Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à "Ouvertures sur la beauté" / Retour à "Fêtes liturgiques" Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

Semaine Sainte 2022

Jeudi Saint
Véronèse
La Cène
Texte de Paul-Louis Rinuy

Vendredi Saint
Rainer
Sans titre
Texte de Paul-Louis Rinuy

Dimanche de Pâques
Grünewald
La Résurrection
Texte de Paul-Louis Rinuy

Jeudi Saint

Véronèse
Le repas chez Levi, primitivement appelé La Cène



Véronèse
Véronèse, Le repas chez Levi, primitivement appelé La Cène,
1573, 555 x 1310 cm, Venise, Galerie de l’Académie.

Paolo Veronèse (1528-1588) est un des plus brillants peintres coloristes du siècle d’or de Venise, le XVIe siècle, où il côtoie Titien et le Tintoret. Il eut de très nombreuses commandes religieuses et publiques et sut, avec une énergie sans limite, inventer des compositions capables d’animer de gigantesques surfaces. Le Triomphe de Venise, au palais de Doges, mesure plus de 50m2 et les Noces de Cana, au Louvre, comptent 130 personnages et 65 m2.

Cette toile monumentale transforme le dernier repas du Christ en un somptueux festin dans la luxueuse Venise du XVIe siècle. Elle a été commandée par les dominicains de l’église Santi Giovanni e Paolo qui souhaitaient, dans leur réfectoire, remplacer une Cène du Titien détruite en 1571. Mais la richesse colorée trop marquée et la fantaisie sans limite de cette ample composition déplurent aux commanditaires qui déférèrent Véronèse devant le tribunal du saint Office. Dans les minutes du procès, conservés aux Archives d’état de Venise, on apprend que la distance prise avec les textes évangéliques sembla trop grande et que le mélange des personnages sacrés et profanes parut choquant. Certains personnages, ajoutés sans raison autre que décorative, furent jugés particulièrement inconvenants par rapport à la dimension religieuse du dernier repas du Christ avant la Passion, qui institue l’Eucharistie. Le nain au perroquet au premier plan à gauche, ou les trois chiens dans la partie centrale du tableau, ou encore les hommes d’armes allemands à droite choquaient l’Inquisition vénitienne qui en vint à accuser Véronèse d’hérésie. Le peindre plaida la totale liberté du peintre et justifia son ambition de créer une composition décorative et somptueuse, de manière à honorer ses commanditaires et à mettre en valeur l’éclat sans pareil de la civilisation vénitienne contemporaine.

Sommé de remanier sa toile pour en supprimer les fantaisies inacceptables, Véronèse refusa finalement de modifier son tableau. Il se contenta d’en changer le titre en le nommant Le repas chez Lévi. Lévi est en effet le nom que Marc et Luc donnent à Matthieu : Jésus vient juste de recruter cet homme appelé à devenir un des quatre évangélistes. Et les pharisiens s’offusquèrent de ce repas chez Lévi, dit aussi le repas avec les pécheurs : « Quoi ? il mange avec les publicains et les pécheurs ? Jésus qui avait entendu leur dit : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecins, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les Justes, mais les pécheurs. » (Luc, 5, 28-32).

Le choix du titre constitue donc une réponse habile aux accusations de l’Inquisition, identifiée ainsi aux Pharisiens. Et la liberté de l’artiste, voire de chaque conscience humaine, dans l’interprétation personnelle des textes bibliques, se dessine en filigrane, dans ce tableau éclatant de la Venise du XVIe siècle. Dans la joie de la fête et la somptuosité des couleurs, l’inventivité singulière de chaque artiste, si prisée aujourd’hui, commence à devenir un des critères de la peinture.

Paul-Louis Rinuy