2- L'ambivalence des patients en fin de vie doit être respectée
Les personnes atteintes d’une maladie grave développent des mécanismes de défense qui peuvent conduire à des demandes d’aide à mourir fluctuantes dans le temps, prévient, dans une tribune au « Monde », le médecin spécialiste de soins palliatifs François Larue.
La pratique des soins palliatifs apprend que l’ambivalence des patients est habituelle voire systématique : il est très fréquent qu’un patient, notamment en phase avancée d’une maladie grave, exprime parfois dans le même temps qu’il est conscient d’être en fin de vie mais qu’il projette un voyage dans un délai qui paraît peu réaliste. Cette ambivalence peut se manifester par des demandes : demande d’euthanasie un jour qui s’efface si le patient voit que des attentes, des besoins sont satisfaits, ou s’il a vécu un moment chaleureux avec des proches. J’ai en mémoire le souvenir de cet ami mort du SIDA dans les années 90 et qui déclarait sans ambiguïté, au moment où sa maladie était diagnostiquée, qu’il ne connaitrait pas la déchéance (en clair, qu’il se donnerait la mort). J’ai rarement assisté à une telle évolution et à une agonie aussi longue. Au fur et à mesure que la maladie s’aggravait, les convictions du départ semblaient laisser place à un désir de vie, quelles que soient les conditions de cette vie.
Cette ambivalence doit être entendue et respectée.
Être attentif au discours du patient c’est aussi respecter ses mécanismes de défense. De quoi s’agit-il ? Les personnes atteintes de maladie grave ressentent une angoisse importante. Elles développent des mécanismes de défense, processus psychologiques inconscients qui leur permettent de faire face aux situations difficiles et à l’angoisse qu’elles génèrent comme l'a montré la psychologue Martine Ruszniewski (2). Ceci peut conduire à des discours ou des comportements peu compréhensibles pour qui n’est pas habitué à les analyser (agressivité, déni, rationalisation…).
Demandes contradictoires
La relation médecin malade est complexe. Elle permet que s’expriment des demandes parfois contradictoires qu’il faut entendre, décoder et qui peuvent évoluer dans le temps. C’est une pratique fine. Tous les médecins n’en sont pas familiers.
Et il ne faut pas nier l’ambivalence des autres acteurs. L’entourage n’en est pas exempt : combien de fois voyons-nous, entendons-nous des familles qui, aimant sincèrement la personne malade souffrent d’assister à une fin de vie longue, qui leur paraît dénuée de sens. Après le décès, nombre d’entre eux se disent « non préparés » à ce deuil. Ils appelaient pourtant de leurs vœux une mort rapide peu de temps avant. Les professionnels de santé eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’une certaine ambivalence.
L’ambivalence n’est pas spécifique de la fin de vie et occupe une place dans le fonctionnement psychique de chacun. Mais elle prend une dimension particulière dans ce contexte.
Certains partisans d’une évolution législative autorisant une aide active à mourir mettent en avant l’acquisition d’un nouveau droit, d’une nouvelle liberté. Est-ce certain ?
Comment s’assurer, si la loi évolue, que l’ambivalence des patients sera respectée ? Quand deux demandes contradictoires sont émises, ce qui est fréquent, qui peut garantir que les deux seront entendues connaissant la difficulté de la relation médecin malade et le nombre probablement insuffisant de médecins formés à cette pratique complexe.
Défaut de prise en charge palliative
L’impression d’être « à la charge » de sa famille ou de la société est fréquente au cours des maladies graves. Le sentiment de culpabilité est régulièrement évoqué par les malades. Ne sera-t-il pas plus prononcé, ressenti, mis en avant, s’il lui est possible de mettre fin à sa vie en y étant aidé de façon active ?
Ceux qui aspirent jusqu’au bout à l’émancipation et à l’autodétermination sont-ils si nombreux comme sembleraient le montrer certaines enquêtes d’opinion ? Il est permis d’en douter. L’affirmation selon laquelle de nombreux patients français se rendraient à l’étranger pour bénéficier d’une aide active à mourir n’est pas recevable car elle ne repose sur aucune donnée fiable. Parmi ceux qui revendiquent cette liberté de choix quand ils vont bien, beaucoup exprimeront probablement une opinion différente lorsqu’ils feront face à la maladie. C’est l’expérience de toutes les équipes de soins palliatifs.
La nécessité de développer les soins palliatifs n’est contestée par personne. L’inégalité d’accès aux soins, notamment aux soins palliatifs reste une réalité en France particulièrement en cette période de crise du monde de la santé alors même que la loi garantissant à tous l’accès aux soins palliatifs date de 1999. Imaginons que l’aide active à mourir soit dépénalisée, un patient pourrait être enclin à la demander, non parce qu’il présente une souffrance réfractaire mais parce qu’il n’a pas accès à une prise en charge palliative adaptée. Il devrait porter alors le poids de cette décision - et quelle décision ! - alors que cette inégalité relève de la responsabilité de la société.
Respecter le droit des patients, c’est avant tout les écouter, entendre toutes les dimensions de leur discours. Le respect de l’ambivalence est fondamental.
François Larue
Article paru dans Le Monde :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/06/aide-active-a-mourir-l-ambivalence-des-patients-en-fin-de-vie-doit-etre-respectee_6160690_3232.html