À propos de Monseigneur Óscar Arnulfo Romero y Galdámez (1917-1980)
Gustavo Gutierrez, jésuite péruvien, fut le point de départ de ce qu’on appelle « La théologie de la libération ». C’est lui qui, en 1968, exposait sa pensée aux évêques d’Amérique latine réunis en assemblée à Medellin, en Bolivie. Selon lui, le Dieu de la Bible qui a arraché le peuple hébreu à l’esclavage est le Dieu libérateur et Jésus, en donnant la priorité aux pauvres et aux exclus, s’est inscrit dans cette cohérence.
A la suite de cette intervention, l’épiscopat latino-américain opéra une véritable conversion et décida de s’intéresser, dans les différents diocèses, d’abord aux déshérités pour les aider à inventer le chemin de la liberté. Cette expérience profite, aujourd’hui encore, à bien des Eglises, en Afrique ou en Palestine.
Monseigneur Romero a fait sienne cette spiritualité ; il était persuadé qu’il fallait l’incarner dans des actes concrets. Il ne cessait de répéter : « L’Église, accomplissant son devoir, doit également illuminer à partir de cette foi, les réalités de la Terre, ces préoccupations pour le pain quotidien, d’êtres marginalisés, d’êtres affamés, d’êtres pauvres. »
Il va sans dire que le Pape François, en le canonisant, ne rend pas seulement hommage à un personnage du passé. Il invite l’Eglise universelle à s’imprégner de cette conviction évangélique. Bien évidemment, l’événement est une invitation à nous catholiques de France d’ouvrir les yeux sur la société où nous vivons.
Cette foi en un Dieu libérateur peut transformer les croyants en martyrs. Les dernières paroles de Monseigneur Romero lui furent fatales. En les relisant, nous prenons conscience, à l’intérieur d’une Eglise éprouvée et salie, que les forces de l’Esprit sont vivantes et prêtes à se rallumer. Ce dernier sermon a été prononcé le 23 mars 1980. Le lendemain, des forces d’extrême-droite l’exécutèrent alors qu’il célébrait l’Eucharistie.
Nicodème
Homélie de Monseigneur Romero, la veille de sa mort
« ... Chers frères, il serait maintenant intéressant - mais je ne voudrais pas abuser de votre temps - d’analyser la signification de ces derniers mois de gouvernement qui entendait précisément nous faire sortir de ce climat d’horreur. Si ce qu’on cherche c’est à décapiter le peuple organisé et à empêcher l’évolution que veut le peuple, on ne peut pas mieux faire. Sans racines populaires, aucun gouvernement ne peut être efficace, et encore moins quand il cherche à s’imposer par la force sanglante et dans la douleur.
Je voudrais lancer tout spécialement un appel aux membres de l’armée, et concrètement aux hommes de troupe de la Garde nationale, de la police et des casernes. Frères, vous êtes du même peuple que nous, vous tuez vos frères paysans. Devant l’ordre de tuer donné par un homme, c’est la loi de Dieu qui doit prévaloir, la loi qui dit : « Tu ne tueras point. » Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter. Il est temps de revenir à votre conscience, et d’obéir à votre conscience plutôt qu’à l’ordre du péché.
L’Eglise, qui défend les droits de Dieu, la loi de Dieu, la dignité humaine, la personne, l’Eglise ne peut se taire devant tant d’abomination. Nous voulons que le gouvernement prenne au sérieux le fait que les réformes ne servent à rien si elles sont tachées de tant de sang. Au nom de Dieu, au nom du peuple souffrant dont les lamentations montent jusqu’au ciel et sont chaque jour plus fortes, je vous en prie, je vous en supplie, je vous l’ordonne au nom de Dieu : arrêtez la répression ! »
Oscar Romero
Extrait de Oscar Romero, évêque et martyr, DIAL, Paris, 1980