Le nouveau Temple
La justice a des limites
Nul n’est censé ignorer la loi ! La France interdit qu’on héberge des demandeurs d’asile que le pays prétend être incapable d’accueillir. Quiconque transgresse l’interdit doit comparaître devant un tribunal. Ce fut le cas d’un prêtre de St Etienne ; il avait ouvert les locaux de sa paroisse à des étrangers, hommes, femmes, enfants qui ne trouvaient « nulle pierre où reposer la tête ». Traîné devant les tribunaux, à l’audience du 11 juin dernier, le procureur avait requis une amende de 12 000 €. En réalité, le 10 septembre suivant, le juge décida de relaxer l’accusé. Entre les lois et décrets qui font des coupables et l’exercice de la justice, il semble qu’existe une limite qu’un juge a su discerner. C’est cette frontière, semble-t-il, que Jésus, dans cet épisode des marchés du temple, tente de montrer.
Une colère symbolique
Le Temple, aux yeux des Juifs, est hautement symbolique. Il marque que le peuple est dépassé par YHVE. Certes le peuple juif est un peuple comme un autre avec ses coutumes, ses conventions, ses traités avec les puissances étrangères comme l’Empire romain. Il a ses métiers : artisans ou paysans, semeurs et laboureurs ou bergers. Entre les uns et les autres, les échanges sont organisés ; on sait le prix des choses. Jésus ne conteste pas fondamentalement la façon dont la communauté où il vit est organisée même s’il a tendance à critiquer ce qui exclut.
Mais ce peuple semblable aux autres a son originalité. Non seulement chacun a affaire à ses voisins et aux institutions du pays, mais l’ensemble de ses membres est en Alliance avec un Autre, inaccessible apparemment, difficile à nommer, différent de lui et pourtant inséparable de Lui. Par-delà toutes les institutions structurant leur façon de vivre, le peuple perd son identité s’il oublie qu’il est désiré par un Autre, aimé de Lui, rejoint par Lui. Au milieu de Jérusalem, le Temple est le signe de l’alliance avec Yahvé qui conduit à inventer la manière de vivre de Lui et avec Lui. La colère de Jésus en ce lieu est symbolique. Le charivari qu’il déclenche est une manière de parler ; il se conduit comme les prophètes qui s’expriment non seulement par des discours mais par des gestes spectaculaires qui parlent aux regards. Il n’est pas mauvais en soi d’élever des animaux et de les vendre. Mais il est insupportable de confondre une activité de ce genre avec la reconnaissance du Tout-Autre, si lointain et si proche. Jésus le souligne en agitant son fouet et ses cordes. Par le fait même, il se révèle. Il est lui-même la frontière entre ce monde et ce qui le dépasse : « Détruisez ce Temple et en trois jours, je le relèverai ». Les disciples comprirent vite, après la Résurrection, que le signe de l’Autre était son corps ressuscité.
Le Nouveau Temple
Le Temple de Jérusalem est aujourd’hui réduit à un mur que tous les croyants monothéistes respectent : on se souvient des gestes de Jean-Paul II, de Benoît XVI ou du Pape François lors de leurs visites en Terre Sainte. Mais, St Paul le rappelle dans la lettre aux Corinthiens qu’on lit dans la liturgie de ce jour, les chrétiens sont conscients que la Résurrection de Jésus n’est pas achevée à Jérusalem au jour de Pâques. Le corps des croyants unis par l’Esprit de Jésus a pris la place du monument de pierres : l’Eglise est le nouveau Temple. Ses membres, dispersés parmi les nations, partagent les conditions de ceux ou de celles avec qui il leur est donné de vivre. Mais lorsque leurs contemporains dépassent certaines limites, les chrétiens sont invités à la vigilance. Qu’ils se laissent prendre par l’Esprit! L’Eglise est tout autant menacée que le Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus.
Il n’est pas si loin ce temps où les évêques de France prenaient conscience que leur silence pendant l’occupation faisait de l’Eglise une maison de trafic. Peut-on dire que l’Eglise, nouveau Temple, est dans sa mission lorsqu’elle impose sa morale à toutes les nations ? Lorsqu’elle prit conscience de sa mission, après le départ de Jésus, la Communauté des apôtres s’est bien gardée d’imposer aux convertis les interdits auxquels ils se soumettaient comme les anciens juifs. Aujourd’hui, il faut se réjouir quand le Pape François visite les migrants ou pose la main sur les murs qui, en Terre Sainte, séparent des communautés humaines : il rappelle ainsi le désir que le Dieu de l’Alliance a devant l’humanité : « Qu’ils soient Un ! ». Il faudrait, du moins est-ce l’opinion de bien des amis de Dieumaintenant, qu’elle aille jusqu’à mettre en garde ceux qui massacrent les familles de Gaza ou qui occupent injustement les terres palestiniennes.
Certes, on peut interroger les responsables de l’Eglise mais chaque baptisé se doit de s’interroger lui-même. « Pas de politique dans l’Eglise », dit-on souvent avec raison. Il n’empêche que chaque baptisé est un citoyen dont le jugement peut influer sur la marche d’un pays. Quand un candidat se présente avec un programme dont on voit que les limites qu’il pose sont à dépasser, que son électeur, s’il est chrétien, se souvienne des gestes de Jésus pour sauver la beauté de la maison de son Père. Peut-on accorder sa confiance à ceux qui mettent en avant la sécurité ? A ceux qui veulent renforcer les privilèges des uns au détriment des plus démunis ? Chrétiens, ne négligeons pas les forces qui nous restent dans la société. Les refus que nous pouvons formuler ne sont pas vains. Le procès du curé de St Etienne vient de le montrer.
Michel Jondot