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32ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 20, 27-38

Des sadducéens - ceux qui prétendent qu'il n'y a pas de résurrection - vinrent trouver Jésus, et ils l'interrogèrent : « Maître, Moïse nous a donné cette loi : Si un homme a un frère marié mais qui meurt sans enfant, qu'il épouse la veuve pour donner une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d'enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme, de qui sera-t-elle l'épouse, puisque les sept l'ont eue pour femme ? »

Jésus répond : « Les enfants de ce monde se marient. Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection d'entre les morts ne se marient pas, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont fils de Dieu, en étant héritiers de la résurrection. Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur : le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob. Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui. »

Le voile est tombé !
Michel Jondot

« Une autre vie »
Michel Jondot

« Héritiers de la Résurrection »
Christine Fontaine


Le voile est tombé !

Le regard voilé

Les sadducéens connaissaient les Ecritures Saintes. Ils avaient lu le livre du Deutéronome avec les lois et coutumes que Moïse, au nom de Yaweh, enseignait à son peuple. Ils connaissaient les prescriptions et les interdits concernant l'amour et le mariage. Ils avaient bien retenu la loi du lévirat qui empêche un homme d'épouser celle qu'il aime quand il faut assurer une descendance à un frère mort sans laisser d'enfant.

Ils avaient lu aussi l'histoire de Tobie qu'un ange avait conduit vers Sara, la femme tourmentée par un démon païen. Sara avait vu successivement mourir les sept maris qui avaient tenté de l'épouser : un démon jaloux, Asmodée, les tuait avant qu'ils s'approchent d'elle. Pour inventer cette histoire de sexe et de mort qu'ils racontent à Jésus, il fallait qu'ils connaissent ce roman de la Bible.

Oui, les sadducéens connaissaient les Ecritures. Mais ils les lisaient mal ; penchés sur la lettre du texte, ils le déchiffraient avec un regard voilé. Lisant les Ecritures, ils ne décelaient qu'un univers désespéré. Dans leurs propos, la vie se répète sans faire place à la nouveauté (sept fois de suite le même malheur !) Dans leurs propos, l'amour est enfermé dans la loi : comment cette femme pourrait-elle être aimée d'un autre homme puisque la législation du mariage ne permet pas de faire place à son drame ? Dans leurs propos, la mort est le seul horizon de l'existence. Quand la vie a couleur de cendres, comment peut-on l'aimer ? Et quand on n'aime pas la vie, pourquoi espérer la Résurrection ? Les sadducéens prétendent qu'il n'y a pas de résurrection.

Lire l'Ecriture à visage découvert

C'est sans doute aux sadducéens et à ceux qui leur ressemblent que songeait Paul en écrivant aux Corinthiens : « Moïse mettait un voile sur son visage... Jusqu'à ce jour, lorsqu'on lit l'Ancien Testament, ce même voile demeure Jusqu'à ce jour, toutes les fois qu'on lit Moïse, un voile est posé sur leur coeur. C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé. »

Jésus est le premier des convertis, c'est-à-dire le premier à être tourné vers le Père. Jésus connaissait les Ecritures. Il savait les déchiffrer et les traduire. Il connaissait, comme les sadducéens, le livre du Deutéronome, « les lois et les coutumes » que Moïse, au nom de Yaweh, enseignait à son peuple. Il savait reconnaître, dans la lettre du texte, que la loi donne plus que la loi, mais la vie : « Et maintenant - disait Moïse - écoute les lois et les coutumes que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique : afin que vous viviez. » Jésus savait reconnaître, en déchiffrant l'Ecriture que la vie est plus forte que la Loi.

Jésus connaissait, comme les sadducéens, le livre de Tobie. Mais mieux que les sadducéens, il savait que la mort n'était pas l'horizon de Sara, la femme sept fois veuve ; il n'oubliait pas que dans le livre, l'amour d'un homme serait plus fort que la malice des démons païens. Au milieu des épreuves, Sara était conduite pour en venir à vivre un bel amour humain. Jésus savait reconnaître, en déchiffrant l'Ecriture que l'amour est plus fort que la mort.

Lire la vie à visage découvert

Parce que Jésus n'avait pas de voile sur les yeux, en déchiffrant l'Ecriture, il savait lire la vie et reconnaître que la vie appelle la nouveauté. Le malheur - ou le péché - ne peuvent enfermer la vie. L'Ecriture conduit à regarder l'avenir comme un veilleur, au coeur de la nuit, attend l'aurore. Il connaissait les Ecritures, il les écrivait sur le sol. Près de lui la femme qui méritait la mort pouvait s'en aller et réinventer sa manière d'aimer. Parce qu'il connaissait les Ecritures, parce qu'il les lisait à visage découvert et sans voile sur le coeur, il décelait partout les promesses du Père ; il savait que la vie débouche sur la vie. La vie appelle la vie.

Quand la vie n'a pas couleur de cendres, quand on croit que rien, pas même le feu, ne peut consumer la vie, quand on aime la vie malgré tout, quand on espère contre toute espérance, alors on peut reconnaître que l'Ecriture conduit à la Résurrection : Quant à dire que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur :  le Dieu d'Abraham, d'Isaac, le Dieu de Jacob' Il n'est pas le Dieu des morts mais des vivants ; tous vivent en effet pour lui.

Le voile est tombé

Avec les Ecritures que les sadducéens connaissaient bien, nous recevons les écritures nouvelles qui proposent de croire à la Résurrection de Jésus. Il faut apprendre à les lire comme Jésus lui-même lisait les Ecritures de Moïse. Le risque existe encore de les déchiffrer avec un regard voilé. Nous reconnaissons que le voile tombe de notre coeur si nous devenons amoureux de la nouveauté, amoureux de la vie, amoureux d'aimer jusqu'à en mourir... et à ressusciter Nous reconnaissons que le voile n'est pas tombé si la mort, la violence, les échecs, notre péché tuent l'espérance ou éteignent le désir de l'amour.

Que Dieu arrache le voile qui abîme notre vue. Qu'il Ouvre nos yeux pour que nous reconnaissions qu'Il est le Dieu de vie et pour que, sans attendre le monde à venir, nous vivions en héritiers de la Résurrection.

Michel Jondot


« Une autre vie »

Quel au-delà ?

Pour les musulmans, dans l’au-delà, existe un univers qui n’a rien de commun avec ce bas-monde. On y trouve « des fleuves dont l’eau est incorruptible, des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent, des fleuves de miel purifié ». Les hommes y rencontreront « des épouses pures…qui ont des grands yeux et dont les regards sont chastes… Elles sont semblables au rubis et au corail ». Cet univers est bien loin, transcendant. Il faut quitter la vie terrestre pour y pénétrer. On comprend l’empressement des kamikazes à courir vers la mort pour pouvoir accéder à l’inaccessible.

Pour les Sadducéens, il ne peut y avoir de vie par-delà ces quelques dizaines d’années d’existence qui nous sont octroyées. Ces interlocuteurs de Jésus sont particuliers : leur imagination est bouchée et, pour eux, l’avenir ne peut guère être conçu que comme la répétition du présent. Ils esquissent devant Jésus une espèce de roman noir. La vie de cette femme est scandée d’événements qui se succèdent et se ressemblent sans discontinuer : mariage et mort. « Il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfants ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve et ainsi tous les sept. Ils moururent tous sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. » Comment faire mieux sentir que, pour eux, la répétition et la mort ont partie liée ? Les jeunes de mai 68 l’avaient bien perçu en dénonçant comme un malheur la fameuse succession « métro, boulot, dodo ».

Semblables aux anges

Si tout est répétition, on comprend qu’une autre vie après la mort est impossible. Elle ne pourrait que ressembler à la première. Jésus fait bien comprendre qu’une autre vie est une vie autre. Mais cette altérité n’est pas du même ordre que celle dont parle le Coran : « Les enfants de ce monde », après la mort, « ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges ». Que peut bien signifier cette expression ? Ne croyons pas que les anges sont des créatures évanescentes. Elles disent le passage de la parole entre Dieu et les créatures humaines, faites de chair et d’os. Elles sont l’affirmation d’un amour qui traverse l’humanité et appelle à la vie. On en voit le travail à l’Annonciation lorsque Marie apprend qu’elle sera mère ; on le voit aussi à la résurrection lorsqu’un groupe de femmes apprend, par-delà la mise au tombeau, que les amis de Jésus sont attendus : « Il vous précède en Galilée. » Nous serons semblables aux anges, c’est-à-dire que nous serons, comme Jésus lui-même, paroles de Dieu, messages de Dieu. Nous serons, en Dieu, la Parole que le Père, dans l’Esprit, adresse à son Fils. Nous serons « enfants de Dieu et enfants de la résurrection ».

Les musulmans attendent un autre monde et les saducéens le refusent. Le disciple de Jésus se distingue des uns et des autres. Certes, comme les musulmans, nous croyons à un monde autre, par-delà la mort. Mais nous croyons que l’au-delà du monde est dans ce monde et que, sans cesse, sans avoir à mourir, nous y avons déjà accès.

Changer de regard

Etant donné que le roman des Saducéens met en scène la vie matrimoniale d’une épouse malheureuse, on peut évoquer le lien entre les époux. La loi de Moïse prescrivait qu’un frère épouse sa belle-sœur quand elle était veuve et sans enfants. C’était dire que le but du mariage était le maintien d’une lignée. Avec Jésus l’horizon se modifie : l’amour des conjoints, quand il est sincère, est entrée dans le monde à venir, sans avoir à passer par une lignée. Chacun d’eux est réellement, pour l’autre, parole de Dieu. La vie déborde les événements de leur existence commune et ils sont pour l’autre sacrement de Dieu.

Entrer sans attendre dans l’autre monde c’est regarder le monde avec un autre regard. Le rationalisme de l’Occident a prétendu avoir la possibilité de dominer l’univers. Il est vrai que la science peut dominer le cosmos, franchir les distances qui nous séparent des astres, faire reculer la mort. Mais à s’enfermer dans les possibilités techniques dont il est devenu capable, l’homme est devenu artisan de mort. Les idéologies du siècle dernier nous révèlent que les grands esprits qui font le monde se doivent d’être modestes. On peut concevoir des réalisations extraordinaires et pourtant engendrer la mort. A la veille du siècle des lumières, un grand esprit qui était aussi un homme de vraie foi, avait perçu le danger : « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. » (Pascal)

On a commencé cette homélie en se situant par rapport aux convictions de nos voisins musulmans. Nos regards sur la vie, sur la mort, sur l’Au-delà, sur Dieu lui-même, sont sans doute profondément divergents. Mais nous aurions tort de chercher à savoir qui a tort et qui a raison. Ce serait enfermer le Dieu de Jésus dans une vérité qui, sous prétexte d’être chrétienne, ne peut être que bornée. La vérité à laquelle nous nous référons dépassera toujours ce que nous pouvons concevoir. Nous devons être pour eux « enfants de résurrection » ; nous avons à accepter d’inventer avec eux une vie prometteuse.

Michel Jondot


« Héritiers de la Résurrection »

Le Mystère de la naissance

Que les parents s’interrogent ! Quels sont les plus beaux moments de leur vie sinon ceux où ils ont vu leur amour déboucher sur une vie nouvelle. On fait au nouveau-né le plus beau cadeau qu’un être humain puisse désirer en lui conférant le nom et le prénom qui lui permettront d’avoir sa place dans la société des hommes. On lui prodigue tous les soins possibles ; on serait prêt à donner sa vie s’il le fallait. Imaginez un incendie : le père n’hésite pas à mourir si c’est nécessaire pour que vive celui qui vient de voir le jour. On donne, on se donne mais d’une façon étrange. Rares sinon inexistantes les situations où l’on donne à autrui sans attendre au moins un geste de reconnaissance. En l’occurrence, on se moque de ne pas recevoir un merci qu’aucun bébé n’est capable d’exprimer. Il y a plus étrange encore : en prenant ce petit être vagissant entre leurs bras, père et mère n’ont pas l’impression de donner mais plutôt de recevoir. Ce mystère est grand !

Trop grand mais infiniment désirable. On le comprend ; au cours des siècles les hommes ont cherché par tous les moyens à sauver cette possibilité. Dans plusieurs civilisations – la civilisation juive en particulier – on a cherché à sauver ce mouvement où se confondent l’acte de donner et de recevoir. La loi du lévirat imposait à un homme qui n’était pas marié d’épouser la femme de son frère lorsque celui-ci était mort sans avoir reçu ou donné une descendance. On a réussi ces dernières années à arracher des couples à la stérilité en inventant la « Procréation médicalement assistée ». On entend des couples homosexuels revendiquer la possibilité d’entrer eux aussi dans ce mystère de l’enfantement. Ces événements sont dans la logique de cette recherche juridique des âges antiques : elle est de tous les temps.

Par-delà toute raison

Les médecins peuvent décrire minutieusement de quel processus l’événement d’une naissance est le terme. Les biologistes produisent des livres et des livres pour faire connaître le travail des cellules, des gènes et des chromosomes. Ils inventent des termes savants pour se faire comprendre. Mais ce que vivent un homme et une femme en cet instant où ils deviennent père et mère, cette situation où l’on ne sait plus démêler l’acte de donner et celui de recevoir, par quel mot le désigner ? Avouons qu’il est trop grand pour pouvoir entrer dans nos langages et nos calculs. Avouons aussi que l’acte de ressusciter dont parlent les sadducéens ressemble à celui de la naissance. Par un certain côté, on les comprend ces intellectuels qui prennent Jésus au piège. Pas plus au temps de Jésus qu’à l’époque où nous vivons, la Résurrection, tout comme la naissance, ne peut être réduite à un phénomène que la raison des philosophes et des savants pourrait analyser ni décrire. Rien ne peut garantir que la possibilité d’une vie par-delà la mort puisse encore être reçue. Donner et recevoir se confondent aux moments les plus beaux de notre existence sans que nous puissions en expliquer la raison. Perdre la vie et la retrouver relèvent du même ordre qui dépasse nos raisons. On hérite de la vie en venant au monde. Nous sommes encore héritiers – c’est le mot de Jésus – lorsque nous quittons la société des vivants. « Héritiers de la Résurrection » : tel est le titre qui désigne la condition que Jésus nous promet.

La confiance est humaine

J’entends les objections. Nous ne pouvons peut-être pas rendre compte scientifiquement de la joie accompagnant une naissance mais nous en sommes témoins. Nous en faisons l’expérience dans nos propres vies et ce que des parents éprouvent dans leur histoire, nous le reconnaissons. Mais nul n’a jamais vu un mort sortir de son tombeau hormis Jésus en qui nous croyons.

C’est bien à partir de la Résurrection de Jésus, en effet, qu’il nous faut entendre l’Evangile de ce jour annonçant un monde autre que celui où nous vivons encore, un monde où les fils et filles d’homme seront « fils de Dieu, héritiers de la Résurrection ». Pourquoi y croyons-nous ? Par naïveté ? En réalité, l’acte de croire est profondément humain, il suppose l’acte de parler. Celui-ci met en relations des êtres humains qui se font confiance. Par-delà les siècles des hommes et des femmes ont reçu cette nouvelle (« Il est ressuscité ! ». Ceux qui la recevaient faisaient confiance à ceux qui la transmettaient et cette confiance a régné jusqu’à nous. Donner et recevoir : le mystère de la vie humaine ! Croire que Jésus est ressuscité manifeste le triomphe de la parole entre des sujets qui continuent à s’adresser les uns aux autres. Quoi de plus humain ? Ce Jésus dont on nous dit qu’il est ressuscité nous a lui-même annoncé ce « monde à venir ». Nous lui faisons confiance, tout simplement.

Ce mois de novembre est un temps où nous nous souvenons de tous ceux qui nous ont précédés. Recueillons-nous en rallumant notre confiance aux paroles que l’Evangile véhicule. Le 11 novembre, notre pays se recueille en se rappelant que voici à peu près un siècle, près de 20 millions d’humains se sont donné la mort. Quel carnage ! C’est le fruit des calculs et des intérêts des peuples, le contraire du mystère de la vie où l’on donne et reçoit sans compter.

Christine Fontaine