pas cette mémoire, je ne vois pas bien ce que l'on peut y comprendre. Par ailleurs, le débat entre laïcs et religieux est derrière nous, sauf pour quelques acharnés. La vraie ligne de clivage, aujourd'hui, passe, au-delà des familles politiques, entre ceux pour lesquels la réflexion sur l'aventure humaine est plus que jamais nécessaire, et ceux qui la considèrent dépassée, pour lesquels la prospérité, l'hédonisme ou une certaine liberté apportent des réponses à tout. Tout laïc que je puisse être, je me sens beaucoup plus proche de l'esprit religieux que de beaucoup de laïcs qui me semblent à la dérive dans une sorte d'inhumanisme spontané, cette pente de nos sociétés à l'incuriosité, l'inculture et à la déculturation. Beaucoup appellent "spirituel" le fait de continuer à creuser le mystère humain. C'est un mot dans lequel je me reconnais tout à fait.

Propos recueillis par Gilles Heuré et Olivier Pascal-Moussellard
Pastel de Pierre Menevalle