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30ème dimanche

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 18, 9-14

Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L'un était pharisien, et l'autre, publicain. Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : 'Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.' Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : 'Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !' Quand ce dernier rentra chez lui, c'est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l'autre. Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. »

Quand le juste est faux
Christine Fontaine

Le Procès !
Michel Jondot

Les jugements de Dieu sont bien étranges !
Christine Fontaine


Quand le juste est faux

Tout à fait juste

Jésus nous montre ce qui est au cœur de ce pharisien qui est monté au Temple pour prier. Il nous fait connaître ce qui est caché aux yeux de tous : le contenu de sa prière, autrement dit ce que Dieu seul connait. Nous avons toutes les raisons de penser que ce que dit le pharisien est vrai : Dieu, sous le regard de qui il se met, sait mieux que lui ce qu’Il est. On ne peut pas lui mentir. Il est donc absolument certain que cet homme n’a jamais volé personne, ni trompé sa femme, ni commis une quelconque injustice. Il est également vrai qu’il ne s’est pas contenté d’observer les commandements de Dieu mais qu’il en a fait plus : le jeûne deux fois par semaine était recommandé mais pas obligatoire, le paiement de la dîme n’était exigé que pour les plus hauts salaires. Tout ce que dit le pharisien est juste. Il est réellement un modèle d’obéissance à la Loi de Dieu. Mais il ne serait pas vraiment juste s’il s’en attribuait le mérite. Il lui reste donc une seule chose à reconnaître : c’est de rendre grâce à Dieu d’être ce qu’il est : « Mon Dieu je te rends grâce… » Cet homme est alors totalement juste jusque dans son humilité.

Tout à fait faux

Et pourtant « quand le publicain redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste plutôt que l’autre ». Ce Pharisien est totalement juste selon la loi de Dieu et pour ses coreligionnaires. Il est totalement injustifiable aux regards de Jésus. En effet sa prière manifeste qu’il n’aime personne – ils sont tous des voleurs ou des adultères – dit-il. Il n’a que du mépris pour eux. Le pharisien n’aime pas les autres, il aime simplement être leur supérieur : « Je te rend grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes », dit-il. Cet homme qui accomplit la loi jusqu’au bout et encore davantage est en vérité totalement faux. Il fausse tout. Il pervertit tout. Il va jusqu’à attribuer à Dieu le mérite d’avoir fait de lui un supérieur et un modèle de vertu. Son orgueil se pare d’humilité et c’est alors le comble de la perversité. Il s’est mis hors d’atteinte de Dieu et hors d’atteinte des autres. Cet homme est monté au Temple pour prier mais il ne s’adresse à Dieu que pour se contempler lui-même en Dieu comme un supérieur et un modèle. Autrement dit, entre Dieu et lui il a placé un miroir dans lequel il se reflète. Il aime se regarder. Il se réjouit d’être ce qu’il est, il jouit de lui-même. Cet homme s’est servi de la Loi de Dieu pour s’adorer lui-même. Un tel homme s’est coupé de la source de l’Amour. Le pharisien a beau être juste selon les lois de Dieu ou de l’Église, il ne cherche à mener personne à Dieu. Il les mène à lui. Il n’aime pas ceux qu’il instruit, il aime être leur supérieur… qu’il prétend toujours être… par grâce !

Ce comportement est d’autant plus pervers qu’il est souvent très difficilement détectable. Tout semble juste et pourtant tout est faux. Nous avons aujourd’hui, comme à l’époque de Jésus, à lutter contre le pharisaïsme, le nôtre comme celui des religions en particulier de la nôtre. Nous avons à nous souvenir, comme le dit saint Paul que « j’aurais beau parler toutes les langues des anges et des hommes, j’aurais beau donner tous les biens aux pauvres, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour je ne suis qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit ».

Il n’est pas toujours facile de vivre avec un délinquant mais il y a peut-être pire : c’est de vivre avec un modèle de vertu. Si le pharisien de l’Évangile vivait à notre époque que penserait son épouse ? Il ne l’a jamais trompée, ni accusé de quoi que ce soit injustement ; il n’a pas touché à son argent personnel et a subvenu à tous ses besoins. En fait cet homme est invivable mais, si elle essaye de le lui dire, il lui répond : « Aurais-tu préféré que je sois de ces hommes qu’on rencontre partout et qui vont d’adultère en adultère ? » Elle doit reconnaître qu’il fait tout très bien et qu’elle n’a aucun reproche à lui faire. Mais en vérité, il a détourné les lois qui étaient instituées pour favoriser la relation en moyen de devenir un mari modèle. L’épouse se sent nécessairement coupable devant Dieu et devant son époux de ne pas être satisfaite de son couple. En fait, il n’y a jamais eu de couple parce que le pharisien ignore ce que c’est que d’aimer. Il a toujours fait tout bien mais jamais rien pour elle. Il s’aime lui-même. Il n’aime pas son épouse. Ce mari soi-disant modèle est une citadelle de bonne conscience et de vertu. Nous ne pouvons pas vivre avec des modèles de vertu, Dieu non plus !

La justice des pécheurs

Comment Dieu ne préférerait-il pas ce pauvre publicain dont parle l’Évangile ? Ce publicain que son propre peuple traite de pécheur public parce qu’il empoche pour son propre compte une partie des impôts qu’il collecte ? Au moins celui-là ne se prétend pas un modèle. Il ne regarde pas les autres de haut et, lorsqu’il monte au Temple pour prier, il n’ose pas lever les yeux vers le ciel. Il ne se compare à personne ; il est trop conscient de sa pauvre condition de pécheur pour penser à ce que font les autres. Le publicain est un homme blessé qui supplie Dieu de lui être favorable malgré ce qu’il est… et qui peut-être ne changera jamais. Il en appelle à Dieu pour le sauver. Sa situation de pécheur est un appel à l’Autre. Dieu ne peut rien pour celui qui a une pierre à la place du cœur comme le pharisien. Mais il répond toujours à celui qui a le cœur brisé : « Il est proche du cœur brisé, il sauve l’esprit abattu » (Psaume33). Le publicain n’a rien d’un juste ni à ses propres yeux, ni pour son peuple. Il est juste uniquement pour Dieu : « Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste plutôt que l’autre. »

Alors souvenons-nous que les apparences sont trompeuses. Il est bien possible que l’attitude d’un pharisien de mari pousse son épouse au divorce alors que tous les torts semblent être de son côté. Comment divorce-t-on d’un homme si bien ? Il est bien possible que ceux que l’on qualifie de pécheurs publics soient des justes aux yeux de Dieu et que beaucoup de modèles de vertu soient des pervers… Il est possible que des hommes d’Église qui ont pour tâche, comme les pharisiens de l’Évangile, d’enseigner le peuple soient des modèles d’obéissance non parce qu’ils aiment ceux qui leur sont confiés mais parce qu’ils aiment être leur supérieur. Ne soyons pas dupes mais ne les méprisons pas pour autant. Ne méprisons personne. Gardons notre mépris, si nous en avons, pour nous-même et nous serons des justes pour Dieu. Souvenons-nous que celui qui méprise les autres est souvent un pharisien qui s’ignore !

Christine Fontaine


Le Procès !

Le poids des fautes

Chacun connaît ce roman de Kafka, « Le procès ». Un jeune cadre est réveillé un matin : on vient lui notifier qu’une procédure judiciaire est lancée contre lui sans qu’on lui précise de quel crime il est accusé. Les événements se déroulent de telle sorte que le héros vit enveloppé d’une menace mystérieuse ; tout laisse présager un procès qui n’arrive pas mais qui peut aboutir à une lourde condamnation. Le personnage en question n’a pas de nom ; on l’appelle Monsieur K. C’est sans doute une façon de dire qu’il s’agit de tout un chacun, de vous, de moi, de tous ceux qui nous entourent. La vie en société n’est possible que dans la mesure où des lois maintiennent une cohérence entre les citoyens. Qui dit « loi » dit transgression et, par suite, risque de sanction. Lorsque nous avons enfreint la loi, un sentiment de culpabilité donne à la vie une couleur sombre et parfois angoissante pouvant conduire au suicide.

Aux yeux de Dieu

Le roman de Kafka met en scène un personnage apparemment sécularisé. Mais lorsqu’on se réfère à un Dieu Tout-Puissant, le sentiment de la faute prend des proportions gigantesques. Le poids des religions sur les consciences est parfois lourd et bien des adultes ont sombré dans des névroses imputables à une éducation religieuse. On leur a fait craindre des châtiments pires que la mort : la damnation éternelle. Ceci est vrai du catholicisme : sa morale sexuelle est impitoyable ; ceci est vrai aussi de l’islam et du judaïsme qui multiplient les interdits.

La parabole de Jésus entendue aujourd’hui nous invite à nous situer par rapport à ce Dieu qui justifie. Qui est juste, aux yeux du Père de Jésus ? Qui est coupable ?

Paradoxalement ce n’est pas la faute, à en croire l’Evangile, qui entraîne la condamnation. Voilà deux personnages. L’un est parfait : il fait mieux que de se soumettre aux exigences de la loi. Le jeûne, dans l’Ancien Testament, n’est pas dépourvu de sens, certes ! Mais il en rajoute ! Et loin de cacher son argent dans un pays étranger, il n’hésite pas à payer de lourds impôts. A côté du Pharisien, le Publicain est ce qu’on appelle un « corrompu ». En prélevant l’argent exigé par l’Empereur, il se remplit les poches au détriment des pauvres qu’il exploite. Etrange paradoxe : ce n’est pas l’homme aux mains pures qui est considéré comme juste mais celui qui n’a pas su s’élever aux exigences de la loi. Celle-ci invite au respect du pauvre : le Publicain n’a pas su vivre à la hauteur. Et pourtant Jésus déclare : « Quand ce dernier rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare qui était devenu juste et non pas l’autre ».

Comment comprendre ?

Un Dieu imaginaire

Voltaire disait : « Dieu a créé l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». Paradoxalement cet athée fameux, en l’occurrence, a peut-être raison. Chacun veut l’emporter sur autrui et s’arrange pour trouver le domaine où il sera le plus fort. Le Pharisien a réussi à être moralement supérieur à ceux qui l’entourent. Il s’en réjouit : « Je te rends grâces parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes adultères ». Il peut juger autrui et le Dieu qu’il prie, pense-t-il, lui ressemble. Il fait de Dieu le juge qui condamne et méprise !

Le Publicain n’entre pas dans un processus de ce genre. Il ne se situe pas par rapport à autrui mais par rapport à lui-même (« le pécheur que je suis »). Il ne se fait pas une image de Dieu : il l’appelle (« Prends pitié »). Le Dieu que révèle Jésus ne domine personne mais il rejoint l’homme tel qu’il est. Jésus le manifestera bientôt lors du procès qui le mettra face à Pilate. Dieu ne condamne pas le pécheur, il l’accompagne et partage sa condition.

Justices des hommes, justice de Dieu

Nos contemporains sont sévères. Ils ne croient plus en Dieu mais ils exigent une justice qui condamne. Certes, nous avons raison de demander aux responsables politiques de créer les conditions d’une véritable sécurité. Nous avons raison de faire échec aux meurtres qui se multiplient. Nous avons raison aussi de nous affliger devant le sort des victimes. La justice des hommes a raison de sanctionner toutes les infractions aux lois qui protègent les citoyens. Mais la parabole d’aujourd’hui nous rappelle que la justice des hommes n’est pas la justice de Dieu. Celui-ci rejoint le voyou qu’on enferme dans une prison (« j’étais prisonnier et vous m’avez visité ».

La parabole d’aujourd’hui devrait rassurer ceux qui ont peur du jugement de Dieu. Sans doute sommes-nous en tort face aux exigences de l’Evangile comme face à celles de l’Eglise. Notre conscience, peut-être nous condamne comme elle condamnait le publicain. Mais, croyons St Jean : « Si votre coeur vous condamne, Dieu est plus grand que votre cœur ».

Michel Jondot


Les jugements de Dieu sont bien étranges !

La vertu ne suffit pas

« Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain », dit le pharisien. Et peut-être que cet homme était réellement honnête. Rien ne nous prouve le contraire, en tout cas. Il avait peut-être un certain nombre de qualités morales, plus même que la moyenne des hommes.

Dieu dispose de ses dons comme il veut et il est vrai qu'il comble davantage certaines personnes. Nous n'avons pas tous les mêmes capacités morales : certains, par exemple, ont une douceur qui paraît innée alors que d'autres devront supporter toute leur vie un naturel coléreux. Ce pharisien était peut-être de ceux que Dieu a comblés de toutes sorte de biens.

Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel. Il avait sûrement de fort bonnes raisons de ne pas être fier de lui. D'abord, il était publicain c'est-à-dire collaborateur de l'occupant romain ce qui en soi n'est pas très glorieux. Profitait-il de la situation pour voler les juifs en demandant davantage que l'impôt fixé ? Qui le sait ? Toujours est-il qu'il devait avoir un sérieux poids sur la conscience lorsqu'il se frappait la poitrine, en disant : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis. »

L'action de grâce ne suffit pas

Pourquoi Dieu préfère-t-il ce publicain à un honnête pharisien ? Le pharisien s'attribue-t-il les dons qu'il possède ? A-t-il l'outrecuidance de prétendre que ces qualités viennent de son propre mérite et non du don que Dieu lui a fait ? En vérité, le pharisien n'agit pas ainsi. « Mon Dieu, je te rends grâce pour toutes les qualités que j'ai reçues de toi », dit le pharisien. Il reconnaît le don de Dieu et il rend grâce.

Après tout, quelle différence y a-t-il entre cette prière du pharisien et... le Magnificat de Marie ? Marie aussi reconnaît - et à juste titre - qu'elle n'est pas comme les autres femmes. Elle sait bien que la Parole de l'Ange s'adresse à elle et à elle seule : elle sait que non seulement elle est pleine de grâce mais qu'elle a trouvé grâce aux yeux de Dieu. Et Marie rend grâce à son Seigneur en disant : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ». Le pharisien ne prétend pas avoir toutes les vertus mais il reconnaît que Dieu ne l'en a pas totalement privé et il rend grâce. Marie ne manque d'aucun don. Elle est pleine de Dieu, elle le reconnaît et elle rend grâce. Le pharisien est déclaré injuste devant Dieu... Marie est déclarée juste devant Dieu... Le publicain quant à lui sans quitter son mode de vie - au moins rien ne permet de le dire - est devenu juste aux yeux de Dieu ! Les jugement de Dieu peuvent paraître étranges !

Il suffit d'aimer

En vérité ce pharisien et Marie même s'ils reconnaissent l'un et l'autre le don que Dieu leur a fait, s'opposent radicalement sur un point : le pharisien, dit l'Evangile, se sert de ses riches qualités pour se comparer avec les autres. Marie met tous ses dons au service des autres. Le pharisien est animé par l'orgueil. Marie est servante de Dieu autant que des hommes : "Il s'est penché sur son humble servante".

Ainsi ne suffit-il pas de rendre grâce à Dieu pour les dons qu'il nous a faits, encore faut-il mettre ces qualités au service des autres. Le pharisien, en prétendant rendre grâce à Dieu, se sert... lui-même. Marie met toute la grâce dont elle est comblée à la disposition de tous. Elle ne retient pas Jésus, son Fils. Elle le met au monde ; elle le donne à tous.

Nous aurons beau avoir toutes les qualités s'il nous manque l'amour cela ne sert à rien. Toutes les qualité du monde si elles ne servent qu'à "moi" ne peuvent jamais rien produire d'autre qu'un comportement mortifère, écrasant pour tous. Dieu préfère un publicain, un pauvre pécheur, qui reconnaît ses torts et qui peut-être ne peut même pas se se convertir à un orgueilleux plein de vertu ! L'orgueil tue la relation entre nous et par le fait même tue toutes les autres vertus. L'orgueil nous emprisonne sur nous-mêmes. Il rend bête et méchant celui qui en est prisonnier. Il empoisonne toute l'existence.

Le juste reconnaît que sans Dieu - autrement dit sans Amour - nous ne pouvons rien faire de bon !

Christine Fontaine