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31ème dimanche

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 19, 1-10

Jésus traversait la ville de Jéricho. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d'impôts, et c'était quelqu'un de riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il n'y arrivait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et l'interpella : « Zachée, descends vite : aujourd'hui il faut que j'aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit, et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un pécheur. » Mais Zachée, s'avançant, dit au Seigneur : « Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Prenons la vie du bon côté !
Christine Fontaine

Urgence
Christine Fontaine

« Ce qui était perdu »
Michel Jondot

Prenons la vie du bon côté !

Dieu viendrait-il loger chez moi ?

On voulait nous faire croire qu'il faut être pur pour que le Fils de Dieu daigne choisir notre maison. On voulait nous faire croire qu'avant de le recevoir il fallait avoir nettoyé toutes les pièces jusque dans les moindres recoins et balayé jusqu'au dernier grain de poussière. Il y avait de quoi désespérer.

Mais voici... qu'il est allé loger chez un pécheur et pas des moindres. Un pécheur de notoriété publique ! Un des plus grands pécheurs ; on pourrait dire « un chef » en matière de péché puisque Zachée était le chef des collecteurs d'impôts et, qu'en plus, c'était quelqu'un de riche. Si Jésus est venu loger chez celui-là peut-être pourrait-il bien décider de venir aussi chez moi !

Que va-t-Il me demander pour venir loger chez moi ?

« Voilà, Seigneur, dit Zachée, je fais don de la moitié de mes biens, et si j'ai fait tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus. »

Ce chef des collecteurs d'impôts qui, par surcroît, était riche ne s'est pas d'abord dépouillé de tous ses biens pour accueillir Jésus. Il l'a reçu avec joie dans sa maison trop riche et, dans un mouvement du coeur ou un déferlement de joie, il promit de donner la moitié de ses biens !

Jésus, d'ailleurs, n'a pas exigé que Zachée abandonne une partie de ses biens. Il a simplement demandé à être reçu chez cet homme, sans attendre : « Zachée, descends vite : aujourd'hui il faut que j'aille demeurer chez toi ! » Jésus ne lui a pas laissé le temps de balayer sa maison ni de changer son comportement. Il ne lui a laissé aucun délai pas même le temps de se souvenir que son logis était peut-être en désordre. La seule présence de Jésus a tout remis en place, spontanément. Le salut est arrivé pour cette maison simplement parce que Zachée n'a pas refusé la salutation que Jésus lui avait adressée.

Il ne m'a rien demandé !

« Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens » dit Zachée, et, comme c'était un homme riche, nous pouvons supposer qu'il lui en restait assez pour ne pas être du tout dans le besoin ! Jésus n'a pas dit à Zachée qu'il lésinait quand même un peu et qu'il pourrait envisager, au moins par la suite, de tout donner ! Jésus répond simplement « aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison car lui aussi est un fils d'Abraham ! » Jésus ne marchande pas le salut, il le donne à profusion et sans attendre. Il n'en fait pas le salaire de sacrifices impossibles.

« Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » déclare Jésus. Mais nous prenons toujours la vie du mauvais côté ! Au lieu d'accueillir simplement celui qui vient nous délivrer et mettre de l'ordre dans nos maisons, nous le laissons dehors sous prétexte que notre logis n'est pas assez bien rangé ! Au lieu de recevoir le salut que Dieu adresse aux pécheurs nous soupesons nos mérites et nos fautes. Au lieu de découvrir combien Dieu se réjouit du moindre acte de justice ou de bonté que sa présence nous pousse à poser, nous craignons de ne pas en faire assez et nous demeurons dans la tristesse ! Le Fils de l'homme vient faire la joie des hommes : descendons vite là où sa joie nous est offerte !

Christine Fontaine


Urgence !

Une étrange demande !

Je suis au milieu d’une foule et un passant me reconnaît. Si c’est un inférieur et qu’il désire venir chez moi, il me dira : « Veuillez m’excuser de vous importuner, pourriez-vous m’accorder quelques instants chez vous. » Si cette personne est l’une de mes supérieurs elle me dira, si elle est polie : « Auriez-vous l’obligeance de me recevoir aujourd’hui. » Si je croise un simple ami, il déclarera : « J’aimerais bien venir chez toi. » Mais il faut être extrêmement proche de quelqu’un pour oser lui dire : « Viens vite, il faut que j’aille chez toi dès aujourd’hui. » On ne s’exprime ainsi que si l’on croise un frère, à moins qu’on ne soit le plus grand des malotrus.

Lorsqu’un un frère ou un ami très proche me reconnaît dans la foule et me dit qu’il faut qu’il aille demeurer chez moi tout de suite, il me fait part d’une urgence. Il y a forcément quelque chose que j’ignore mais qui le pousse à agir ainsi. Sinon il se contenterait d’une simple accolade chaleureuse et remettrait sa visite à plus tard.

De mon côté, je ne répondrai à sa demande que si je reconnais en cet homme un ami. Autrement, je le considérerais simplement comme un importun qu’il serait même dangereux d’inviter chez soi…

Une demande urgente

« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Zachée est bien connu de tous dans la ville de Jéricho. C’est le chef des collecteurs d’impôts. Le chef n’est pas celui qui, comme les publicains, va frapper à la porte des contribuables pour réclamer l’impôt. C’est celui qui a payé très cher aux romains la charge de leur verser l’impôt qu’il fait collecter par d’autres : les publicains. Et si cette charge est très onéreuse, c’est qu’elle rapporte gros.

« Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Jésus se présente au chef des collecteurs d’impôts non comme un supérieur qui lui ferait la leçon, non comme un inférieur qui aurait une sollicitation à lui faire. Il se présente à lui comme un ami très proche voire un frère. Zachée de son côté, bien que grimpé sur son sycomore, ne considère pas Jésus de haut. « Vite il descendit, et reçut Jésus avec joie. » On pourrait dire que deux amis ou deux frères ce jour-là se rencontrent et s’accueillent mutuellement.

Mais quelle est l’urgence qui pousse Jésus à agir ainsi ? Quelle demande importante veut-il lui formuler ? En fait, Jésus ne lui demande rien et si Zachée s’engage à donner la moitié de ses biens aux pauvres ce n’est pas parce que Jésus lui a fait la morale sur son comportement. Jésus n’a d’autre urgence que de signifier à Zachée l’amitié profonde qui l’unit à lui. Zachée n’a d’autre raison de recevoir Jésus, que d’avoir cru en son amitié.

Deux amis se rencontrent. Il était urgent qu’ils puissent se le signifier. D’autant plus urgent que Zachée n’est l’ami de personne. Les protestations de la foule en témoignent : « Voyant cela, tous récriminaient contre Jésus : 'Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur !' » Pour tous, Zachée est un pécheur public. Pour Jésus, c’est un frère. Et la vie de Zachée en est bouleversée. Voici que d’être reconnu par Jésus comme un ami, lui donne le désir d’être l’ami de tout ceux qu’il exploitait jusqu’à ce jour. Car Zachée ne se contente pas de rectifier ses torts. Il fait bien plus que ce que la loi exigerait de lui. Aucune loi ne lui demande de donner la moitié de sa fortune aux pauvres. Et si les lois juives et romaines exigent que l’on rembourse quatre fois la somme usurpée, elles n’imposent ce remboursement que dans les cas majeurs et connus de tous. Jésus ne demande rien d’autre à Zachée que d’accepter son amitié. Zachée fait beaucoup plus que ce que Jésus aurait pu lui demander s’il était venu chez lui pour le rappeler à l’ordre.

L’urgence de Dieu

Ainsi Jésus vient-il chez les siens, non comme un juge ou un censeur mais comme un ami. Fussions-nous le plus grand des pécheurs, Jésus n’a d’autre urgence que d’être reçu chez nous en ami dès aujourd’hui. Il ne nous demande rien d’autre. Il n’exige rien. Il nous demande de croire en son amitié, en sa fraternité. Est-ce à dire que les vrais amis de Jésus peuvent agir n’importe comment ou faire n’importe quoi ? Non, ils ne le peuvent vraiment pas. Mais ils ne sont pas conduits par l’obéissance à une quelconque morale. Ils sont habités par un certain esprit, un esprit de fraternité envers tous. Ils sont poussés par l’Esprit à agir envers leur entourage comme Jésus agit à leur égard. Le christianisme n’est pas une morale.

C’est une démarche d’amitié de Dieu à notre égard, une urgence de Dieu que nous le recevions non comme un juge mais comme un ami. Ceux qui acceptent l’amitié de Dieu, ceux qui croient en son amour, ceux-là ne sont pas d’abord les fils de Moïse, le légiste. Ils sont, comme le dit Jésus, « fils d’Abraham », le croyant. Ils sont poussés par le souffle de Dieu à devenir les amis de tous. Il ne s’agit plus alors d’obéir à des règles ou de se sacrifier pour les autres. Il s’agit de se laisser guider par l’Esprit.

Le seul critère, au bout du compte, que nous accueillons Dieu – comme Zachée - en ami, est l’amour que nous portons aux autres. « Si quelqu’un dit : ‘Jaime Dieu’, et a de la haine pour son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et tel est le commandement que nous tenons de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. » (1Jn 4,20-21). Il est urgent que les chrétiens, poussés par l’Esprit, agissent ainsi dès aujourd’hui !

Christine Fontaine


« Ce qui était perdu »

Deux situations d’hospitalité

« Un jour la princesse décida de se déguiser pour aller au marché, avec les vêtements d’une pauvre femme. Arrivée devant une boutique simple qui vendait des pacotilles elle entre ainsi vêtue. Aussitôt le propriétaire l’apostrophe : « que viens-tu faire ici, tu as l’air d’être une voleuse, sors de ma boutique ! » La princesse déguisée garda le silence et sortit. A cet instant arrive le fils du vizir qui, lui, reconnait la princesse et, devant la porte, lui embrasse les mains. Le propriétaire sidéré demande au fils du Vizir comment peut-il embrasser les mains de cette pauvre femme. Celui-ci lui répond : « N’as-tu pas reconnu la princesse ? » Oh !, dit le marchand, si c’est la princesse, elle peut entrer ! » Trop tard dit le Vizir car tu ne l’as pas reconnue et maintenant elle est ailleurs ! »

Cette parabole est l’œuvre d’un auteur musulman du 12ème siècle, Ibn Arabi, un maître spirituel qui exerce encore de nos jours une réelle influence en islam. Elle n’est pas étrangère à l’histoire de Zachée. Les situations sont inverses mais assez rigoureusement symétriques et porteuses de messages assez semblables, même si le récit de St Luc donne à réfléchir d’une façon particulière.

Dans les deux cas, il s’agit d’hospitalité : chaque fois un personnage sollicite d’être accueilli.
Dans les deux cas, la bienséance exige qu’on garde ses distances. Il est des personnages qu’il ne convient pas de fréquenter. Un chef de collecteurs d’impôts, dans la Palestine du temps de Jésus, n’est pas un personnage fréquentable. Il exploite les pauvres et se compromet avec l’envahisseur romain. Un bon juif ne devrait pas se compromettre avec lui ; il aurait donné l’impression d’être complice de ce qu’on appelait dans mon enfance « un collabo ». (« Tous récriminaient : il est allé loger chez les pécheurs »). De même, il ne convient pas, pour un commerçant, d’exposer sa marchandise aux yeux d’une mendiante ; il risque d’être dévalisé et de mettre dans l’embarras la famille dont il a la charge.

Dans les deux cas, il s’agit de regard : la vue de l’accoutrement de la princesse déclenche la méfiance. Dans la ville de Jéricho, Zachée s’était arrangé pour « voir qui était Jésus » et lorsqu’il approcha du fameux sycomore où Zachée s’était niché, « Jésus leva les yeux ».

Sauver ce qui était perdu

L’originalité de la scène rapportée par Saint Luc tient dans le fait que la rencontre, en fin de compte est réussie : « Zachée... il faut qu’aujourd’hui j’aille demeurer chez toi !... Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie ». L’intérêt de cette rencontre tient dans le fait qu’elle manifeste en réalité qui est l’homme. Jésus ne vient pas seulement faire connaître Dieu. Jésus nous révèle qui nous sommes ; ce que nous sommes est caché, perdu. « Je suis venu sauver ce qui était perdu ! » Zachée était perdu par le fait qu’il était isolé, mis à l’écart dans sa fonction. Les réactions de l’entourage mettent cela en évidence : toucher à l’argent met à l’écart dans la société juive de son temps. Il n’est d’ailleurs désigné que par sa fonction (« Il était le chef des collecteurs d’impôts ») que vraisemblablement il exerçait scrupuleusement, sans pitié pour le pauvre ni pour personne. D’ailleurs, en l’appelant « Zachée », sans doute le désignait-on plus par un surnom que par un nom. Le mot signifie « zélé ». Il jouait un rôle plus qu’il ne menait sa vie et on ne voyait guère en lui qu’une machine à ramasser des billets (« c’était – disait-on – quelqu’un de très riche »). Cet homme engoncé dans une fonction anonyme croise, par hasard, le regard d’un autre et tout change.

Quand des regards se croisent

Zachée avait pris ses dispositions pour voir passer un homme qu’il ne connaissait pas. Regarder conduit à garder ses distances. Mais voilà – c’est le cœur du texte – « Jésus leva les yeux ». Pas vu, pas pris, dit-on. Zachée est vu, il est pris sans qu’il l’ait cherché. Quand des regards se croisent, chacun sort de son monde intérieur et pénètre dans celui de son vis-à-vis. Voir et être vu c’est déjà être visité et, réciproquement, c’est entrer soi-même chez l’autre par le regard. Quand Jésus lève les yeux sur Zachée, l’hospitalité a commencé à s’exercer : chacun des deux est déjà reçu par l’autre. Pour aller jusqu’au bout de l’expérience, il est normal de se retrouver sous le même toit. Pour Jésus, cela s’impose : « il faut que j’aille demeurer chez toi ». Qui invite en l’occurrence ? Difficile à dire : l’accueil est mutuel quand on le décèle dans l’échange des regards.

« Je suis venu sauver ce qui était perdu ». Qu’est-ce qui était perdu sinon la relation à autrui ? Qu’est-ce qui est sauvé sinon la joie d’être avec quelqu’un qui vous comprend et vous rejoint ? « Il reçut Jésus avec joie ». La vie est sauvée parce qu’il n’est plus réduit à un rôle social. Il devient quelqu’un avec qui on veut bien parler. Et tout change. Il commence à vivre dans la mesure où vivre c’est donner et se donner à ceux que l’on rencontre : « Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens ».

« Lui aussi est un fils d’Abraham » : étonnante cette mention du Patriarche ! Tout s’éclaire quand on se rappelle qu’Abraham est celui à qui Dieu a parlé non seulement en l’appelant par son nom mais en se présentant à lui sous forme d’un étranger au chêne de Membré dans une scène d’hospitalité. Le Patriarche prépare un repas pour ces hommes qui passent et lui font savoir que l’an suivant sa femme enfantera. Dieu parle à Zachée comme il a parlé à Abraham. Jésus parle à Zachée en lui révélant qu’on n’est homme qu’en sortant de soi-même pour vivre dans l’hospitalité mutuelle.

Ne tirons pas de conclusion morale trop rapide de cette page d’Evangile. Evidemment on ne peut inviter n’importe qui sous son toit. Reconnaissons au moins que la société que Dieu veut n’existe pas encore et que l’histoire de Zachée nous indique une direction à suivre pour arracher l’humanité à sa perte.

Michel Jondot