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Les morts de nouveaux nés
Témoignage d'une infirmière
Delphine

Certes, la joie est grande de voir jaillir la vie dans un service de néo-natalité. Il arrive pourtant des cas où la naissance est tragique. Face à la mort d'un nouveau-né, le personnel soignant est confronté à des questions éthiques difficiles. Delphine nous fait part de son expérience. Elle a travaillé dans un service de néo-natalité jusqu’à la naissance de ses enfants en 2006.

(4) Commentaires et débats

Dans un service de nouveau-nés

J'ai travaillé dans un service de « néo nat », auprès de prématurés, d’enfants nés à terme mais dont la naissance a été difficile ou périlleuse, de bébés de maman ayant des difficultés d'ordre psychiatrique, addictif, ou sensoriel, des bébés nés sous X, les bébés du déni ou, enfin, les bébés que la Justice nous demandait de protéger… C'est là, dans ces instants où la Vie et la Mort sont en Vérité que j'ai souvent vu la présence de Dieu, bien plus qu'à l'église ou dans la bouche de l’aumônier qui disait, à chaque baptême, souvent célébré lorsque l'enfant bardé de fils et de tuyaux parvenait aux limites de sa courte vie de souffrance : " - Je te pardonne tous tes péchés. " Je sais bien que le baptême nous " enlève " le péché originel, mais la formulation de ce prêtre insinuait bien pire que ça, et j'ai vu des papas fondre en larmes. Le chagrin plus fort que la colère, la détresse accentuée par cette phrase inutile et maladroite. Ces parents cherchaient du réconfort, un souffle de vie, une espérance, et cette phrase les plaçait dans la colère. Comment justifier les péchés d'un bébé de 700 grammes ? Les parents ressortaient encore plus abattus, encore plus perdus.... J'ai essayé de discuter avec le prêtre mais rien n'y a fait…

C'est là que je tentais d'être chrétienne. En dehors de l'écoute des parents et des liens professionnels mais humains tissés avec eux, j'ai toujours donné à l'enfant qui allait mourir la chaleur du creux de mes bras. Il m’était intolérable, que l'on meure seul quand une personne humaine est à côté. Je ne voulais pas que ces petits enfants meurent isolés dans leur couveuse sans pouvoir recevoir un peu de chaleur humaine, un câlin.

Ces bébés si faibles ne pouvaient guère être mis dans les bras de leurs parents ; les médecins avaient peur mais à force de pression, nous avions réussi, avec mes collègues, à ouvrir " les portes des couveuses ". Même très malades, certains ont pu ainsi être "portés" par leurs parents, même si, à l'époque, ils mouraient encore sans leur présence.

Prendre l'enfant dans mes bras au moment où la vie le quittait n'était pas bien perçu... Moi, je m'en moquais car intérieurement, j'accomplissais, non pas mon devoir de chrétienne, mais j’agissais avec mon " âme " de chrétienne ! Je ne remplaçais pas la maman qui n'était jamais présente à cause du protocole, mais je sais combien ces mamans étaient soulagées que leur tout-petit ne soit pas décédé entouré de plastique mais par des bras humains... J'ai fait ce que j'aurais voulu qu'on fasse pour mes enfants.

A propos de l’euthanasie

J'espère que mon témoignage ne choquera personne : Il me faut parler d’euthanasie.
J'ai travaillé avec un chef de service que j'admirais beaucoup car il a su ouvrir la parole, à ses risques et périls. C'est un homme bon, philosophe et humain qui réfléchissait en fonction des autres plutôt qu'en fonction de lui.
Quand j'ai été embauchée dans ce service, il était là, avec la surveillante générale et m'a posé " la " question directement après 2h d'entretien.
- " Quelle est votre position sur l'arrêt des soins ? " Ce sujet m'a toujours interpelée, depuis ma petite enfance jusqu’à maintenant, en passant par mon adolescence, ma super-prof de philo, l’aumônerie et mes études d’infirmière sans jamais pouvoir m’arrêter à une position définitive.
Devant la question posée et les yeux bleus qui me fixaient, je lui ai donné la seule réponse valable à mes yeux pour ce service si particulier :
- " Je ne veux pas vous choquer mais dans mon esprit, la réanimation néonatale est un service où la plupart du temps sont sauvés des enfants qui, ailleurs dans le passé ou ailleurs dans le monde n'auraient jamais eu la possibilité de survivre. Je trouve cela formidable de respecter la vie humaine en lui donnant sa chance, et encore plus admirable de savoir respecter la vie de chaque être humain en sachant quand stopper un acharnement. Je ne pourrai jamais donner la mort mais je serai toujours là pour l'enfant et ses parents jusqu'au bout de sa vie. "
Je tremblais comme une feuille car j'avais été spontanée et très sincère... Le professeur s'est levé, m'a serré la main avec un sourire chaleureux et j'ai été embauchée.

La loi Léonetti, qui est assez bien faite pour les services adultes, ne l'est pas pour « la néonat ». Quand j'entends les gens dire qu'ils sont contre l'euthanasie mais pour l'arrêt des soins, je tente d'expliquer que chaque cas est unique et qu'une loi est bien souvent insuffisante pour cadrer toutes les histoires rencontrées à l'hôpital.

La loi en matière de réanimation " impose " de réanimer tout bébé de 25 semaines d’aménorrhée (5 mois 3 semaines) et/ou 500grammes. Ce qui est bien sûr complètement crétin car le docteur ne descend pas en salle de naissance pour une éventuelle pesée du bébé ou une lecture attentive du dossier maternel mais pour sauver une vie. J’ai été témoin de cet instant où le docteur doit décider de la vie ou de la mort de cette petite " vie " qui hurle souvent de façon étonnante avant de se taire aussi vite ; il ne reste jamais sans rien faire. Il n'utilisera jamais le médoc qui mettrait fin à une vie dont on peut espérer qu’elle a un avenir. Il met tout en œuvre pour réanimer sans pesée ni lecture du dossier ! Il faut savoir que plus le bébé a froid plus cela provoque des hémorragies cérébrales irréversibles, plus on attend pour réanimer et plus on diminue les chances de survie : en « néonat », on commence par réanimer et on avise ensuite.

Quand on dépasse ses affects et ses sentiments pour raisonner juste, on doit prendre en compte la capacité du corps humain à survivre.

Un prématuré, dès son 1er souffle, et malgré son très faible poids, est programmé pour survivre au détriment de beaucoup de ses organes (cerveau compris évidemment mais aussi les appareils digestif et excrétoire). Mais il développe une capacité de résistance impressionnante. La loi Léonetti précise que l'on peut arrêter les soins ; c'est à dire retirer les appareils pour respirer, les drogues qui maintiennent cœur et circulation, ainsi que tout apport nutritionnel tout en maintenant une sédation pour lutter contre la douleur. Avec l’arrêt des soins, la mort arrive très vite. Chez le nouveau-né, prématuré ou non, si on retire la sonde d'intubation, on assiste à une très lente agonie que personne ne souhaiterait même à son pire ennemi. Ils ont une capacité à maintenir une saturation en oxygène faible mais suffisante pour survivre plusieurs jours. Mais on voit alors un petit être humain qui lutte, qui « gaspe », qui s’asphyxie, qui est bleu, qui souffre.

On voit aussi des bébés qui respirent de façon autonome mais dont le cerveau a été victime d'hémorragies irréversibles et dont l'apparence de vie n'est qu'illusion. On sait maintenant que les jambes et les bras d'un prématuré bougent malgré l'hémorragie cérébrale qui les rendra handicapés à vie. Il est très difficile d'expliquer aux parents que leur enfant est hémi et/ou paraplégique et ne marchera jamais, alors qu'il donne l'impression de bouger. Alors, dans le service où j'ai exercé, l'équipe médicale a décidé que l'arrêt de soins, par humanité et respect, serait une euthanasie active. Les bébés, très sédatés, reçoivent un médicament létal par la perfusion, alors qu’ils sont encore intubés ou avec leur appareil respiratoire.

Cela est strictement interdit par la loi, et quiconque ne s'y oppose pas et ne le dénonce pas est susceptible d’une peine d'emprisonnement. Les décisions ultimes ont toujours été collégiales. Tout le personnel s'occupant de l'enfant était convié aux réunions. Rien ne nous était imposé en tant qu'infirmière et ce geste n'était pratiqué que par un médecin sénior. A cette époque on n’était pas autorisé à informer les parents. Il est évident qu’on leur faisait tout connaitre de l’état de leurs bébés. Mais le comment du décès n'était jamais communiqué. C'était un non-dit tacite entre parents et soignants, éloigné de la loi mais si proche de l'humanité de chacun.

Décrire tout le processus d’euthanasie est trop long, mais je peux dire que tout était pris en compte pour permettre à l'enfant de rester digne et aux parents de laisser éclater leur chagrin, leur colère mais aussi leur soulagement. Chaque enfant était lavé, habillé et maintenu dans une couveuse chaude pour que les parents ne câlinent pas leur tout-petit froid. On donnait à ces parents la possibilité d'être un papa et une maman une fois, au moins une fois ! Le bébé était humanisé, il leur était rendu peu de temps mais ce temps valait beaucoup. Câliner son bébé comme tout parent normal... Nous prenions des photos, les empreintes des pieds et des mains, ainsi que tout ce qui était en lien avec leur bébé, y compris le minuscule bout de cordon ombilical ou les cheveux que nous avions dû raser car c'est important dans certaines religions, le tout dans une boîte fermée pour qu'ils décident quand l'ouvrir.

La peine des parents

Et toujours des mots de tendresse pour cette maman qui se sentait coupable de ne pas avoir su mener cette grossesse à terme, des mots d'empathie pour dire les derniers moments et offrir un peu de soulagement : " Votre petit n'est pas mort seul, il était avec moi. " Parfois le décès n'intervenait que plusieurs semaines après la naissance ; nous connaissions alors père et mère, voire même la famille et, bien que placées dans une autre unité, nous nous déplacions à la demande des parents.
Le lien tissé avec eux était professionnel mais bien loin d'être inhumain.

Je n'ai jamais pleuré la mort d'un enfant. J'ai éprouvé de la tristesse bien sûr car il faut savoir que la néonat, c'est 80% de fécondation in vitro... Cela signifie des couples dont le désir d'enfant est si fort que souvent il détruit tout quand il y a " échec ". Les parents que nous rencontrions en étaient souvent à leur 3ème, 4ème voire même plus FIV. Alors, quand la maman accouche prématurément et que l'enfant décède, cela sonne malheureusement souvent la fin d'un couple si c’est après d'autres échecs. Je peux même dire que le parcours des parents, quand leur enfant survit, génère des clivages trop contraignants et si profonds qu'un divorce n'est pas rare 1 an ou 2 ans après la sortie du bébé... Une précision encore : les bébés prématurés sont souvent victimes de violence de la part des parents, j'ai connu 3 bébés qui sont décédés sous les coups de leur papa…

On vante toujours les progrès de la médecine de la reproduction mais on ne prévient pas assez les couples des difficultés qu'ils rencontreront. J'ai toujours su prendre mes distances dans mon métier mais, en même temps, je m’efforçais de m’approcher et de prêter une oreille pour écouter, une épaule pour pleurer ou des bras pour embrasser. J’avais toujours dans l’esprit le souvenir du " câlin " qu’un jour Dieu m'a donné à Lourdes. Je me devais de le transmettre à ceux qui en avaient besoin.

En août 2002, j'accueille une magnifique petite fille prénommée Adeline. Elle est née à terme, d'une grossesse normale mais pendant l'accouchement sa maman a été victime d'une rupture utérine. Dans la majeure partie des cas, l'enfant et la maman risquent la mort. Sa maman en réchappe de peu mais subit une hystérectomie, la petite est en état de mort apparente. Nous prenons en charge cette petite, fidèles à la devise " respecter la vie " ; nous la " techniquons " (mot barbare qui désigne tous les gestes médicaux et infirmiers nécessaires à l'enfant pour sa survie et pour le rendre le plus présentable possible aux parents, à commencer par le papa bien sûr). J'accueille donc le papa d'Adeline, qui vit un cauchemar. Sa femme est entre la vie et la mort et sa fille présente un état très critique. Malgré son comportement fermé, tout en retenue et en méfiance, j'arrive à toucher le papa. Il ne m'adressera jamais un sourire ou un mot de remerciement mais il parviendra à toucher sa fille d'un doigt timide, à m'écouter lui expliquer tout ce qu'il voit et tout ce qu'il entend, et à pleurer quelques larmes. Il rejoindra sa femme avec la photo de sa petite serrée sur son cœur.

La maman d'Adeline viendra le surlendemain, en fauteuil roulant, pleurera beaucoup mais s'ouvrira à moi. Elle me parlera de ses 2 aînés, de leur vie, de celle d'Adeline. Un médecin explique alors que les chances de survie d'Adeline sont très minces et la maman lui répond qu'elle le sait mais qu'avec nous, elle peut parler d'un avenir même impossible sans faire pleurer le reste de sa famille. Malgré l'illusion de vie que donne le si beau visage d'Adeline, elle nous remercie de pouvoir être une maman, tout simplement. De pouvoir échanger alors qu'elle ne se sent pas libre de le faire à l'extérieur car sa famille n'accepte pas la situation bien qu'elle ne donne aucun signe de chagrin. Cette maman, consciente de tout, était évidemment pétrie de tristesse, mais nous avions pu lui permettre de profiter un peu de la vie avant d'affronter la mort. Le papa est toujours resté sur sa réserve, mais il a pu sourire à sa petite et accepter de la prendre dans ses bras. (J’avais insisté pour avoir cette autorisation que les médecins refusaient habituellement. Pas de câlins pour les bébés intubés…)

Adeline est décédée 10 jours après, sans moi car ma surveillante générale ne voulait pas que je sois là (ce que je n'ai jamais pigé...) malgré la demande des parents. Je n'ai jamais su ce que j'avais pu leur apporter à ces parents mais tous les ans qui suivirent jusqu'à mon départ du service, ce papa et cette maman sont venus me voir personnellement aux alentours du jour anniversaire du décès d'Adeline (en fonction de mes jours de boulot) pour évoquer leur petite fille. La 1ère année, la maman m'a dit que le papa était là mais qu'il était caché derrière un pylône. Non pas qu'il me reprochait quoi que ce soit, mais j'étais un symbole triste d'un événement terrible de sa vie. Sa femme tente de me déculpabiliser en expliquant la bêtise de ce geste mais que je dois retenir qu'il veut aussi me remercier sans être capable de le faire. Effectivement, je devine le papa derrière le pylône et je le rassure en parlant plus fort. La maman m'embrasse et me sourit ; je suis touchée des 50 km qu'ils ont faits exprès pour me voir en ayant appelé auparavant pour savoir quand je bossais. Elle s'apprête à partir quand son mari sort de derrière son pylône, en larmes et vient me serrer fort dans ses bras. Il me murmure un simple merci mais même encore maintenant, ce " merci " me bouleverse toujours autant. Ils sont repartis main dans la main. En 2004 et 2005, ils sont revenus pour une simple entrevue de quelques minutes mais le papa ne se cachait plus ! Je n'ai plus jamais eu de leurs nouvelles mais je n'ai jamais pu les oublier non plus.

Sauver une vie, c'est sauver l'humanité dit-on. Je n'ai pas sauvé la vie d'Adeline mais peut-être sa famille... Je n'étais d’ailleurs pas la seule : il y avait toute l'équipe du service avec nous...

L’Eglise face à la détresse des parents

Je souhaite raconter une autre histoire, toujours en lien avec le sentiment que j’ai de percevoir la présence de Dieu hors les murs des églises mieux que dedans. Le fameux aumônier de l’hôpital y a toute sa place.

J'accueille un petit garçon de 700 grammes en réa, en 2002 ou 2003. Le papa est absent car en déplacement professionnel en Afrique. La maman ne peut se déplacer immédiatement alors je descends la voir pour lui montrer une photo de son petit garçon, donner de ses nouvelles. Je lui explique tous les bruits et appareils qui relient son petit garçon à la vie. Les parents déjà abasourdis par ce qu'ils vivent, reçoivent un deuxième choc quand ils débarquent en réa et dans la mesure du possible, on essayait de les y préparer. L'état de cet enfant était critique mais habituel et au final assez banal dans les pathologies du « préma ».

La maman vient donc rencontrer son enfant et le contact passe bien entre elle et l'équipe. Je suis l'infirmière attitrée de ce bébé et j'échange en toute simplicité avec cette maman. La 1ère semaine se passe, et elle ne sait toujours pas comment nommer son enfant car le papa est difficilement joignable. La naissance arrivée trop vite ! Elle décide donc de lui donner le prénom de ses grands-pères accolés : Pierre-Yves.

La 7ème nuit, Pierre-Yves est victime d'une entérocolite ulcéronécrosante. C'est un infarctus de l'intestin causé par un manque d'oxygénation des tissus. Un fœtus dans le corps maternel n'utilise pas ses poumons pour s'oxygéner mais le sang de sa maman. Son sang à lui emprunte des vaisseaux sanguins propres à la vie in-utero pour " zapper " les poumons. Ce système circulatoire particulier, chez le bébé à terme, se ferme spontanément, en quelques heures dès la 1ère inspiration d'air. Chez le préma, il ne se ferme pas et provoque une très mauvaise distribution du sang oxygéné. Le réflexe de survie privilégie les organes vitaux comme le cœur et le cerveau et leur assure une provision d'oxygène bonne mais illusoire. Malgré les traitements et un apport en oxygène total, l'organisme du bébé restreint les autres organes en oxygène, créant ainsi des infarctus des intestins. C'est le cauchemar des infirmières et des médecins car la septicémie est immédiate et souvent fatale. Cette maladie peut apparaître même quand le bébé est prêt à rentrer chez lui. C'est une véritable épée de Damoclès.

Pierre-Yves est envoyé au bloc opératoire, et en revient vivant mais avec une grosse partie des intestins en moins. Son pronostic est alors engagé. Sa maman demande donc le baptême le lendemain. Je suis présente, à sa demande avec d'autres collègues. Je viens même avant le début de ma nuit de boulot pour vivre cet événement si précieux pour la maman.
Le curé lance sa phrase assassine " je te pardonne tous tes péchés " et je vois la maman accuser le coup puis sourire tendrement à son petit garçon. Une fois le prêtre parti, je lui dis que cette phrase maladroite n'est pas celle qu'elle aurait dû entendre et que son fils n'a jamais péché bien au contraire. Et là, cette maman formidable me dit :
" - Merci beaucoup, Delphine, pour votre réconfort mais je pardonne cette maladresse du prêtre vous savez. Je remercie Dieu pour m'avoir permis d'être maman au moins une fois dans ma vie, même sur un temps très court. Je le remercie de m'avoir permis de connaître mon tout-petit et de vous avoir rencontrées, vous et votre équipe. Je le remercie pour la joie offerte et lui demande son amour pour m'aider à vivre en paix. Personne ne m’appellera jamais Maman, personne ne m’appellera jamais Maman. "

J'ai pris une leçon de vie, une leçon d'humanité et une leçon de Foi ce soir-là.
Pierre-Yves était le seul bébé vivant qui soit sorti de son ventre ; elle avait vécu 6 grossesses et 6 morts in-utero ; la septième était sa dernière car son utérus lui avait été retiré pendant la césarienne. Elle a vécu ce drame seule, loin de son mari absent et loin de sa famille qui la rejetait car elle n'avait pas d'enfants. Pierre-Yves est mort dans mes bras deux jours après. J'ai assisté à la mise en bière avec des collègues et le papa rentré à temps pour dire au-revoir à son fils à qui il n'avait jamais pu dire bonjour. Je sais qu'il est à Thiais ce petit ange, dans le carré des indigents, comme on dit, car les parents n'avaient pas assez d'argent pour lui offrir une sépulture...

J'espère que Dieu et Marie ont su poser sur ces familles un regard d'amour et leur donner la force de croire. Moi, j'ai beaucoup appris et j'essaye toujours de perpétuer la mémoire de ces petites vies et de rendre hommage au courage et à la dignité de ces parents.

Je ne sais pas vraiment comment l'Eglise jugerait mon comportement et celui des médecins. Je ne juge personne et tente de comprendre les enjeux de ce vaste débat. Je risque peut-être l'excommunication pour avoir été complice d'euthanasie et je peux être accusée de blasphème lorsque j’ose prétendre être en accord avec les paroles de l’Évangile en aidant mon semblable à rejoindre le Christ. Je n'ai jamais osé le confesser car je ne sais pas si je peux en être pardonnée ; alors j'en ai toujours référé à Dieu et à Marie plutôt qu'à un curé...

Je pense aussi qu'il est très important de parler de ce parcours du combattant : celui du bébé et de sa famille en réa. C'est notre quotidien et leur quotidien. Un quotidien usant, pour des parents culpabilisés, stressés et démunis, pour des fratries qui ne comprennent pas toujours que papa/maman donnent plus de temps au bébé qu'à eux et j'en passe et j'en passe. Le décès fait partie de notre métier mais l'accompagnement des familles pendant la vie de leur enfant au sein du service est primordial. Un accompagnement individuel et collectif pour qu'à la fin, les familles avec qui nous avons vécu parviennent à oublier jusqu'à nos prénoms. Des parents soutenus, consolés, et encouragés donnent des bébés qui survivent dans les meilleures conditions.

Lorsque j’exerçais, j’avais coutume de dire : " La 1ère année, la jeune infirmière de néonat ne voit que la main à perfuser, la seringue à changer ou les alarmes du scope à éteindre. La 2nde année, l'infirmière s'aperçoit que cette main à perfuser se prolonge par un bras, une tête et un petit corps. Elle est assurée dans ses gestes et prend du recul sur son travail. La 3ème année, elle s'aperçoit que ce bébé est relié à des parents ! " Notre travail est de savoir ouvrir les portes des couveuses, en geste et en parole ; notre travail est de veiller à ce qu’un papa et une maman se découvrent parents ; notre travail consiste à traduire la langue " préma " en langage d'amour. Le plus important dans notre travail, ce n'est pas la technique auprès du bébé, c'est notre capacité à faire naître des parents.

Mon travail me manque, et je regrette de ne plus vivre ces moments intenses. J'ai été aussi en manque de reconnaissance sociale quand je me suis arrêtée de bosser mais je me devais à mes propres enfants ! J'ai aimé mon métier, je l'aime encore et j'espère bien y retourner en tant qu’institutrice à l’hôpital !!!! Je me reconvertis, en effet, en préparant le concours pour devenir enseignante.

Delphine

Peintures de Cirilo Martinez Novillo