L’opinion se répand dans divers milieux, dans diverses publications ou sur internet, que les chrétiens, et singulièrement les catholiques, seraient en France moins
bien traités que les autres religions et familles de pensée. Quelques événements désagréables ont pu favoriser cette idée, ainsi l’irruption de perturbateurs grossiers
dans une cérémonie, à l’église de la Madeleine à Paris, n’a pas d’abord provoqué de la part des autorités la même réaction indignée immédiate que certaines atteintes
à des synagogues ou des mosquées.
Qu’en est-il exactement ?
Le repos hebdomadaire est certes battu en brèche par les adorateurs du commerce, mais il résiste. Et quel jour de la semaine est-il placé ? Le vendredi de
la prière musulmane ? le samedi du shabbat juif ? Non, mais le jour du dimanche chrétien.
À côté des jours fériés de caractère républicain, patriotique ou social, d’autres accompagnent des fêtes religieuses : Noël, l’Ascension, l’Assomption,
la Toussaint. Toutes ces fêtes sont chrétiennes, certaines spécifiquement catholiques, et d’autres fêtes chrétiennes qui tombent un dimanche, Pâques et
la Pentecôte, sont augmentées d’un lundi férié. Les fidèles d’autres religions doivent demander une autorisation d’absence lors de leurs fêtes propres,
qui restent étrangères au grand public.
Enfin les églises catholiques qui existaient déjà en 1905 sont les seuls édifices religieux entretenus par les pouvoirs publics.
Tout cela constitue une discrimination positive en faveur du christianisme, et plus particulièrement du catholicisme. Je ne m’en plains pas, je ne le considère
pas comme injustifiable, car cela fait partie d’une tradition culturelle à laquelle bien des mécréants sont eux-mêmes attachés, il n’y a qu’à se souvenir que
la suppression du lundi de Pentecôte mise en avant par M. Raffarin a fait long feu, malgré l’absence d’opposition des autorités religieuses.
Ce n’en sont pas moins des avantages considérables, en comparaison du sort réservé aux autres familles de pensée, qui doivent se débrouiller par elles-mêmes. Ne
pas mettre ces privilèges dans la balance au moment de juger qui est mieux traité qu’un autre, y compris quand celui qui juge est évêque, cela ne met-il pas à mal
l’honnêteté intellectuelle ?
En réalité, j’ai peut-être tort de craindre ici de la mauvaise foi. Cela risque d’être pire : tous ces avantages sont tellement ancrés dans nos habitudes,
sucés avec le lait de nos premiers jours, que nous ne les voyons plus. Mais soyons sûrs que bon nombre de juifs, de musulmans, de gens étrangers à toute foi,
les aperçoivent pour leur part. Et que c’est faire preuve de peu de respect à l’égard des autres que de ne pas les voir, de ne pas admettre que nous profitons
là d’une discrimination positive. Ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est de l’inconscience. Soixante-dix ans et plus après France pays de mission ?, ce livre
d’avertissement prophétique, on fait comme si on était encore en chrétienté, et comme si les avantages dont nous jouissons étaient « naturels ».
Il faut aborder maintenant un autre aspect des récriminations. Sur le mariage gay, les autorités de l’Église et la mobilisation de nombreux croyants n’ont pas
amené le gouvernement et les assemblées à y renoncer. Est-ce de la discrimination ? Le penser, ce serait s’imaginer que se retrouver minoritaire lors d’élections
ou lors d’un vote dans les assemblées régulièrement élues, c’est être discriminé. Mais non ! Chacun tour à tour, en démocratie, peut se retrouver du côté des
insatisfaits, et aucune école de pensée, aucune religion, aucune Église ne jouit d’un droit de veto. Ce n’est pas discriminer une institution que lui refuser
ce droit de veto.
Cette loi nouvelle instaure une possibilité pour certains, elle n’oblige personne à rien : un maire objecteur cédera la place à un membre de son conseil municipal pour la
célébration d’un tel mariage, et personne n’a jamais songé à imposer à l’Église catholique de le bénir ! Ceux qui se sont engagés dans ce combat (ce n’était pas la totalité
des catholiques) peuvent éprouver de la déception, mais ils ne sont pas lésés. Et s’ils se croient méprisés pour ne pas avoir été suivis, c’est qu’ils s’attribuaient
des droits qu’ils n’ont pas. Leur ralliement à la démocratie serait-il conditionnel ?
Nicodème
Pastels de Noëlle Herrenschmidt