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Fin de vie : débat éthique ou sociétal ?
François Larue

Dans son avis de septembre 2022, le Comité Consultatif National d’Éthique considère qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir à certaines conditions. François Larue s’interroge : « Qu’est-ce qu’une application éthique ? Quelles pourraient être ces conditions ? » Plutôt que de changer la loi, il pense qu’« il existerait une voie médiane : il s’agirait d’appliquer celles dont nous disposons en introduisant le principe d’une exception. Dans certains cas, une transgression et donc une aide à mourir serait possible. »

François Larue a été, jusqu’à une période récente, chef du service de soins palliatifs de l’hôpital de Bligny. Il est membre de l’équipe animatrice de « Dieu maintenant ». On trouve les autres articles qu’il a écrit sur le sujet à la page : santehandicap.html

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Le questionnement éthique s’impose dans les situations complexes ce qui est fréquent en fin de vie. Des valeurs, des repères sont en concurrence, en tension. Répondre à une question éthique suppose d’articuler les valeurs entre elles pour rechercher le meilleur point d’équilibre. Peut-on répondre seul à une question éthique ? Évidemment non. La collégialité s’impose pour proposer une solution qui à défaut d’être la bonne sera souvent la moins mauvaise. Apparait là le premier problème : dans le projet de loi actuel, la procédure collégiale n’est que symbolique. La réponse (rapide) à une question majeure sera tranchée par un ou deux médecins. Il devient plus simple de décider une aide à mourir qu’une sédation terminale ou même une chirurgie ou un traitement complexe.

Vers une loi liberticide ?

Poursuivons le raisonnement : le projet de loi défend l’idée d’un droit nouveau. Mais pourrait-il se révéler liberticide ? Il existe incontestablement des patients dans une situation de souffrance extrême en fin de vie dont la volonté de mourir est claire et maintenue dans le temps. Dans mon expérience ils sont rares. J’ai rencontré de telles situations et me suis interrogé. Leur permettre d’accéder à ce droit ne me choque pas et peut apparaître comme la solution. Le respect de la volonté du patient est essentiel. Mais percevoir cette volonté est-il simple comme on tente de nous le faire croire ? Et quel sera l’impact chez tous les autres patients si la loi envisagée s’applique ? Peut-on affirmer que l’ambivalence quasi systématique des patients sera respectée ? Un patient dont la douleur est soulagée est moins demandeur d’aide à mourir. Est-on certain que les soins adaptés auront été proposés avant de décider d’une mort administrée ?

L’accès aux soins palliatifs est inscrit dans la loi depuis 1999. Il faudrait être bien naïf pour croire que le plan actuel de développement des soins palliatifs répondra rapidement aux besoins. Par ailleurs, de nombreux malades se sentent à la charge de leur famille ou de la société. Cette possibilité, si elle leur est proposée, ne les poussera-t-elle pas à demander une aide à mourir alors qu’ils ont avant tout besoin de soin, d’accompagnement ? En clair, cette loi n’apparaitra-t-elle pas comme un encouragement à demander une aide à mourir sans certitude que c’est bien le désir profond du patient ? Le débat éthique devrait prendre en compte cette dimension.

Conserver la loi actuelle en introduisant le principe d’exception ?

Enfin, acceptera-t-on d’évoquer la question du coût de la mort ? Des soins palliatifs bien conduits coûtent cher. Bien plus qu’une prescription létale, c’est évident. Mais pudiquement ce sujet est très peu évoqué. Dans une période où les finances publiques sont fragilisées comment imaginer que cette question est absente du raisonnement de certains décideurs ? L’éthique ne pourrait se satisfaire de ce renoncement.

Le débat s’est déplacé et, à défaut d’être éthique, est désormais résolument sociétal. Deux militantismes s’opposent. D’un côté les partisans d’un droit de choisir les conditions de sa propre mort. Ils semblent majoritaires. Quel que soit le choix du législateur, il ne leur suffira pas. De l’autre, ceux qui refusent l’idée que participer à la mort d’un patient puisse constituer un soin. Ces deux positions paraissent irréconciliables.

Il existerait pourtant une voie médiane : plutôt que de changer la loi, il s’agirait d’appliquer celles dont nous disposons en introduisant le principe d’une exception. Dans certains cas, une transgression et donc une aide à mourir serait possible. Mais elle devrait être décidée collégialement en intégrant éventuellement des professionnels du droit. J’entends dire que ce principe d’exception est juridiquement impossible. Pour le médecin non juriste que je suis, se retrancher derrière ces arguments alors qu’on s’apprête à voter une loi autorisant de donner la mort à des patients est incompréhensible. Et, à l’évidence, cette voie médiane n’a pas été choisie…

François Larue, septembre 2025
Peinture d'Eric Mignon