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Fête du Christ Roi

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 18, 33-37

Lorsque Jésus comparu devant Pilate, celui-ci l'interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t'ont livré à moi : qu'as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d'ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C'est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »

Le Christ Roi
Christine Fontaine

Roi de l’univers
Michel Jondot

Voici l'Homme !
Christine Fontaine


Le Christ Roi

La peste du laïcisme

La fête du Christ Roi est de tradition très récente par rapport aux vingt et un siècles qui nous séparent des origines du christianisme. Elle fut instaurée par le Pape pie XI. En 1925, il écrit dans l’encyclique Quas Primas :

« C'est ici Notre tour de pourvoir aux nécessités des temps présents, d'apporter un remède efficace à la peste qui a corrompu la société humaine. Nous le faisons en prescrivant à l'univers catholique le culte du Christ-Roi. La peste de notre époque, c'est le laïcisme, ainsi qu'on l'appelle, avec ses erreurs et ses entreprises criminelles.

Comme vous le savez, Vénérables Frères, ce fléau n'est pas apparu brusquement ; depuis longtemps, il couvait au sein des États. On commença, en effet, par nier la souveraineté du Christ sur toutes les nations ; on refusa à l'Église le droit – conséquence du droit même du Christ – d'enseigner le genre humain, de porter des lois, de gouverner les peuples en vue de leur béatitude éternelle. Puis, peu à peu, on assimila la religion du Christ aux fausses religions et, sans la moindre honte, on la plaça au même niveau. On la soumit, ensuite, à l'autorité civile et on la livra pour ainsi dire au bon plaisir des princes et des gouvernants. »


Après le Concile Vatican II, plusieurs théologiens demandent à Paul VI d’abandonner cette fête qui ne datait que d’une quarantaine d’années. Elle était, selon eux, en contradiction avec les convictions du Pape lui-même. En effet il avait déclaré que « l’Église devait entrer en dialogue avec le monde dans laquelle elle vit ». Mais les papes n’aiment pas remettre en cause ce que leurs prédécesseurs ont prescrit. Paul VI se contenta d’en déplacer la date et de tenter d’en infléchir le sens. Les traditionnalistes aujourd’hui encore célèbrent cette fête à l’ancienne date (le dimanche avant la Toussaint) et en gardent l’ancienne signification : c’est pour eux le jour où, au nom du Christ, les catholiques doivent s’engager à lutter de toutes leurs forces contre la peste du laïcisme.

La peste de la division

Cette fête suscite ainsi la polémique entre les intégristes, les traditionnalistes et l’ensemble des autres catholiques. Mais elle divise aussi les baptisés qui se veulent fidèles à l’Église de Rome. Il est bien entendu que pour eux la séparation de l’Église et de l’État est acquise. L’Église n’a plus à faire les lois de la société civile. Mais pour les uns, en tant qu’experte en humanité, elle doit chercher à promouvoir sa morale qui va, mieux que toute autre, dans le sens d’une protection de la vie et de l‘amour. Ces catholiques cherchent à ce que les lois civiles soient le plus possibles conformes à l‘éthique prônée par la hiérarchie. C’est ainsi que l’on assiste à leur mobilisation contre l’avortement, contre la PMA, contre la GPA, contre les mariages homosexuels, voire contre le remariage des divorcés ou contre la contraception.

Plus les uns se mobilisent, plus d’autres catholiques quittent l’Église. Ces derniers disent qu’on ne peut pas vouloir entrer en conversation avec la société civile si on croit avoir la vérité et qu'on ne veut rien changer à ses convictions. Ceux-là voient, dans l’action des premiers, une démission des baptisés et la principale cause de la désertification des églises.

Pour les uns il faut que l’Église tente de garder un pouvoir moral sur la société et donc se battre pour infléchir le pouvoir politique dans le sens de ses convictions. C’est ainsi que pour eux le Christ régnera. Pour les autres, l’Église doit renoncer à tout pouvoir - et donc à imposer sa morale - pour entrer en vérité en dialogue avec le monde. Les deux positions semblent bien être irréconciliables. Les frères dans la foi sont devenus des ennemis. La peste du laïcisme a fait place à celle de la division.

L’amour des ennemis

« Ma royauté n’est pas de ce monde, dit Jésus ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » La royauté de Jésus n’est pas de l’ordre d’une loi morale, fût-ce la meilleure, qui chercherait à s’imposer à l’humanité. La royauté de Jésus s’exprime sur la Croix dans l’amour des ennemis. Il abandonne tout pouvoir sauf celui de demeurer l’ami de ses pires ennemis.

Aujourd’hui deux conceptions du règne du Christ s’opposent au sein de l’Église catholique. Il ne s’agit pas d’essayer de les réduire pour faire comme si, en fait, les uns et les autres étaient au bout du compte quand même bien d’accord. Il s’agit de prendre acte que ces deux manières de vivre à la suite de Jésus sont peut-être à tout jamais irréconciliables. Elles sont ennemies. L’autre qui les porte est d’une certaine manière mon ennemi et je n’ai d’autre raison de demeurer dans la même maison que lui que l’amour des ennemis auquel Jésus me convie, par-delà toute morale et toute idéologie.

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer fils de votre Père qui est dans les cieux… » (Mt5, 43-45a). Tel est le lieu où règne le Christ depuis les origines, aujourd’hui encore et pour toujours.

Christine Fontaine


Roi de l’univers

Vérité et violence

Un pouvoir qui prétend s’exercer sur l’univers génère la violence. Il s’accompagne de l’illusion de posséder une vérité qui libèrera les hommes de la servitude mais, pour l’imposer, tous les moyens sont bons.

Le marxisme soviétique affirmait la vérité de l’histoire. Voulant l’imposer, il a fait naître les Goulags. Le nazisme infiltrait chez tous les membres d’un peuple la certitude que l’humanité atteindrait sa majorité en épurant le monde de ce qui altérait une race précise ; la science était là pour le prouver. Les camps de concentration, l’effort pour éteindre le peuple juif, furent les fruits de leurs découvertes.

Aujourd’hui, il se trouve que des musulmans trouvent dans le livre qui, à leurs yeux, contient la Révélation, des raisons d’imposer dans le monde entier la vraie façon de vivre voulue par Dieu. On sait quelles barbaries provoquent en Irak ou en Syrie, les connaissances que certains découvrent dans le Coran. On récolte, dans le monde entier, les actes de terrorisme et les massacres d’innocents qui s’ensuivent.

Reconnaissons que l’Eglise elle-même peut être dangereuse. Ne s’est-elle pas, pour imposer sa vérité, compromise avec le Général Franco au cours de cette guerre qui fit 150 000 morts pour aboutir à un régime dictatorial ? Tout l’Occident pourra-t-il jamais oublier les violences faites au monde arabe au nom du Christ dont il fallait sauver le tombeau? Et que dire de l’Inquisition ?

Le christianisme face à l’islam

Aujourd’hui l’Eglise célèbre l’emprise du Christ sur l’Univers, le Christ Roi. Peut-on la comprendre en échappant au risque de la violence ? La question est particulièrement importante à cette époque dans notre pays. L’islam s’y est implanté s’y affirmant de façon parfois ostentatoire. Certes, les musulmans font preuve de tolérance mais ils sont persuadés d’avoir la plénitude de la Vérité. Dans cette France, « Fille aînée de l’Eglise », bien qu’ils soient de moins en moins nombreux, les chrétiens ne peuvent non plus lâcher la plupart de leurs convictions. La vérité des uns heurte la vérité des autres. Le Concile a tenté de rendre hommage à l’islam en reconnaissant que certaines de ses affirmations sont communes avec celles de l’Eglise. Il n’empêche : Le Christ est-il bien mort sur la croix ? Jamais un musulman ne le reconnaîtra et jamais un chrétien ne le reniera. Où est la vérité ? Pouvons-nous vivre ensemble en étant aussi opposés ?

Où est la vérité ? C’est à cette question-là que fait allusion le texte de St Jean. Dans cet entretien entre Jésus et Pilate, au cours du procès dont la Croix sera l’issue, ces deux notions de pouvoir et de vérité sont mêlées. Deux lignes de réflexion se dégagent de cette rencontre. A coup sûr, la royauté de Jésus ne peut avoir de relation avec un combat armé : « Si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus ! » Par ailleurs, sa fonction, en ce monde, est « de rendre témoignage à la Vérité ».

Une voix à écouter

La précision de Jésus est à méditer : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Ces simples mots nous empêchent, chrétiens, de prétendre avoir une vérité qui nous appartiendrait. Nous avons à appartenir, au contraire, à la vérité. Par ailleurs, les paroles de Jésus ne font pas allusion à un savoir qu’il aurait transmis et que nous aurions à proclamer. Loin de proclamer, il s’agit d’écouter. Qu’est-ce à dire ?

Cela signifie d’abord que la foi chrétienne introduit le croyant dans le mystère de la Parole. « Au commencement était la Parole… et la parole est venue dans le monde. » Etre du Christ, être sujet de ce qu’il appelait son Royaume, c’est entrer dans cette dynamique de la parole qui nous permet de nous tourner les uns vers les autres, de nous écouter et de nous répondre dans un mouvement qui n’a pas de fin.

« Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ! » Répondre et écouter, c’est entendre non seulement la voix de l’autre mais la voix du Tout-Autre. Aimer le prochain et l’aimer lui, c’est tout un ; il n’avait cessé de le dire.

Revenons à la rencontre de l’islam qui s’affirme dans notre pays. Si nous croyons à l’emprise de Jésus, si nous voyons en lui le témoin de la vérité, nous sommes gravement en faute lorsque nous sombrons dans l’islamophobie. Le mystère de l’écoute et de la réponse n’est rien d’autre que le mystère de l’amour. Il bannit toute haine.

La coutume se répand de créer des groupes islamo chrétiens. On prétend que cela permet aux uns et aux autres de se connaître. Mais il ne suffit pas, pour cela, d’écouter les énoncés dogmatiques des uns et des autres. Cette vérité-là est dangereuse.

En réalité, se connaître c’est écouter les attentes de chacun, écouter ensemble les attentes de la société où nous vivons, déceler ensemble ses blessures, tenter d’y porter remède. Là où cette rencontre se produit, aux oreilles du chrétien, la Voix de son Roi est entendue.

Michel Jondot

Voici l'Homme !

Perdre la face

Atteints par la souffrance, il est des hommes qui préfèrent se taire plutôt que de faire part de leur détresse. ils veulent à tout prix cacher leur souffrance. Les média, épisodiquement, nous font part de tel personnage célèbre dont on apprend la mort brutalement ; malade depuis longtemps, il n’avait jamais voulu le laisser paraître. Il voulait jusqu’au bout garder la face, continuer à être un homme, car la souffrance abîme l’humanité.

Il existe des hommes qui ont ce courage de vivre seul avec leur souffrance, physique ou morale, parce qu’ils refusent qu’on pose sur eux un regard de pitié, de peur ou de sollicitude. Ils veulent garder leur dignité humaine jusqu’au bout. Ils mènent un combat de toutes les heures pour ne pas laisser paraître ce qui les affaiblit. Ils luttent pour demeurer à part entière dans le monde des vivants et garder visage humain.

La Sainte Face

Le visage que la liturgie nous montre aujourd’hui est celui de l’homme des douleurs. Et ce visage est une invitation à professer que cet homme de souffrances est roi. Nous fêtons le Christ en Croix. Nous fêtons le Christ Roi.

De là à dire que la souffrance est reine lorsqu’elle est vécue dans la foi, il n’y a qu’un pas que certains chrétiens se sont empressés de franchir. Pourtant nous devrions savoir que Dieu ne veut pas la souffrance. Jésus a passé sa vie à guérir les souffrances humaines. Pourquoi l’aurait-il fait s’il était tellement bon, aux yeux de Dieu, de souffrir ? Jésus n’est pas l’élu de Dieu parce qu’il souffre. Il n’est pas roi parce qu’il est maltraité. La royauté de Jésus est telle que rien ne peut l’abîmer, pas même la souffrance. Cette page d’Evangile ne nous invite pas à chercher ou à glorifier la souffrance, mais à acquérir un nouveau regard devant un visage souffrant.

Tout homme, digne de ce nom, lorsqu’il voit la souffrance s’inscrire sur un visage, est capable de sollicitude ou d’affection. On peut imaginer l’affection et la douleur de Jean, le seul parmi les apôtres, à avoir tenu aux pieds de la Croix. On peut imaginer aussi la tristesse des autres quand Jean leur rapporte la scène. Cependant, ce n’est pas d’bord à la sollicitude que les apôtres sont éveillés. Si Jean décrit la crucifixion dans son Evangile, ce n’est pas d’abord pour nous partager sa peine mais pour réveiller notre foi devant le visage souffrant de Jésus.

Jean est témoin. Témoin, non de la déchéance de Jésus mais de sa majesté. Jean était présent au jour de la transfiguration. il a vu la manifestation de Dieu sur le visage de Jésus éblouissant de lumière. Il témoigne qu’il a reconnu la même dignité sur ce visage de souffrance – la Sainte Face, dit l’Eglise -. « Voici l’Homme », dit Jean. Aux regards de Jean, aux regards du croyant, rien ne peut enlever la dignité de l’homme. La royauté de Jésus ne lui vient pas de sa souffrance, mais les insultes, les coups n’arrivent pas à éteindre la beauté de Dieu qu’Il vient livrer aux croyants.

Visage d’homme – Visage de Dieu

Nous sommes invités à notre tour à acquérir ce regard. Le croyant n’est as celui qui bénit la souffrance mais celui qui devant tout visage – joyeux ou douloureux – reconnaît la royauté de Dieu. Tel est peut-être le miracle de la foi.

S’indigner devant un visage d’homme en pleine santé que l’on abîme marque le respect que l’on a pour la dignité de l’homme. Ce n’est pas toujours facile à vivre mais demeure à notre portée. Ce n’est pas un miracle.

Croire qu’un jour toute chair sera ressuscitée, traverser par la lumière de Dieu, c’est un acte de foi mais relativement facile puisque ce qui se passera échappe de toute façon à notre regard.

En revanche, si, sous nos regards d’homme, nous avons un visage de souffrance et que nous pouvons reconnaître cette dignité humaine que rien ne peut altérer puisque c’est la dignité même de Dieu, alors cela tient du miracle et c’est une vraie victoire.

Le vrai miracle de la foi est de devenir capable de percer les ténèbres de la souffrance et d’y déchiffrer la dignité de l’homme, la royauté de Dieu. Rien, aux yeux du croyants, ne peut diminuer l’homme et lui ôter sa royauté qui vient de Dieu. Si nous croyons cela, alors nous avons le devoir de nous battre lorsqu’on tente de diminuer l’homme, de combattre pour faire diminuer sa souffrance. Mais nous avons aussi le devoir de ne jamais refuser à un homme qui souffre la dignité que le monde risque toujours de lui retirer.

Christine Fontaine