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5ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 1, 29-39

En quittant la synagogue, Jésus, accompagné de Jacques et de Jean, alla chez Simon et André. Or, la belle-mère de Simon était au lit avec de la fièvre. Sans plus attendre, on parle à Jésus de la malade. Jésus s'approcha d'elle, la prit par la main, et il la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.

Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades, et ceux qui étaient possédés par des esprits mauvais. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit toutes sortes de malades, il chassa beaucoup d'esprits mauvais et il les empêchait de parler, parce qu'ils savaient, eux, qui il était.

Le lendemain, bien avant l'aube, Jésus se leva. Il sortit et alla dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ses compagnons se mirent à sa recherche. Quand ils l'ont trouvé, ils lui disent : « Tout le monde te cherche. » Mais Jésus leur répond : « Partons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle ; car c'est pour cela que je suis sorti. » Il parcourut donc toute la Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les esprits mauvais.

S’étonner sans cesse
Michel Jondot

Le Bon Dieu !
Christine Fontaine

Croire n’est pas savoir
Michel Jondot


S’étonner sans cesse

Le risque du désenchantement

Rares sont les relations que le temps n’altère pas. Une amitié se noue : deux personnes ont l’impression de se connaître, se lancent dans des projets communs, heureux de se retrouver ; vient parfois un moment où ils s’aperçoivent qu’ils se sont trompés. En réalité l’autre s’avère décevant : il n’est pas celui que l’on croyait au départ. Ce phénomène est fréquent de nos jours entre les époux. On croit aimer quelqu’un, on s’engage à son égard et l’histoire révèle que celui ou celle qu’on a épousé était enfermé dans une sorte de rêve. Les années alors dissipent les illusions et l’amour s’efface, parfois tragiquement.

Dès le début de sa vie publique, Jésus protège son entourage de ces désenchantements. On se presse autour de lui et tous sont fascinés : qu’il entre dans une maison, qu’il prenne la main d’une malade, la belle-mère de Simon, et la voici guérie ! Quand il prend de la distance pour prier on se précipite à sa recherche. Sans doute est-on séduit par cet homme venu de Nazareth qui guérit et redonne le goût de vivre : « La ville entière se pressait à sa porte. »

L’illusion du savoir

Une phrase intrigue les Occidentaux de notre siècle : « Il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était. » Jésus partageait la culture de son temps. Face au mystère du mal, on ne pouvait penser que Dieu en est la source. On appelait « démons » les agents invisibles d’une force mauvaise dont les maladies sont les effets. Cette force du mal, à en croire St Marc, Jésus la repère dans les paroles qu’il entend. Critiquant les discours de ses contemporains, Nietzsche le philosophe en est venu à dire qu’il entendait « les grenouilles coasser dans leurs paroles ». L’expression pourrait convenir pour rendre compte des réactions de Jésus face aux propos qu’il entendait.

L’entourage de Jésus attendait le Messie. Face aux guérisons qui s’opéraient on avait l’impression, même « après le coucher du soleil », de baigner dans la lumière et on avait envie de faire la fête comme les paysans de Galilée après la récolte. On avait l’impression d’entrer dans le temps qu’avait chanté le prophète Isaïe parlant de l’arrivée de l’héritier de David : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière… ils se réjouissent comme on se réjouit de la moisson… » On reconnaissait en lui Celui que l’Écriture annonçait ; on voyait bien, on savait bien qui il était.

En réalité, ils savaient trop bien et ils réduisaient Jésus au rêve qu’avait fait naître la lecture des Prophètes. Jésus ne pouvait les laisser dans l’illusion. Savoir n’est pas croire. Celui-qui sait domine l’objet de son savoir et n’a plus à s’interroger. On ne peut enfermer Jésus dans un savoir.

Sortir de l’imaginaire

Contrairement à ceux qui prétendaient savoir, Marc, au début de son texte, parle des « disciples » de Jésus. Par définition, loin de savoir, un disciple apprend. Avant de connaître, il faut sortir de l’imaginaire, quitter non seulement sa barque et sa maison mais l’idée qu’on peut se faire de celui qu’on a décidé de suivre. Ceux qui marchent derrière lui sont témoins de ses miracles autour de la synagogue de Capharnaüm, dans la maison de Simon et dans son voisinage ; ils ne sont pas au bout de leurs découvertes. Ils s’interrogeront : « Quel est donc celui-ci pour que les vents et la mer lui obéissent ? » Jésus leur demandera : « Qui suis-je aux dires des gens... Et pour vous qui suis-je ? » Il est, en effet, une question plus qu’un savoir. Simon croyait pouvoir saisir la vérité : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » En réalité, il était encore dans l’ignorance, prisonnier de son imaginaire ; il ne pouvait pas croire Celui qui leur annonçait sa mort et sa Résurrection. « Non cela ne t’arrivera pas… Tous se demandaient ce que pouvaient signifier ‘ressusciter d’entre les morts’… » Il leur fallut traverser la nuit du procès d’abord et ensuite celle de la mort sur la croix lorsqu’ « à la neuvième heure, les ténèbres recouvrirent toute la terre ». Alors s’écroulèrent tous les rêves : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ! », avouèrent deux disciples en marche sur la route d’Emmaüs. Quand furent tombées toutes les images, après la Résurrection, ils purent enfin le reconnaître « à la fraction du pain » mais ils ne purent le saisir : « Il disparut à leurs yeux… »

Le chercher et le trouver

Les croyants sont avertis mais ils risquent encore, à leur tour, de laisser les démons coasser dans leur propos comme les grenouilles dont parlait le philosophe. Les chrétiens parfois sombrent dans l’illusion en prétendant tenir la vérité sur Dieu en adhérant aux dogmes de l’Église ou à sa morale. Certes, il faut bien des mots et des sacrements pour que se noue la relation à Celui que Jésus a fait connaître ; mais celui en qui nous croyons ne se laisse pas enfermer dans nos représentations : le rejoindre, c’est le chercher : « Cherche pour le trouver, trouve-le pour le chercher » (Augustin).

La foi est à l’épreuve lorsqu’on connaît des périodes de détresse ; pourquoi le Seigneur a-t-il permis telle maladie, telle mort, telles violences, telles guerres, telles injustices ? « Je ne veux pas d’un Dieu qui laisse mourir les petits enfants », disait un personnage de Camus. Mystère qu’il faut savoir traverser comme un désert sans cesser de chercher le désir qu’un Autre a de nous. Oui, Dieu nous échappe, reconnaissons-le, mais ne cessons pas de l’appeler et de le chercher.

Cherchons-le sans fuir les réalités de ce monde, là où il nous est donné de pouvoir aimer. Il en va de la rencontre d’autrui comme de la rencontre de Dieu. On ne peut aimer qui que ce soit sans être capable de se donner à l’autre par-delà toutes les images que nous pouvons nous en faire. Si l’ami ou le conjoint nous déçoivent, cherchons le chemin à prendre, celui de la conversion ou celui du pardon. Dieu se manifeste là où l’amour nous libère de tout imaginaire.

Michel Jondot


Le Bon Dieu !

Tout le monde vient à lui

Comment la guérison de la belle-mère de Pierre a-t-elle été connue aussi vite ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr c’est que cette bonne nouvelle s’est répandu plus vite qu’une traînée de lumière ! Cette femme alitée avec de la fièvre il y a un instant, voici que, l’instant d’après, elle se retrouve debout capable de servir ses invités ! Une guérison totale, sans convalescence, une guérison qui remet sur pied à l’instant même celle qui était écrasée par la maladie, une telle guérison ne peut passer inaperçue… Voici qu’un homme, Jésus, s’intéresse non seulement aux infirmes et aux paralysés, aux aveugles et aux boiteux, mais qu’il se penche aussi sur une pauvre femme qui est au lit avec une simple fièvre. Voici qu’un homme, Jésus, ne se résigne à aucune de nos maladies ! Il guérit toutes sortes de malades ! Cette bonne nouvelle ne peut que se répandre plus vite que la lumière !

Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades et ceux qui étaient possédés par des esprits mauvais. La ville entière se pressait à sa porte.
Il guérit l’âme, le corps, l’esprit… comme ça vient, comme ça se présente. Il guérit toutes nos maladies, aucune ne lui semble insignifiante ! Il se penche sur toutes nos détresses et il nous en délivre ! Il n’y a pas pour lui de maladies sans importance ; tout ce qui est malade, il le guérit. C’est sa manière de proclamer la Bonne Nouvelle !

Il s’écarte du monde

Le soir venu, après le coucher du soleil il donne à profusion la santé à tous ceux qui l’approchent. Et le matin, bien avant l’aube, il se lève, il part dans un endroit désert. Et il prie.
Il prend à peine le temps de dormir tant il est plein de cette détresse qu’il a vue, de cette détresse qui l’a assailli, de ces souffrances qu’il a guéries. Il vient avec elles. Il les porte en lui et il les expose à son Père.

Qui pourra jamais percer le secret de cette prière, de cet élan d’amour, de compassion, de cette immense tendresse que Jésus a pour nous ?
« Père… »
Il porte en son cœur ceux qu’il a guéris, et ceux qui demeurent malades, il nous porte tous dans sa prière ;
« Père… »
Qui pourra jamais deviner de quel amour nous sommes aimés lorsque Jésus – au lever du jour – lorsque nous dormons, demeure en éveil et nous expose à son Père.
Qui pourra jamais percer le secret de cette prière, de cet élan d’amour de Jésus vers son Père ?

Tout le monde le cherche

Simon et ses compagnons se mirent à sa recherche. Quand ils l’ont trouvé, ils lui disent : « Tout le monde te cherche. »
Tout le monde cherche celui à qui nous pourrons exposer non seulement nos grandes souffrances mais aussi nos petites détresses. Tout le monde cherche celui qui ne méprise pas une simple fièvre, sous prétexte que ce n’est pas une grande maladie !

Tout le monde le cherche et il demeure au milieu de nous, mais nous ne le reconnaissons pas. Nous disons : «Nous n’allons pas déranger le Bon Dieu pour nos petites misères, il a bien autre chose à faire que de nous écouter… Nous disons : «Dieu ne fait plus de miracle, il faut vivre avec nos grandes et petites détresses... »

« Père… », dit Jésus, pourvu qu’ils comprennent ! Pourvu qu’ils découvrent que ton seul désir est de les guérir tous, de les sauver de toute tristesse. Pourvu qu’ils croient que si j’ai guéri des malades en faisant des miracles c’est pour leur révéler que la Vie est toujours le miracle de Dieu, le don de Dieu ! Pourvu qu’ils comprennent que s’ils sont encore malades c’est parce quelque chose s’est faussé dans l’humanité mais que viendra le jour où pour tous tu feras toutes choses nouvelles ! Père, pourvu qu’ils croient que je suis venu pour leur donner la Vie, au cœur même des épreuves, « car c’est pour cela que je suis sorti… » Père, pourvu qu’ils en viennent à croire que tu es vraiment leur Bon Dieu !

Christine Fontaine

Croire n’est pas savoir

La foi est à l’épreuve

Depuis plus d’un siècle, la foi est mise à rude épreuve dans nos pays occidentaux. Nos aïeux savaient à quoi s’en tenir pour être comptés parmi les croyants. On connaissait les origines de l’univers ou de l’homme. On nous communiquait les mots exacts pour parler de la rédemption, du péché, du siècle à venir, du jugement final. Les conciles, au fil des siècles, avaient mis au point les définitions qu’on apprenait par cœur pour pouvoir être capables de dire « Je crois ». Les plus âgés, dans l’Eglise d’aujourd’hui, se souviennent de leur enfance. Depuis l’âge de sept ou huit ans, on les faisait entrer dans un jeu de questions et de réponses qu’il fallait apprendre par cœur avant de faire « Profession de foi ». Le moment venu, chaque enfant comparaissait devant un jury composé de plusieurs prêtres et présidé par le doyen. Devant ces personnages vénérables, il devait faire la preuve qu’il savait à quoi s’en tenir pour être admis à assumer, lors d’une Communion solennelle, la foi de son baptême.

Jésus, personnage insaisissable

Sans doute y avait-il quelque chose d’illusoire à réduire la foi à un savoir. Croire en Dieu n’est pas l’enfermer dans un savoir, même s’il faut choisir ses mots lorsqu’on parle de lui. On ne peut emprisonner le mystère de la rencontre entre l’homme et Dieu. Prétendre connaître quelqu’un revient à l’enfermer dans les représentations qu’on se fait de lui. Marc dénonce cette illusion. Jésus échappe à tout ce qui peut le retenir. Le portrait qu’on nous fait de Lui est celui d’un personnage insaisissable. Certes, il se laisse toucher et il n’hésite pas à entrer dans la maison de Simon, à prendre par la main la malade qu’il y trouve et à la mettre debout. Il ne fuit pas les foules qui se pressent vers lui : « La ville entière se pressait à la porte ». Mais on ne peut le retenir : pas plus dans les murs de la maison que dans les foules qui l’enserrent.

Ce Jésus n’est pas seulement l’homme des foules : il s’échappe. De la ville qui l’entoure il s’écarte pour se retrouver en plein désert. Il avait demandé – c’était au bord du lac – à Jacques et Jean, à Simon et André de le suivre. Ils se retrouvent seuls, décontenancés : « Où est-il ? » Ils partent à sa recherche et quand ils le retrouvent ce n’est pas pour mettre la main sur lui puisqu’il est inaccessible à leur appel, tourné vers l’invisible, le Père dont il vient faire la volonté : « il priait ».

Qui cherche qui ?

Le mouvement dans lequel sont pris les personnages est étonnant. Qui cherche qui ? Ses amis lui disent qu’on l’attend : « Tout le monde te cherche ! ». En réalité lui aussi est en attente : « Partons dans les villages voisins. » Il n’y est pas attendu mais il a à leur parler, il désire parler : « J’ai à leur porter la Bonne nouvelle ».

Dans cette expression réside tout le mystère de la foi. Celle-ci suppose la parole et il n’est point de parole sans attente mutuelle. Dieu parle en Jésus et la parole de Dieu, en Jésus, fonctionne le plus humainement du monde ; elle suppose l’écoute du Père qu’il prie dans le désert mais aussi cette écoute est inséparable de ces hommes et ces femmes de Galilée qui attendent une vie nouvelle, sans cesse nouvelle. Jésus écoute l’humanité ; sa parole est inséparable de ce qu’attend l’humanité. Et Jésus répond d’une façon inédite, neuve et heureuse. Sa parole est nouvelle, Bonne nouvelle.

Quand on devine ce travail de la parole qui entraîne Jésus, ses amis et les foules, quand on voit qu’il n’est pas de parole vraie, croyante, sans écoute, sans attente, sans recherche d’autrui, on comprend peut-être la place de ce que Marc appelle « les esprits mauvais ». Ceux-ci ont quelque chose à voir avec ce fonctionnement dans lequel Jésus est pris. Jésus, en effet, « les empêchait de parler ». Marc précise en quoi ils sont des obstacles à ses discours : « Il les empêchait de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était ». Quand on sait, on n’a rien à apprendre ; on n’a pas à écouter. Quand on sait, rien à attendre. Quand on est hors du parcours de la parole, on est hors de la foi.

Face à la modernité

Oui, c’est vrai, la foi est à l’épreuve devant les affirmations de la science. Oui, c’est vrai, on peut douter de la pertinence de tel ou tel énoncé formulé au cours des siècles. Est-ce pour autant sortir de la foi ?

On peut d’abord remarquer que s’accrocher à ce que la modernité nous apprend, dominer les lois de la médecine ou de la physique, de l’histoire ou de l’anthropologie, acquérir un savoir certain est sans doute insuffisant pour vivre humainement. Si les connaissances dont nous disposons écrasent notre entourage, que nous soyons croyants ou non, nous gâchons la vie. Ils sont agaçants tous ces savants qui jouent au redresseur de torts et qui n’ont rien à désirer de personne, rien à apprendre.

On peut dire aussi, dans la mesure où nous demeurons croyants, que la foi ne s’arrête pas au contenu des formules qui nous définissent comme chrétiens. Il faut redécouvrir, beaucoup de théologiens nous aident à le faire, qu’en réalité, dans tous ses énoncés, l’Eglise fait autre chose que de communiquer un savoir. Ce que nous prononçons nous met en relation avec celui qui est la source de toute parole. Notre imagination travaille autour des affirmations de l’Eglise ; foin de nos représentations. En réalité leur vérité tient avant tout dans le fait qu’elles nous maintiennent à l’écoute de tous et, à travers cette écoute, nous maintiennent dans le mouvement qui déplaçait Jésus de la maison où gisait une malade au désert où il priait le Père, de village en village à travers la Galilée. Non croire n’est pas savoir. Croire conduit à s’arracher à ce qui paralyse pour aller à la suite de Jésus « de commencement en commencement vers des commencements qui n’auront pas de fin ». Ainsi parlait un Père de l’Eglise.

Michel Jondot