L'Eglise en danger ?
La concomitance des deux nouvelles - levée de l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité St Pie X et propos négationnistes de l’un d’entre eux - a provoqué
un énorme tollé. Les efforts de diverses autorités ecclésiastiques tant françaises que romaines n’y ont rien fait : l’impression première d’une mansuétude papale à l’égard
de ces figures de l’intégrisme catholique demeure. Pire, elle n’étonne pas. Pourquoi la mise en avant de la volonté d’unité qui anime Benoît XVI n’a-t-elle pas réussi
à estomper le sentiment initial ? Tout simplement parce que ces événements ont réactivé une mémoire marquée par les trop nombreuses collusions, anciennes
et répétées, des autorités catholiques avec le fascisme italien dans ses premières années, avec les dictateurs portugais et espagnol – Salazar, Franco.
N’ont pas été oubliées non plus les ambiguïtés de l’attitude de Pie XII à l’égard du régime hitlérien et de l’extermination des juifs. Les régimes autoritaires
d’Amérique du Sud – Chili, Argentine notamment – ont été choyés par une fraction importante du clergé et des catholiques de ces pays. Comment ne pas
parler aussi de la France où naguère le régime de Vichy a fait bon ménage avec un grand nombre d’évêques et de catholiques ?(1)
Une fois que sont exprimées l’indignation ressentie, la condamnation des opinions de Mgr Williamson, après qu’aient été réclamées des précisions sur
l’acquiescement des « frères de Pie X » aux décisions du dernier Concile concernant toutes les facettes de l’aggiornamento, est venu le temps de la réflexion
de fond. Si l’histoire montre tant d’occasions où des responsables catholiques comme des simples fidèles se sont acoquinés avec les pires dictatures et accommodés
de leurs discours, il importe au plus haut point d’identifier les raisons principales de ces alliances afin de mieux définir les moyens nécessaires pour prévenir
leur retour. C’est à quoi sont consacrées les lignes qui suivent.
Certains sont tentés d’expliquer ces ententes nauséabondes en recourant à une formule générale : l’Eglise catholique n’agirait que mue par ses intérêts.
Une telle réponse au problème posé est trop globale, elle se dispense d’examiner la variété des facteurs en jeu, elle suppose connus et partout semblables les
intérêts catholiques sans se demander un instant sur quelle durée ceux-ci sont considérés. Enfin, elle ne rend pas compte d’un phénomène massif à
l’échelle du 20ème siècle : si le monde catholique a souvent pactisé avec des dictatures et régimes forts, il ne l’a guère fait avec les régimes communistes.
Impossible donc de s’en tenir à cette réponse, trop paresseuse.
Je me propose de mettre en lumière ici trois pistes de réflexion ouvrant à autant de voies d’action permettant, du moins je l’espère, d’éviter un retour
des accointances du catholicisme avec l’extrême-droite.(2) Ces pistes relèvent de considérations et de domaines différents, que je pense mutuellement
indépendants. Je les énumère : un trait de mentalité historiquement construit au cours du 19ème siècle, une valorisation excessive du principe hiérarchique,
un type de gouvernance en cour(s) à Rome.
Une mentalité d’assiégé
Dans la seconde partie du 19ème siècle le pape Pie IX s’estimait « prisonnier » au Vatican, après la perte de sa suzeraineté sur les Etats Pontificaux puis sur Rome.
Au vrai, tout au long du même siècle, l’Eglise catholique depuis la Révolution française s’est senti en butte à des attaques frontales,
à une hostilité ambiante générale. Au moment de la Séparation (1905) cela était particulièrement vif en France, mais il ne faut pas croire que cette
mentalité aurait disparu au lendemain de la première guerre mondiale. Témoins les réactions de certains responsables et intellectuels catholiques
lors de la création de la Société des Nations : ces gens y voyaient une volonté de supplanter, voire d’éliminer la papauté à qui seule aurait dû revenir
le magistère supérieur de la paix.(3) Si l’on examine les textes de près, la protestation ‘nous sommes victimes d’un complot’
affleure dans bien des réactions publiées depuis l’annonce de la levée des excommunications. Un exemple : dans sa lettre ouverte,(4) Mgr
Hippolyte Simon archevêque de Clermont se demande ‘à qui profite le crime’, sous le titre « Qui a intérêt à salir la réputation du pape ? » Il cherche à identifier
les méchants et leurs alliés et développe, non sans arguments, une position clairement défensive.
Deux aspects me paraissent remarquables au sujet de ce trait de mentalité :
- la posture impliquée par la conviction d’être attaqué oblige à nommer des ennemis avérés ou supposés. Mais, surprise, selon les groupes et
les époques l’ennemi change de visage tandis que la structure mentale demeure. Successivement les révolutionnaires, les libre-penseurs ou les voltairiens,
les socialistes, les francs-maçons, les juifs, les bolcheviques, les communistes endossent le rôle d’ennemis dans les discours des défenseurs de
la religion qui associent parfois certaines de ces catégories sans trop regarder le bien-fondé de leur rapprochement. Force est
de constater que finalement, même l’archevêque de Clermont se coule dans ce genre de polémique, assujettissant cette fois les intégristes au rôle d’attaquants !
- la polémique fait apparaître au grand jour qu’un même discours de victime de la modernité peut être tenu par les responsables ecclésiastiques et par
les gens d’extrême-droite comme on peut le lire dans leurs propres plaintes.
Si l’analyse présentée ci-dessus est juste, il faut impérativement que les catholiques et leurs hiérarques retrouvent plaisir à vivre aujourd’hui
parmi leurs concitoyens : ceux-ci sont aimables, pas seulement condamnables ou soupçonnables d’être pleins de mauvaises intentions à l’égard des chrétiens !
Il est urgent de ne pas vivre dans la crainte du monde présent, cherchant refuge dans un repli identitaire, au nom d’une soi-disant tradition.
Une valorisation excessive du principe hiérarchique
Si l’on examine l’ensemble des évêques et leur recrutement en France depuis cinquante ans, plusieurs marques apparaissent nettement. Aussi
surprenant que ce soit, la première chose frappant l’observateur est une absence. Nulle part ne sont présentés publiquement pour quelque diocèse que ce soit,
un état de sa situation, une description des forces et faiblesses locales, une évocation des problèmes prioritaires à affronter. Il n’y a pas
de définition des tâches et des charges spécifiquement liées au poste qu’occupera le nouveau promu. Bref, s’il existe quelque part dans l’église catholique
l’équivalent d’un chasseur de têtes, je me demande sur quelle description des missions à accomplir il effectue sa sélection des candidats !
Face à un pareil silence, plusieurs interprétations sont possibles, notamment celle que voici : en vérité la priorité est donnée à la conformité des hommes
au groupe qui les coopte ; la nécessité de sélectionner des hommes capables d’assurer une série de responsabilités précisément définies en fonction
de chaque poste à pourvoir passe bien après. Le système de désignation est une cooptation régulée par décision hiérarchique, dans le secret.
Sur la scène publique que sait-on, que voit-on ? On apprend par une bulle pontificale que Titus est désigné comme évêque de tel diocèse. Puis, pour
les nouveaux promus, tout le monde peut assister à leur consécration. La liturgie est très solennelle et sacramentelle, mais elle offre également
un spectacle officiel mondain : grand concours de fidèles, de prêtres, d’évêques, d’archevêques, de cardinaux, souvent le nonce apostolique est là ;
sont présents également des représentants de diverses autorités civiles. Des médias locaux voire nationaux, sont évidemment de la fête.
Si l’on étudie de près la cérémonie on s’aperçoit que son déroulement ancre dans les têtes - tant du peuple que des évêques - un schéma
hiérarchique strict, même s’il reste en partie voilé (rôle du nonce par exemple). Très naturellement les évêques en poste cooptent leurs futurs
confrères parmi les prêtres qu’ils connaissent le mieux; comme le trajet professionnel de la quasi totalité des clercs est entièrement
ecclésiastique hormis le temps de la vie étudiante, le milieu épiscopal français est assez clos sur lui-même : la conformité au style général,
quoi qu’il en soit des sujets de dissension qui existent, l’emporte presque à chaque fois … d’ailleurs la nonciature y veille !
La sacralisation du principe de fonctionnement hiérarchique renforce ainsi l’homologie que l’on peut établir entre le fonctionnement
catholique et la représentation d’une société d’ordre où les chefs commandent sans guère de partage. Si l’on veut briser cette homologie,
contrarier et empêcher les liens catholicisme / société autoritaire, plusieurs voies sont empruntables. J’accorde une mention spéciale à deux d’entre elles :
- rétablir la priorité des missions à accomplir sur l’homogénéisation du collège épiscopal (qui ressemble fort aujourd’hui à une vassalisation commandée par Rome).
A cette fin, l’établissement pour chaque diocèse d’un dossier signalétique à partir d’observations multiples et pas seulement ecclésiastiques est indispensable.
- critiquer le culte de la personnalité si fréquent à propos du Saint Père, voire des Pères-Evêques. Le clergé, certains médias
feraient bien de montrer plus de vigilance sur ce point à l’avenir.
Une gouvernance romaine
« Eglise catholique romaine » : les deux adjectifs de cette expression courante sont-ils faciles à coordonner ? Celui-ci souligne l’aspect local :
les églises orientales unies à Rome – pour ne rien dire des autres – ne manquent pas une occasion de le redire. Celui-là se pare des couleurs de
l’universel ou, plus modestement, du bien commun de l’Eglise. Ce paradoxe éclaire judicieusement la façon dont furent diffusées les nouvelles concernant
les évêques relevés de leur excommunication, ce que beaucoup de commentateurs religieux ont appelé ‘erreurs de communication’. Incriminer la communication
et seulement elle, me paraît une critique bien trop légère et facile. L’enjeu est beaucoup plus grave, et ceux qui ont mis en avant le défaut de collégialité ont pointé juste.
Tout s’est passé comme si l’administration romaine de la Curie, ou du moins une partie de ses responsables, se pensait la mieux à
même de déceler les enjeux généraux en cause dans l’affaire des évêques intégristes, mieux armée que quiconque pour la traiter. En cela
elle ressemble à toutes les administrations centrales. Plus on insiste sur Rome comme pôle de décision,(5) plus on force le paradoxe qui associe
les deux adjectifs, catholique et romain.
Depuis la fin du Concile, malgré les synodes d’évêques, la collégialité pratique a été lentement rognée. En particulier les responsables romains
se sont ingéniés à éliminer l’émergence de tout « contre-pouvoir » collectif. L’ « Assemblée » des évêques de France est
devenue « Conférence », les 9 « régions apostoliques » ont cédé la place à 15 « provinces ecclésiastiques » dont le
responsable est désormais nommé par Rome et non plus élu par ses pairs régionaux, mais en contrepartie il a désormais le titre d’archevêque...
Ces changements organisationnels ne sont pas neutres. Ils expriment tous un mode de gouvernance qui éloigne les centres de décisions du terrain
où celles-ci seront appliquées. Et que dire alors du processus de leur élaboration !
Il me paraît urgent que dans chaque diocèse ou portion de diocèse, dans chaque mouvement ou groupe de catholiques, soient activées des instances
d’échanges pour que les évêques apprécient davantage le travail concerté et éventuellement soient confortés s’ils avaient à résister à des pressions,
quelle qu’en soit l’origine.
Il est possible que le lecteur bondisse en lisant la préconisation précédente, la jugeant contraire au bon ordre ecclésial – Ordre justement ! Je la
maintiens cependant en rappelant qu’il y a grand danger à penser l’Eglise uniquement selon le modèle hiérarchique strict. Les divers courants qui ont,
au fil des siècles, produit des congrégations religieuses offrent une très grande variété dans la gestion des débats et de l’autorité : pourquoi ce qui
vaut pour ces groupes serait entièrement disqualifié pour l’église séculière ?
Les trois pistes de réflexion proposées ici ne sont pas les seules à explorer mais je me limite pour le moment à ces voies faciles à décrire.
J’espère que d’autres observateurs ou acteurs apporteront leurs vues personnelles sur la façon d’extirper du « catholicisme organisé » les liens
existant avec l’extrême-droite. Les contre-témoignages patents provoqués par les épisodes de collusion entre catholicisme et
cette mouvance demandent à être médités. Pour ma part je ne peux me contenter pour les contrer de brandir un étendard, fut-il marqué du blason de Vatican II.
Quoi qu’il en soit de la pertinence des remarques ici avancées, de la valeur des voies d’amélioration suggérées, j’en appelle à tous ceux qui ne peuvent se
reconnaître dans un catholicisme parrainant une organisation autoritaire de la société. Agir pour éviter ces liaisons dangereuses est
indispensable à condition d’avoir au préalable compris ce qui les a fait naître et les entretient.
Jean Lavergnat
Peintures de Guermaz
1- Les liens noués durant cette période –ou en d’autres occasions- pouvant perdurer comme l’a bien montré la
longue cavale de P. Touvier. / Retour au texte
2- Ce terme, au singulier, est une simplification, j’en ai bien conscience. Les spécialistes en détaillent
les diverses composantes qui varient selon époques et dont toutes ne se réclament pas du christianisme (royalistes, nationaliste, populiste,
antidreyfusarde, antisémite, maurassienne, pétainiste etc.) /
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3- Pour le magistère de paix, voir l’Appel aux Belligérants de Benoit XV en 1917. Pour les réactions face à
la Société des Nations, lire la notice « Guerre, Paix » du Dictionnaire Apologétique de la Foi Chrétienne. /
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4- La Croix du 2 février 2009. Le site internet du diocèse de Clermont permet de lire facilement la contribution de
l’archevêque : Cliquer ici
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5- Lors du Concile de Vatican II, notamment au début de la première session, de vives
tensions ont divisé la Curie et la grande majorité des pères conciliaires. L’administration de la Curie peuplée de clercs et d’évêques sans peuple réel,
n’acceptait pas facilement la prévalence des évêques résidentiels, comme on les nommait à l’époque. /
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