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Débat sur la fin de vie : ambivalence et paradoxes
François Larue

Le débat sur la fin de vie reprend après un avis rendu récemment par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) (1) qui évoque la possibilité d’autoriser une aide active à mourir dans un cadre limité. Le Président de la République a demandé un débat national. Une modification de la loi est envisagée.

Médecin de soins palliatifs, j’estime que, pour les situations que je rencontre, la loi actuelle est adaptée. Mais il s’agit d’un avis médical et les médecins ne font pas la loi qui concerne la société toute entière.

Que dit la loi française, sur quels arguments le CCNE s’appuie-t-il, quelles pourraient être les conséquences de telles évolutions ? Les réflexions qui suivent tentent d’apporter quelques éléments au débat.

François Larue est membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant"

(1) Commentaires et débats

Que dit la loi ?

Au cours des dernières années, plusieurs lois importantes ont été votées :

La loi du 9 Juin 1999 précise que « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ».

La loi du 4 mars 2002 renforce les droits des personnes soignées. Toute investigation ou tout traitement doit être précédé par un consentement libre et éclairé du patient : celui-ci doit donc être informé sur son état de santé. Le droit au refus de traitement est reconnu. Le malade est positionné comme l’acteur principal de sa santé.

La loi du 22 avril 2005 (Loi Leonetti, votée à l’unanimité) évoque les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Ce qui était appelé acharnement thérapeutique est désormais désigné sous le vocable d’obstination déraisonnable. Cette loi précise que l’obstination déraisonnable doit être délaissée et qu’il ne faut pas empêcher la mort d’advenir. Toutefois, si les traitements peuvent être arrêtés, ou ne pas être entrepris, les soins et l’accompagnement sont, quant à eux, un devoir et doivent être poursuivis.

La loi du 2 février 2016, dite loi Claeys-Leonetti, confirme l’importance du droit aux soins palliatifs et offre une possibilité de sédation profonde et continue jusqu’au décès aux personnes souffrant d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements. Cette sédation ne peut être mise en place qu’après une « procédure collégiale » c’est-à-dire une discussion entre professionnels de santé, prenant appui sur les directives anticipées si elles existent, ou prenant en compte l’avis de la personne de confiance, ou à défaut celui de la famille ou des proches.

Les lois de 2005 puis 2016 ont garanti le respect de la personne lorsque celle-ci n’est plus en capacité d’exprimer sa volonté : possibilité d’écrire des directives anticipées, devenues contraignantes pour le médecin en 2016, incitation à désigner une personne de confiance susceptible d’être le porte-parole de la personne qui ne peut plus s’exprimer.

Plus récemment, plusieurs parlementaires ont déposé le 19 janvier 2021 une proposition de loi « visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France ». La demande était clairement d’évoluer vers la possibilité d’accéder à une aide active à mourir. Cette proposition déposée dans le cadre d’une niche parlementaire n’a pas abouti.

L’avis récent du Comité Consultatif National d’Éthique

Cet avis a été rendu public le 13 septembre 2022. Il est accompagné, c’est inhabituel, d’une réserve signée par 8 membres.

Les lignes qui suivent ne sont qu’un résumé et ne peuvent donner une idée exhaustive de la précision des débats. J’invite les lecteurs à consulter le document in extenso.

L’avis relève que le développement des soins palliatifs et le respect des lois actuelles ne sont vraisemblablement pas suffisants Il est toutefois difficile de l’affirmer en l’absence de recherches et d’indicateurs fiables. Il note aussi que le système de santé est globalement en difficulté ce qui peut contribuer à expliquer certaines de ces insuffisances. Le document aborde le cas de patients atteints de maladie graves et incurables présentant des souffrances réfractaires et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court mais à moyen terme (quelques mois ?). La sédation pourrait dans ces cas devenir inefficace avec le temps ne pas répondre à leurs besoins. La loi actuelle serait en défaut. Faut-il alors autoriser une aide active à mourir (euthanasie ou suicide assisté) comme l’ont fait certains pays étrangers (Australie, Amérique du nord notamment) quand la durée de vie prévisible est inférieure à 6 ou 12 mois (selon les états) ?

La lecture du document montre que les avis sont extrêmement partagés au sein même du CCNE. On pourrait résumer en disant que toutes les opinions s’expriment entre ceux qui pensent qu’il est inacceptable de laisser souffrir certains patients et ceux qui considèrent que participer activement au décès d’un patient est déontologiquement et philosophiquement impensable. Les aspects de dignité, de solidarité, d’autonomie sont en permanence mis en avant.

Dans cet avis, le CCNE n’aborde pas certaines questions comme les situations concernant les mineurs ou les personnes souffrant de troubles psychiques ou cognitifs sévères ou encore les personnes dont le traitement, qui maintenait le patient artificiellement en vie, est arrêté mais dont le décès ne survient pas rapidement.

La recommandation du CCNE est la suivante : « si le législateur souhaite s’emparer de ce sujet, le CCNE considère qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger »… Les propositions du CCNE sont ainsi développées en deux volets d’égale importance et leur complémentarité doit guider la réflexion du législateur… ils reposent sur la conciliation de deux principes fondamentaux : le devoir de solidarité avec les personnes les plus fragiles et le respect de l’autonomie de la personne. Les deux volets concernent le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs, et les repères éthiques en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir. Le CCNE insiste sur la nécessité d’un débat national (débat public plutôt que referendum).

La réserve signée de 8 membres pointe quant à elle la nécessité de prérequis avant d’envisager une évolution législative et notamment 1/ la connaissance, l’application et l’évaluation des nombreux dispositifs législatifs existants, 2/ un accès aux soins palliatifs et un accompagnement global et humain pour toute personne en fin de vie, 3/ une analyse précise des demandes d’aide active à mourir afin d’évaluer leur motivation et leurs impacts sur les proches et sur l’ensemble de la société, en France mais aussi dans les pays où cette aide est autorisée. Ces prérequis représentent la garantie qu’un recours à une aide active à mourir ne relève ni d’un défaut de soin ni d'un déficit de connaissance et préservent ainsi l’intégrité du principe éthique fondamental du consentement libre et éclairé. Les signataires soulèvent également plusieurs inquiétudes : 1/ Quel message enverrait une évolution législative à la société ? 2/ Quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? Ne risque-t-elle pas d’être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ? 3/ Quel message enverrait aujourd’hui une évolution législative au personnel soignant en particulier dans le contexte de crise sanitaire majeure et d’une crise de la vocation soignante et médicale, alors même que les personnels de santé témoignent d’une souffrance éthique inédite.

Les arguments avancés par certains partisans d’une évolution de la loi

En 2021, les 270 députés d’horizons politiques différents qui avaient manifesté à ce sujet une position publique, mettaient en avant la revendication du droit à la liberté de disposer de soi-même ainsi que celle du droit à définir soi-même les limites d’une vie digne.

Les partisans d’une dépénalisation de l’aide active à mourir, au rang desquels on trouve des artistes et des politiques s’appuient sur le fait que, selon eux, de nombreux français se rendraient à l’étranger pour accéder à leur demande, que les pratiques y sont très encadrées, que ces évolutions législatives se sont accompagnées dans le même temps d’un développement des soins palliatifs, que les pratiques euthanasiques ont été contenues depuis leur instauration.

La Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) très impliquée dans ce débat dément l’ensemble de ces affirmations qui ne reposent sur aucune donnée fiable. Par ailleurs un webinaire qu’elle avait organisé en 2021 relève que les mécanismes de contrôle sensés assurer que le cadre légal et éthique est respecté ne sont en fait pas systématiquement appliqués notamment en Belgique (2).

L’ambivalence (3)

La pratique des soins palliatifs nous apprend l’importance de l’ambivalence des patients. Elle est habituelle voire systématique : il est très fréquent qu’un patient, notamment en phase avancée d’une maladie grave, exprime parfois dans le même temps qu’il est conscient d’être en fin de vie mais qu’il projette un voyage dans un délai qui paraît peu réaliste. Cette ambivalence peut se manifester par des demandes : demande d’euthanasie un jour qui s’efface ensuite notamment si le patient voit que ses attentes, ses besoins sont satisfaits, ou s’il a vécu un moment chaleureux avec des proches. J’ai en tête le souvenir de cet ami mort du SIDA dans les années 90 et qui déclarait sans ambiguïté lors du diagnostic qu’il ne connaitrait pas la déchéance (en clair, qu’il se donnerait la mort). J’ai rarement assisté à une évolution et à une agonie aussi longues. Au fur et à mesure que la maladie s’aggravait, les convictions du départ semblaient laisser place à un désir de vie, quelles que soient les conditions de cette vie. Cette ambivalence doit être entendue et respectée. Au passage, de telles expériences interrogent sur la fiabilité de certaines directives anticipées.

Il convient d’être attentif au discours du patient, sachant que celui-ci révèle des « mécanismes de défense ». De quoi s’agit-il ? Les personnes atteintes de maladie grave ressentent une angoisse qui varie selon les moments mais peut devenir envahissante, obsédante. Se mettent en place des mécanismes de défense. Ce sont des processus psychologiques inconscients qui leur permettent de faire face aux situations difficiles et à l’angoisse qu’elles génèrent (4). Ces mécanismes peuvent conduire à des comportements peu compréhensibles pour qui n’a pas l’habitude de les analyser. Ils peuvent prendre la forme d’un déni par exemple : le patient a été informé de son état de santé mais il fait comme si cette information ne lui avait pas été donnée. Certains patients manifestent une agressivité. Plusieurs modes d’expression sont possibles. Les psychologues nous disent que ces mécanismes de défense doivent être respectés.

Les mécanismes de défense ne concernent pas que les patients mais aussi les professionnels de santé. Chacun a pu observer des comportements peu adaptés : médecins qui laissent peu de temps aux patients pour poser des questions, qui se concentrent sur un discours technique… On juge sévèrement ces comportements, parfois à juste titre. Mais ce jugement peut être nuancé si on les interprète comme de possibles mécanismes défensifs.

Ces quelques lignes donnent peut-être une idée de la complexité de la relation médecin malade. C’est pourtant cette relation qui va permettre que s’expriment des demandes parfois contradictoires qu’il faudra entendre, décoder et qui peuvent évoluer dans le temps. C’est une pratique très fine dont tous les médecins, loin s’en faut, ne sont pas familiers. S’ils se sentent à l’aise avec cette pratique c’est qu’ils ont fait une démarche volontaire, qu’ils se sont formés, qu’ils sont habitués aux échanges avec leurs collègues médecins ou non médecins. Malheureusement cette formation n'est pas systématique chez les médecins et notamment à l’université.

Et il ne faut pas nier l’ambivalence de tous les autres acteurs. L’entourage n’en est pas exempt : combien de fois voyons-nous, entendons-nous des familles qui, aimant sincèrement la personne malade souffrent d’assister à une fin de vie longue, qui leur paraît dénuée de sens. Après le décès, nombre d’entre eux se disent « non préparés » à ce deuil. Ils appelaient pourtant de leurs vœux une mort rapide peu de temps avant. Les professionnels de santé ne sont pas non plus à l’abri de cette ambivalence souhaitant soulager, respecter la fin de vie, mais s’interrogeant sur certaines fins de vie prolongées.

L’ambivalence n’est pas spécifique de la fin de vie et occupe une place importante dans le fonctionnement psychique de chacun. Mais elle prend une importance primordiale dans ce contexte.

Evolution de la loi ? quelques paradoxes

Les partisans d’une évolution législative mettent en avant l’acquisition d’un nouveau droit, d’une nouvelle liberté. Est-ce certain ?

Comment s’assurer, si la loi évolue, que l’ambivalence des patients sera respectée ? Quand deux demandes contradictoires sont émises, ce qui est fréquent, qui peut garantir que les deux seront entendues connaissant la difficulté de la relation médecin malade et le nombre probablement faible de médecins formés à cette pratique complexe.

L’impression d’être « à la charge » de sa famille ou de la société est fréquente au cours des maladies graves. Le sentiment de culpabilité est régulièrement évoqué par les malades. Ne sera-t-il pas plus prononcé s’il lui est légalement possible de mettre fin à sa vie en y étant aidé de façon active ?

Selon le CCNE : « si cette demande (dépénaliser l’aide active à mourir) relève pour certains d’une véritable aspiration à l’émancipation et l’autodétermination, il est possible, pour d’autres, qu’elle exprime davantage la peur de la mort, de mourir, de mal mourir, de souffrir, de faire souffrir son entourage. La sollicitation d’une aide active à mourir traduit en particulier la peur de mal vieillir : de subir l’isolement, la solitude, l’invalidité, la dépendance ou l’absence d’accès à des soins palliatifs. Enfin, les demandes de mort peuvent aussi être l'expression d'un profond syndrome anxiodépressif (qu’il faut évaluer et traiter) dans une situation où les pertes de fonctions et d’autonomie se succèdent, engendrant une perte de l'estime de soi ».

Ceux qui aspirent à l’émancipation et à l’autodétermination jusqu’au bout sont-ils nombreux ? Il est permis d’en douter. L’affirmation selon laquelle de nombreux patients se rendraient à l’étranger pour bénéficier d’une aide active à mourir est vivement contestée et ne repose sur aucune donnée fiable. Parmi ceux qui revendiquent la liberté de choix alors qu’ils vont bien, beaucoup exprimeront sans doute une opinion différente lorsqu’ils feront face à la maladie. C’est l’expérience de toutes les équipes de soins palliatifs.

La nécessité de développer les soins palliatifs n’est contestée par personne. L’inégalité d’accès aux soins, notamment aux soins palliatifs reste une réalité en France particulièrement en cette période de crise du monde de la santé (on rappelle que la loi garantissant à tous l’accès aux soins palliatifs date de 1999). Imaginons que l’aide active à mourir soit dépénalisée, un patient pourrait être enclin à la demander, non parce qu’il présente une souffrance réfractaire mais parce qu’il n’a pas accès à une prise en charge palliative adaptée. Il devrait porter alors le poids d’une décision sous la pression d’un contexte dont il n’est aucunement responsable. C’est bien la société et non le malade qui est responsable de l’inégalité d’accès aux soins. Mais c’est le patient qui porte le poids de la décision. Et quelle décision !

Une extension inéluctable

Quand ces évolutions législatives sont actées, elles sont sans doute irréversibles et appelées à s’étendre : Theo Boer, Professeur d’Ethique de la Santé aux Pays-Bas et ancien membre d’un comité de contrôle de l’euthanasie du gouvernement néerlandais évoque l’évolution de la situation de son pays en 20 ans. La loi permettant l’euthanasie a été votée en 2002. Il l’a soutenue, convaincu qu’elle permettait le juste équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et la garantie des libertés individuelles. Aujourd’hui, devant l’évolution il écrit « je me suis trompé » (5). Le nombre annuel d’euthanasies a quadruplé en 20 ans, dans certains endroits des Pays Bas jusqu’à 15% des décès résultent d’une mort administrée. Le champ d’application s’est progressivement étendu (personnes souffrant de pathologies chroniques, handicapées…). Il prédit une évolution identique dans tous les pays légalisant l’aide active à mourir au nom de l’égalité de tous à accéder au droit.

Ces propos ne se veulent pas affirmatifs. L’objectif est de participer à un débat complexe, bien plus complexe que le laissent penser certains sondages à la méthodologie probablement discutable et qui affirment qu’une grande majorité de français souhaitent une dépénalisation de l’aide active à mourir. Un peu de nuance ne devrait pas nuire…

François Larue, Février 2023
Vitraux de Henri Guérin

1- CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) Avis 139 Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité https://www.ccne-ethique.fr/node/529?taxo=0 / Retour au texte
2- SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs) web conférence. Changement de loi. Et maintenant ou on va ? https://www.youtube.com/watch?v=XZCNL8SWm5E / Retour au texte
3- Larue F. L’ambivalence des patients en fin de vie doit être respectée. Le Monde 7 février 2023 / Retour au texte
4- Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Dunod Ed. / Retour au texte
5- Boer T. Fin de vie : ce qui est perçu comme une opportunité par certains devient une incitation au désespoir pour les autres. Le Monde 1er décembre 2022. / Retour au texte


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