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Aide à mourir ou aide à vivre ?
Arnaud et son équipe soignante

Le projet de loi sur la fin de vie est en cours de discussion au parlement. L’autorisation d’une aide à mourir est envisagée. Elle serait accessible à des patients atteints d’une pathologie incurable en phase avancée ou terminale (terminologie en discussion) et présentant une souffrance réfractaire. D’autres nations comme les Pays-Bas ont commencé ainsi avant d’élargir les indications. La complexité de ce débat a été évoquée dans plusieurs textes publiés sur le site de Dieu Maintenant (1). Le témoignage qui vous est proposé le confirme. Arnaud (2) nous raconte son histoire. En 2015, Il aurait peut-être pu accéder à une aide à mourir si la loi l’avait autorisé. Son expérience est éclairante. Écoutons-la.

(0) Commentaires et débats

« Atteint de la maladie de Crohn depuis l’adolescence, chaque jour, chaque évènement qui a jalonné mon parcours a été impacté par la souffrance… »

J’ai conscience qu’une perfusion ratée, un dosage ou traitement mal adapté ou toute autre erreur et ajustement effectués dans le cadre des soins ne constitue – selon moi – que les aléas du parcours de soins long et délicat, entre un patient et le personnel soignant. Cependant, les nombreuses situations dans lesquelles je me suis souvent retrouvé ont fini par générer chez moi un délitement de la confiance qu’on me demandait d’accorder, suivi d’une profonde méfiance à l’encontre de ces personnes qui se font appeler « soignants ».

Atteint de la maladie de Crohn depuis l’adolescence, chaque jour, chaque évènement qui a jalonné mon parcours a été impacté par la souffrance, la fatigue, les divers médicaments et les allers–retours à l’hôpital. En substance, je dirai que la maladie exclut de nombreuses choses, au point qu’il n’est pas rare que l’on finisse par s’exclure d’une société basée sur la performance, où la mise en compétition commence dès l’enfance.

En 2011, voilà désormais 20 ans que je suis cortico dépendant. Arrivé au bout de ce que mon organisme semble encore pouvoir supporter, je suis en mesure de m’alimenter avec 4 biscuits et verres d’eau par jour.

Début 2012 commence le traitement avec perfusions de REMICADE. Après hospitalisation, du 20 septembre au 2 octobre de cette même année, il est décidé, en concertation avec le médecin du service gastro, de recourir à une intervention chirurgicale qui ne semble pas être très compliquée car seule une partie de l’intestin grêle est atteinte de sténoses. De multiples cicatrices parcourent le colon ; néanmoins, la résection concernera uniquement une partie haute du système digestif. On se veut confiant et rassurant. Opération effectuée le 17 octobre ; je réintègre ma chambre. Je ressens quelques douleurs post opératoires bénignes et ordinaires. Quelques jours plus tard, on me dit qu’il est temps de quitter l’hôpital. J’avoue être surpris car je peine à me tenir debout, je me tiens complètement voûté et j’éprouve de grandes difficultés à faire quelques pas. Toutefois, je pense que cela doit être habituel après ce type d’intervention.

De retour à mon domicile, je tente de m’allonger. C’est à ce moment-là qu’une douleur vive me lance très fortement au niveau de l’abdomen : retour à l’hôpital le lendemain matin (23 octobre).

« Personne ne semble s’inquiéter des douleurs qui s’intensifient. »

Dès lors, au niveau de la cicatrice, apparait une zone rouge enflammée et un gonflement. Mes constantes sont normales Se basant uniquement sur elles, personne ne semble s’inquiéter des douleurs qui s’intensifient. Le 24, en soirée, le chirurgien vient s’enquérir de mon état et constate l’inflammation due probablement à un abcès pariétal. Il incise au niveau de la cicatrice tout en précisant que les chairs se sont bien refermées. Il enfonce un tube dans l’ouverture et appuie pour faire sortir le pus. Je ressens une vive douleur, mais suis soulagé parce qu’il est enfin venu me voir…

Une heure après son départ une nouvelle douleur aigue, très intense, fait se raidir tout mon corps. Une infirmière arrive et me dit qu’à cette heure tardive aucun médecin ne viendra me voir. Pour me soulager, elle me donne un comprimé de doliprane. La nuit passe puis les jours s’ensuivent dans une souffrance absolue. Impossible de dormir, de trouver un instant de répit. Je perds toute notion du temps. J’ignorais alors que la douleur à son paroxysme garde éveillé à en perdre presque la raison.

Je suis dans l’incompréhension. J’entends des infirmières parler derrière la porte : elles se demandent pourquoi on me laisse dans un tel état. Les plateaux repas déposés repartent intacts, sans un mot, un regard dans ma direction. Quand on allume dans la chambre, je garde les yeux clos : en l’absence de sommeil, toute luminosité est devenue insupportable. Une aide-soignante témoin de mon calvaire quotidien vient me glisser à l’oreille qu’elle fera son possible pour prévenir le médecin - gastro - en charge de mon cas qui se trouve à quelques mètres du service de chirurgie dans lequel je me trouve.

Le 26, en pleine nuit, ce médecin vient m’examiner. Elle effleure à peine mon ventre et demande qu’il soit fait un scanner en urgence. Elle me dira plus tard que sans sa venue, je n’aurais pas passé la nuit…
Péritonite entraine intervention chirurgicale URGENTE le 27 octobre - résection iléo caecale –. Je me réveille après cette intervention avec de multiples poches et drains au niveau de l’abdomen et des flancs. Cette fois, on s’affaire autour de moi ; je ne suis plus seul face à cette nouvelle situation. Je me sens soulagé, je ne souffre plus.

Le 1er décembre, je retourne à mon domicile avec une stomie que je garderai 7 mois. Lors d’une consultation à l’hôpital en vue d’une nouvelle intervention pour rattacher les intestins et enlever la poche, le chirurgien, inspectant la stomie, a tiré sur l’intestin qui dépassait et celui-ci est resté à l’extérieur créant un important prolapsus ce qui lui a fait dire, d’un air amusé, que ne n’était rien car il ne restait que 3 mois avant la prochaine intervention chirurgicale.

Les incisions sur le ventre ont laissé des cicatrices gênant l’adhésion de la poche : j’ai dû constamment la maintenir quand je me tenais debout. Le 6 juin 2013 la continuité digestive est rétablie. Je rentre chez moi 8 jours plus tard.

« On me dit que les douleurs sont d’ordre psychologique… »

Les jours se succèdent et des douleurs de plus en plus insupportables s’installent. Je m’alimente avec des boissons hypercaloriques. Lors de mes rendez-vous en médecine pour des séances durant lesquelles on m’administre mon nouveau traitement sous forme de perfusion (REMICADE), je ne tiens pas en place sur le siège, il m’est devenu impossible de rester plus de quelques minutes assis, debout ou même allongé sans souffrir. Je n’arrive plus à avaler les boissons qui servent à m’alimenter.

On me dit que les douleurs sont d’ordre psychologique…

Le temps passe ; les consultations avec l’équipe anti-douleur de l’hôpital ne m’apportent aucun soulagement. Je suis très amaigri et fragilisé. Lors de mon dernier rendez-vous avec cette équipe, la cheffe de service m’incite à quitter cet hôpital car le personnel en charge de mon cas a décidé que le problème étant d’ordre psychologique, on ne s’occuperait plus de moi.

A plusieurs reprises, lors de mes séjours hospitaliers, des médecins, infirmières et aides-soignantes se confient à moi lorsque mon état de santé est devenu « préoccupant ». C’est ainsi que j’ai fini par comprendre que certaines situations auxquelles j’ai dû faire face, étaient dues en partie à des problèmes humains, des conflits internes entres services, médecins… Avec le recul je pense que le besoin de se couvrir mutuellement était très présent. Ces personnes qui m’ont tourné le dos sont venues me voir tour à tour le soir, alors que j’étais seul dans ma chambre, après l’intervention qui m’a valu le port de la poche, se confondant en excuses et s’enquérant de savoir si je pouvais prouver ce qui m’était arrivé et qui serait mis en cause…

Au cours d’une consultation, le chirurgien qui a dû intervenir en urgence lors de ma péritonite me précise que cette intervention a été vraiment compliquée et que désormais je n’ai pas d’autre choix que de vivre avec toutes ces douleurs. Si j’envisageais de consulter un autre chirurgien et que celui-ci me propose une nouvelle intervention, je devrais refuser car j’étais dorénavant devenu « inopérable ».
Les mois passent pendant lesquels je reste alité la majorité du temps, perclus de douleurs indescriptibles.

Les semaines sont rythmées par les rendez-vous au service antidouleur (tous les 15 jours), les perfusions de REMICADE, scanners, analyses de sang, PENTASA, cortisone, hospitalisation du 22 au 30 octobre 2013, coloscopie, IRM, échographie, RIVOTRIL, OXYCONTIN à compter du 4 février 2014, Zona sur le cou en mars 2014. IRM dorso-lombaire 23 avril – IRM sacro iliaque 29 avril. Dernière perfusion de REMICADE le 26 mai 2014. 29 août radio pulmonaire, échographie. Psoriasis le 27 novembre 2014.

Les examens ne permettent pas de trouver un traitement pour soulager ma souffrance. En avril 2015, je peux marcher avec une canne pour quelques courtes « promenades » mais je suis très affaibli, ne pouvant guère m’alimenter. Début mai, mes proches font appel à l’équipe mobile territoriale d’accompagnement et de soins palliatifs à domicile… Un nouveau traitement est préconisé : le LAROXYL Il est évident que cette équipe manque totalement de moyens d’intervention.

Je ne parviens que péniblement à m’exprimer, pris de spasmes au niveau du diaphragme. Mon souffle est court, ma respiration lente et peu perceptible. Voilà des mois que je « tiens » pour je ne sais quelles raisons, dans un état proche de la fin. J’attends que tout cela s’arrête, sous le regard impuissant d’un entourage bienveillant.

« En peu de temps, j’intègre le fait que je ne semble plus être considéré comme une simple somme d’organes fonctionnels ou dysfonctionnels mais comme une personne à part entière. »

C’est à ce moment qu’intervient une personne très singulière : il s’agit d’un jeune homme ayant travaillé auprès de personnes au dernier stade de leur existence. Cet infirmier, collègue d’une amie de mon frère, vient chez moi, à mon chevet. Il me dit comprendre la situation dans laquelle je me trouve et que si je reste ainsi dans un tel état de souffrance et sans pouvoir m’alimenter, il est plus que probable que je mourrais à mon domicile dans quelques jours.

Il suggère de parler de moi à quelqu’un qu’il estime et pourrait me rencontrer afin d’envisager une prise en charge par son équipe. Très rapidement un rendez-vous est pris dans un autre hôpital, auprès de l’équipe mobile douleur et soins palliatifs. Après entretien, j’accepte l’implantation d’une Chambre à Cathéter le 18 juin 2015 et suis hospitalisé le jour même.

En peu de temps, j’intègre le fait que je ne semble plus être considéré comme une simple somme d’organes fonctionnels ou dysfonctionnels mais comme une personne à part entière. Chaque mot que je prononce avec difficulté est écouté, chaque bout de phrase interprété afin de me comprendre et non de m’accabler.

C’en est surprenant : je finis par me dire que peut être, ici, il est possible que l’on me croie. Les jours passent ; j’ai l’impression que le moindre malaise vagal est scruté à la loupe comme si ma vie comptait pour des personnes qui ne connaissent rien de moi.

Mes expériences en milieu hospitalier m’avaient fait penser le contraire. Il me semblait que ce qui m’avait mené à une impasse précédemment était le fruit d’une forme de jugement négatif permanent.
Cela peut paraitre étrange, mais, dans l’état de souffrance et fragilité dans lequel je me trouvais, à force de m’entendre dire à chaque nouvel « accident » ou « complication » que je n’y étais pour rien et, la même journée, « vous avez encore fait une complication », ces phrases répétées finirent par s’imprimer comme l’ensemble des gestes médicaux maladroits, voire malveillants par moments, pour créer en moi ce sentiment de culpabilité, d’être jugé.

Au fil des jours, l’environnement positif : la situation de la chambre individuelle, avec vue sur la campagne, l’attention de chacun (à tous les niveaux), les visites de mes amis, de ma famille, influent sur mon état.

J’avoue ne pas avoir d’explication complète des raisons qui ont fait que mon état de santé finit par se stabiliser et non se dégrader comme par le passé. Mon organisme finit par accepter lentement les boissons hypercaloriques par voie orale. J’ai la possibilité de peindre dans ma chambre…
Je suis resté hospitalisé 3 mois, avec le sentiment qu’une véritable prise en charge totale des maux qui m’accablaient a été réalisée.

Arnaud, Mai 2025

Quelques réactions de l’équipe d’Arnaud

François, médecin : Lorsque nous avons rencontré Arnaud, âgé d’une quarantaine d’années, il ne pesait que 40 kg se nourrissant de tisanes, de quelques bonbons et de trois cuillères de gelée royale par jour. Il ne pouvait plus marcher. Sa respiration se bloquait régulièrement. Il souffrait. Il souhaitait mourir car il ne voyait pas d’issue à sa douloureuse situation et nous demandait de l’aider. Nous l’avons écouté. Ensemble, avec lui, nous avons cherché à porter un autre regard sur une situation qui semblait désespérée. Il a fallu admettre la complexité, partager les réflexions en équipe pour trouver des solutions parfois minimes, prendre le temps.

Son histoire est édifiante. Il lui aura fallu presque dix ans pour écrire son parcours. On pourrait le croire amer. Mais il ne fait et ne fera de procès à personne. Ce n’est pas l’objet. Aujourd’hui son corps s’est reconstitué. Avec précaution, il mange. Il ne prend que quelques rares médicaments. Sa maladie ne s’exprime plus, ce qui est inexplicable. Il fait du sport, partage du temps avec de la famille, des amis. Il peint à nouveau. Il vit.

Yolaine, infirmière : Nous avons vu arriver sur un brancard un homme jeune et avenant, d'une maigreur extrême. Il s'exprimait aisément mais son débit était régulièrement interrompu par des “crises de spasmes” respiratoires qui me laissaient moi aussi en apnée. Sa souffrance nouait tout son corps et celui-ci luttait pour autoriser la vie… Cet homme était dans une situation terrible.

Une « douleur totale », celle qui a outrepassé ce que la personne peut supporter et a tout envahi : corps-cœur-cerveau, aboutissant à une détresse inouïe qui fait désirer et même demander la mort !

A la fin de l'entretien, aucun de nous n'avait de certitude… Nous pouvions juste lui proposer de faire un bout de route avec lui et rester confiants…

Le médecin a proposé une alimentation par les veines pour qu'Arnaud puisse récupérer un peu d'énergie et une hospitalisation au cours de laquelle nous nous sommes relayés (médecin, psychologue, 2 infirmières) pour lui rendre visite, lui offrant des espaces de parole, des séances de relaxation / hypnose et même, prudemment, des séances de toucher-massage. Tout ceci lui a permis de verbaliser ses expériences et de se ré approprier son corps … Nous étions là, pour lui, à son écoute, en accord et en lien les uns avec les autres. Et la vie a repris le dessus… Ce fut une grande joie de le voir recommencer à peindre et peu à peu à manger, aller profiter du soleil … ça aurait pu se finir différemment -mais dans tous les cas nous aurions été à ses côtés- ce n'est pas nous qui choisissons la route, l'évolution. « Accompagner », étymologiquement, c'est marcher avec…

Agathe, psychologue : L’histoire d’Arnaud est-elle extraordinaire ? Sûrement. Mais est-elle surprenante ? Je ne crois pas. Chaque personne peut évoluer en mobilisant ses propres capacités et en tant que soignants nous avons tous fait l’expérience du soin relationnel. Nous savons que le lien est thérapeutique. Nous sommes des êtres de relation et continuellement nous nous nourrissons de ces liens. Arnaud a fait lui-même le travail. En étant en lien avec l’équipe qui l’entourait et dans un contexte favorable, il a pu spontanément activer ses propres ressources pour progresser.

L'équipe d'Arnaud, Mai 2025
Sculptures de Giacometti

1- Voir en particulier les article de François Larue dans la rubrique « Santé, handicap, fin de vie » : santehandicap.html / Retour au texte
2- Arnaud n’est pas son prénom usuel. Il souhaite rester anonyme. / Retour au texte