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Chaque homme naît vieux
Jean Sulivan

Jean Sulivan, est un prêtre et écrivain français qui vécut au siècle dernier (1913-1980). Il n’aimait pas faire des leçons de catéchisme, encore moins confondre la foi chrétienne avec une morale rigide.

« Chaque homme naît vieux, emmaillotté dans des mots, des préjugés qu’on lui inculque, écrit-il. Devenir jeune, c’est se libérer des entraves de la peur, ne plus céder aux pesanteurs sociales, devenir joyeux, même avec ses cicatrices… L'Évangile est invitation à quitter les conventions, c'est l'appel au réveil. »

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Savez-vous qu'il y a des aubes ? Avez-vous jamais vu la lumière d'aube dans une forêt, l'aube sur la mer ? Vous êtes seuls, vous pouvez revenir à l'essentiel, vous interrogez sur les buts de votre vie, sur l'existence de dingue que voulez croire indispensable de mener. C'est le premier matin du monde. Il y a une parole pour vous qui vous parle au-dedans ; savez-vous ce que c'est une plage encore humide, lisse à l'aube ? Ne pouvez-vous vous payer cette originalité ? N'en parler à personne, nous nous retrouverions trop nombreux…

On nous a mis dans la tête que le but de la vie, c’est de réussir en occupant des fonctions, en gagnant beaucoup d’argent, en acquérant du prestige. Ce n’est pas vrai : le but de la vie, c’est de rajeunir. Chaque homme naît vieux, emmaillotté dans des mots, des préjugés qu’on lui inculque. Devenir jeune, c’est se libérer des entraves de la peur, ne plus céder aux pesanteurs sociales, devenir joyeux, même avec ses cicatrices. La vie éternelle est faite pour être inaugurée ici. L'Évangile est invitation à quitter les conventions, c'est l'appel au réveil.

Le plus grand service que nous puissions rendre à la société, ce n’est pas de réussir, d’acquérir la considération, c’est de devenir libres et joyeux. C'est cette joie dont les tristes sociétés contemporaines ont besoin par-dessus tout. Des techniciens, des ambitieux, des malins, il y en aura toujours ; mais les hommes dépris des ordinaires avidités, des vanités, capables d'humour, ne courent pas les rues. Ce sont eux, cependant, qui peuvent rendre la ville plus respirable.

Est-ce que je zozote en vous parlant mer, oiseaux, forêts, ruisseaux ?... Bien sûr, ni la mer ni rien ne peuvent vous apporter quoi que ce soit, si vous n'êtes vides, c'est-à-dire disponibles. Je vous invite à la nudité spirituelle. Les arbres, les bêtes, toute la nature en qui vous êtes immergés vous rappellent que vous n’êtes qu’un passant sans demeure éternelle ici. Que rien donc ne doit être pris au tragique, que l’essentiel est de sur-vivre, c’est-à-dire de faire exister ce qui est immortel en vous.

J'ai l'air de faire la morale. Mais non, je parle d'hygiène et d'hygiène mentale surtout. Je m'intéresse toujours à la ville, mine de rien. L'homme de ce temps a besoin d'hygiène mentale, de se désencombrer d'informations inutiles, de télés, etc. pour retrouver sa vie intérieure. Finalement je m'aperçois que je vous parle de charité : car j'aimerais tant que vous sortiez du sous-développement spirituel (même quand vous priez, même quand vous allez à l'église) et que vous compreniez que la vie spirituelle commence dans le corps, avec vos pas, avec les yeux, tous les gestes de la vie.

Jean Sulivan Bloc notes
Peinture de Soeur Marie-Boniface


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