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Ascension


Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 16, 15-20

Jésus ressuscité dit aux onze Apôtres : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s'ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s'en trouveront bien. »

Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils s'en allèrent proclamer partout la Bonne Nouvelle. Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient.

« L’homme passe infiniment l’homme »
Michel Jondot

A la droite du Père
Christine Fontaine

Dieu n’est plus dans les hauteurs
Michel Jondot


« L’homme passe infiniment l’homme »

Sur la « Terres des hommes »

Au siècle dernier, un romancier, St Exupéry, a raconté l’exploit accompli par un homme perdu dans la Cordillère des Andes. C’était au début de la traversée de l’Atlantique en avion pour transporter le courrier d’un continent à un autre. L’appareil, piloté par un certain Guillaumet, fut obligé de se poser en plein milieu des montagnes, à 6500 mètres d’altitude, en un lieu inaccessible où personne jusque-là n’avait pu s’aventurer. Pendant 6 nuits et 7 jours, Guillaumet s’est battu contre le froid, la tempête, la faim, l’insomnie et la mort pour enfin s’écrouler, épuisé mais vivant, dans un village de montagne où on a pu le relever. Racontant son aventure, il disait que s’il avait survécu c’était grâce à l’épouse qu’il aimait et qui l’attendait ; cette pensée le hantait, lui donnant ainsi la force de mettre malgré tout un pied devant l’autre et de lutter contre les éléments déchaînés. Il ajoutait : « Ce que j’ai fait, je le jure, aucun animal n’aurait pu le faire. » Guillaumet faisait une expérience exemplaire ; sur la « terre des hommes » - c’est le titre du roman - : on est capable de se surpasser et d’affronter l’impossible.

Le témoignage de cet homme nous aide à comprendre le mystère de l’Ascension. Certes, Celui qui les avait choisis, ce Jésus qui les avait aimés, était bien loin de leurs yeux : « Une nuée le déroba à leurs regards. » Ils avaient beau scruter le ciel où on l’avait vu monter, l’écart était devenu infranchissable : il fallait le reconnaître. Ils l’ont vite compris : « Il faut cesser de regarder le ciel. » Commence alors, pour Pierre et ses compagnons, une vie nouvelle semée d’embûches. Ils prendront la suite de leur maître, affrontant à leur tour le sanhédrin et l’incompréhension des Juifs. Ils iront plus loin que leur maître, traversant les mers et les naufrages pour arriver à Rome et y mourir en esclaves.

Loin des yeux, près du cœur

Jésus, à la toute dernière heure, leur avait dit : « Allez prêchez la Bonne nouvelle à toute l’humanité… Ceux qui croiront… chasseront les démons, parleront en langues nouvelles ; ils saisiront des serpents et s’ils boivent quelque poison mortel, il ne leur fera pas de mal. Ils imposeront les mains aux malades et ils seront guéris. » Utopie ? Peut-être. Toujours est-il qu’en annonçant le bonheur, il leur arrivait de guérir les malades comme le raconte le livre des Actes : on voit Pierre dire à un handicapé, à la porte du Temple, « prends ton grabat et marche » ; l’homme se mit alors à gambader et à danser de joie. Il leur a fallu oublier leur langue araméenne et parler en grec et en latin. Des propos venimeux ont été prononcés contre eux sans qu’ils en soient affectés. Et surtout ils eurent à faire face aux forces démoniaques. Elles eurent apparemment le dessus mais, en réalité, leur mort n’a pas eu le dernier mot puisque leur prédication vient à nous aujourd’hui. Le miracle tient surtout au fait qu’ils ont cru aux promesses de Jésus ; ils se sont laissé prendre par une force qui venait de loin, de plus loin qu’eux-mêmes. Le Maître l’avait bien dit : « Vous recevrez la force de l’Esprit Saint. »

« Ce que j’ai fait, je le jure, aucun animal n’aurait pu le faire. » Certes, les forces de l’amour humain dépassent celles de notre corps et déclenchent nos énergies pour franchir les distances qui nous séparent. En réalité, aux yeux du croyant, l’homme lui-même est dépassé : « L’homme passe infiniment l’homme » (Pascal). Les paroles de Jésus nous avertissent une fois de plus aujourd’hui : lorsque nous franchissons les obstacles qui nous séparent d’un être aimé, la force qui nous anime nous permet de franchir l’infranchissable. Lorsque nous vivons en vérité nos pauvres amours humaines nous atteignons Celui qui a quitté ses amis au jour de l’Ascension, l’inaccessible, se fait proche. En même temps que nous aimons, nous sommes aimés par le Christ qui lui-même nous englobe dans l’amour du Père. L’amour – tout amour s’ils est sincère – est la force de l’Esprit promis au Jour de l’Ascension. L’amour est cette force qui permet au croyant d’accéder à l’inaccessible. Jésus, qui n’avait pas peur des métaphores, disait « qu’il pourrait déplacer les montagnes ».

Foi, Espérance et amour

Cette fête de l’Ascension permet reconnaître « l’éminente dignité » de tous nos frères humains : « Reconnais, ô homme, ta dignité », disait au 6ème siècle dans un sermon, le Pape Grégoire le Grand. « Chasser les démons », aujourd’hui, peut-être, consiste à faire en sorte que nul ne soit méprisé. Le respect d’autrui fait cruellement défaut en notre temps. On ignore trop les sans-abris. On veut se débarrasser des étrangers. Il arrive encore qu’on estime les hommes en fonction de la couleur de leur peau. On ne veut plus connaître ceux qu’il faut bien punir et incarcérer. Quel écart entre les personnes dans nos sociétés privilégiées ! Tout homme, aussi miséreux qu’il soit, est digne d’être aimé. Ne pas travailler au rapprochement des uns et des autres, c’est gaspiller les forces de l’Esprit et se tenir à l’écart de Dieu.

Par ailleurs, il faut sauver l’Espérance. Dieu semble plus lointain que jamais. « Dieu est mort » disait un philosophe voici déjà plus de 100 ans. Le pronostic s’est lourdement confirmé à Auschwitz au siècle dernier et le ciel semble désespérément vide en notre temps. L’humanité est ravagée par la faim ou la guerre chez les uns ou l’angoisse chez les autres. Après Dieu, n’est-ce pas l’humanité qui va disparaître ? Certes Dieu est loin mais sa parole est là et les croyants doivent la saisir à leur tour, sauver l’amour puisqu’il est bafoué, dénoncer le mal, ouvrir des chemins de paix. Comme disaient les jeunes de mai 68 : « Soyons réalistes. Exigeons l’impossible ! » Tentons de sauver l’amour, de toutes nos forces, c’est-à-dire avec la force de l’Esprit.

Michel Jondot


A la droite du Père

La stabilité

Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assis à la droite de Dieu.
Comme quelqu’un qui est heureux du travail accompli et peut enfin se reposer, Jésus Christ s’assied à la droite du Père. Désormais, il ne bougera plus de ce lieu !

Jésus Christ est stable ; il est définitivement établi au plus haut des cieux. Il ne sera pas sujet à éclipse. On peut compter sur lui : il demeurera assis à droite, du côté des bénis !
Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel d’où il était descendu. Il retrouve sa place auprès de Dieu. Il ne la quittera plus.

Jésus Christ est Seigneur !
Jésus est son nom d’homme, Seigneur est son titre de gloire !
En ce jour nous fêtons l’Ascension du Seigneur, nous fêtons le Fils de l’homme, qui, en Jésus, est établi pour toujours en Dieu. Car celui qui est descendu ne remonte pas sans avoir accompli son ouvrage. En montant au plus haut des cieux il entraîne avec lui cette humanité qui lui appartient, il nous élève avec lui. Désormais, par Jésus, l’humanité est assise à la droite de Dieu. Elle ne bougera pas de ce lieu. Nous pouvons compter sur Jésus Christ : il tiendra l’humanité assise du côté du Père ! L’humanité a enfin trouvé sa stabilité. Elle est bien tenue ! Elle ne s’éclipsera pas de ce lieu !

La marche

Avant de monter vers son Père, Jésus dit aux onze Apôtres : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. »
Jésus met en marche ses apôtres. Désormais, ils n’auront guère le temps de s’asseoir ! Ils iront au gré de Dieu, poussés par l’Esprit, proclamer à tous les hommes que l’humanité a trouvé son assise véritable ! Ils braveront tous les dangers, traverseront les combats, chasseront les esprits mauvais, imposeront les mains aux malades. Ils tiendront le coup ! Ils proclameront, en paroles et en actes, que l’humanité est maintenue pour toujours en Vie avec Dieu, en Dieu, par Jésus.

Infatigables, ils marcheront pour rejoindre les juifs et les païens, les pauvres et les riches, les grecs et les romains. Ils proclameront à toute la création qu’elle est bénie de Dieu. Personne ne pourra plus les arrêter. Ils repousseront les divisions et les frontières entre les hommes.

Le Seigneur travaillera pour eux et confirmera leur parole. Il marchera avec eux, il ne les laissera pas seuls pour faire face à la tâche. Il les assistera dans toutes leurs entreprises. Ils peuvent se reposer sur lui : Jésus Christ ne les quittera plus jamais. Les apôtres ne font qu’un avec lui. Par eux, le Fils de l’homme marche parmi les hommes ; par eux, il continue l’œuvre de son Père, par eux, la vie de Dieu s’épanouit sur la terre. Comme un arbre qui plongerait ses racines dans le ciel, les apôtres, par Jésus, puisent une sève nouvelle en Dieu. Ils peuvent marcher sans crainte sur la terre puisqu’ils ont trouvé leur assise auprès de Dieu !

L’assurance

Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé.
« Croyez, dit Jésus Christ qu’en remontant vers le Père du ciel, je vous emmène avec moi. Je vous donne l’assise que vous cherchiez, l’assurance qui vous manquait. Croyez qu’en vous lançant dans le monde des homme, je vous maintiens au monde de la grâce, au monde de Dieu. Croyez que je ne suis pas sujet à éclipses passagères et que je ne vous manquerai pas. Je demeure avec vous, je travaille pour vous. Je monte vers le Père pour unir le ciel et la terre, Dieu et les hommes à tout jamais. Croyez que désormais rien ne pourra séparer le ciel de la terre ! »

Nous pensons souvent que Jésus, en remontant vers le Père, nous a laissés seuls pour faire face à son œuvre. Nous disons parfois que Dieu est sujet à éclipse : autant, par moments, sa présence nous paraît évidente, autant, à d’autres heures, son absence nous tenaille, comme elle tenaillait Jésus à Gethsémani. En vérité, Dieu ne nous laisse jamais seuls, mais notre foi doit s’ouvrir sans cesse, comme celle des apôtres après l’Ascension. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé : il trouvera dès cette terre, au milieu des épreuves, son assise en Dieu. Il marchera en paix. Il marchera avec son Dieu sur la terre dans l’espérance de se reposer un jour avec lui dans les cieux !

Le monde, malgré ce qu’en voient nos yeux, est tout entier sauvé. Celui qui croit, là est son originalité par rapport à celui qui ne croit pas, peut avancer en paix. Traversant les épreuves, il marche dans l’espérance !

Christine Fontaine

Dieu n’est plus dans les hauteurs

L’autorité vient-elle d’en-haut ?

Lors d’une rencontre islamo-chrétienne dans une ville de la banlieue parisienne, un imam de bonne volonté, soucieux d’un dialogue interreligieux fraternel, interrogeait les chrétiens. Sans la moindre agressivité, il s’étonnait. « Quand on rentre dans vos églises, même si l’on est choqué de voir des statues et des représentations de Jésus sur la croix, nous nous disons, nous musulmans, que vous n’êtes pas loin de la vérité lorsque vous rendez hommage à quelqu’un qui connaît une extrême pauvreté. Mais lorsque l’Evêque nous invite pour des célébrations officielles, ce n’est plus le même langage. Expliquez-nous ce que signifie la façon dont il s’habille et la couronne qu’il a sur la tête comme les rois d’autrefois ».

Même s’ils supportent la vue d’une mitre ou d’une crosse, bien des chrétiens s’étonnent que l’Eglise légifère, en matière de morale, d’une manière aussi autoritaire. Entre l’Eglise et la société, on constate une espèce de concurrence. D’une part, les responsables civils édictent des lois qui permettent une vie commune. D’autre part, l’Eglise multiplie les interdits qui contredisent la morale ambiante. Qu’on songe, par exemple, aux encycliques interdisant la limitation des naissances.

Les historiens peuvent sans doute expliquer ce qui a conduit à prescrire les rites liturgiques et, en particulier, les tenues des évêques ou des prêtres. Les théologiens, peut-être, sont capables de justifier la morale chrétienne. A coup sûr pourtant, la fête de ce jour oblige l’Eglise à s’interroger. N’est-elle pas en contradiction avec son message lorsque son comportement et son langage donnent à entendre qu’elle se fait l’écho d’une volonté venue d’en haut ?

N’appelez personne Père !

La culture juive dont les disciples étaient imprégnés risquait de les conduire à transmettre les consignes de Jésus en adoptant le comportement patriarcal dans lequel ils avaient vécu. Toute autorité vient d’en haut et devant les paroles du Père ou du maître, il convient de s’incliner. Jésus avait bien essayé de les mettre en garde : « N’appelez personne père ni maître ! » Au fameux repas du jeudi, il leur avait dit : « Vous n’êtes pas mes serviteurs, vous êtes mes amis! » La tentation pourtant demeurait, jusqu’au jour de l’Ascension, de considérer l’avenir qui les attendait comme l’établissement d’un Royaume avec des chefs qui domineraient l’univers plus sûrement que David ou Salomon. Quarante jours après la Résurrection, ils posaient encore, on l’a entendu, cette question aberrante : « Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » Jésus ne se laisse pas enfermer dans cette question qui sans doute l’agace un peu. Le temps des discours et des instructions est terminé. Lui succède le temps des adieux. Loin d’entrer dans le Temple, acclamé par les foules, pour recevoir l’onction qui en ferait un roi à la manière de ceux qui règnent en maîtres avec une couronne sur la tête, il s’efface : « Ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée ». Loin de haranguer le peuple à la manière des candidats à la Présidence lors des meetings en période électorale, il laisse la parole à ceux qu’il avait choisis. A vous de jouer ! « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre ».

« Esprits lents à croire » leur avait dit Jésus. A l’Ascension, une fois Jésus parti, Ils ont encore du mal à comprendre et ils restent les yeux fixés au ciel comme si la vérité ou les consignes allaient venir d’en haut. Il faut que les anges les ramènent à la réalité. C’est en retournant dans la ville qu’ils le trouveront. « Il reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller ».

« Les pauvres sont nos maîtres ».

Désormais Dieu n’est plus dans les hauteurs. Désormais Dieu est avec nous, les humains. Dieu avec nous : Emmanuel. Dieu avec nous mais non à la façon d’un maître ou d’un roi. Sa seigneurie se donne à voir dans la détresse du boiteux qui à la porte du Temple interpelle Pierre. Son appel se laisse reconnaître dans les murmures des veuves qui, lors des assemblées, sont laissées pour compte. Le royaume est là lorsque, réunis au nom de Jésus, hommes et femmes se retrouvent sans qu’aucun d’entre eux ait la moindre attitude paternaliste. La Bonne Nouvelle est proclamée. D’après Marc, dans le texte que la liturgie donne à relire, Jésus promet un langage nouveau sur les lèvres de ceux qui suivront les apôtres. En effet, entre les croyants, certains mots disparaissent ; il n’est plus de Seigneur ni d’esclave, il n’est plus de Père ni de maître. Ces mots sortent du vocabulaire et un terme nouveau les remplace. On devient « frère » en adhérant au message.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de contester l’organisation de l’Eglise ; il a bien fallu que, pour se maintenir, elle devienne institution. Il n’est pas question de contester le lien aux évêques et aux prêtres. La communion avec eux est sacramentelle : elle nous maintient dans le sillage des apôtres. Reste qu’une question est posée à tous. La parole qui nous est donnée indique-t-elle le chemin qui conduit à la foi ? Il faudrait retrouver le vrai sens du mot « Hiérarchie ». Etymologiquement, il désigne un pouvoir sacré. Où est le pouvoir sacré depuis le jour de l’Ascension ? Non pas d’abord dans la parole des évêques ou des pontifes mais dans la voix du malade qui appelle à l’aide. Où est le sacré ? Non pas dans les propos qui "empoisonnent" des vies en excluant au nom d’une morale particulière. A qui faut-il obéir pour rejoindre Jésus ? A tous ceux qui souffrent y compris ceux qui souffrent par l’Eglise. A tous ceux qui, comme Jésus à Gethsémani, voudraient voir s’écarter l’amer calice qu’il faut boire mais qui conduit à l’exclusion, figure de la mort. « Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains, et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien ». Tels sont les derniers mots que l’Evangile de Marc attribue à Jésus avant qu’il ne soit « enlevé au ciel ».

Michel Jondot