Dieu ou quelqu'un d'Autre ?
Aurélien :
Dans l’année, je ne suis pas pratiquant mais, pour Noël, je vais à la messe de minuit avec mes parents. Je m’étonne toujours des chants « Les anges qui chantent dans
les cieux...Gloire à Dieu au plus haut des cieux ». Cela me fait penser à Gagarine, le premier homme qui a voyagé dans l’espace et qui dit, en revenant sur terre :
« J’ai bien regardé et je n’ai pas vu Dieu » !
Christine :
Tu devrais lire une conférence d’un philosophe, Jean-Luc Nancy (1).
Il explique comment les mots « ciel » ou « cieux » désignent le divin.
Elsa :
Moi, je ne crois pas que Dieu puisse exister. Je serai sans doute amenée à aller à la messe, moi aussi, le jour de Noël. Mais je ne crois pas que Dieu existe.
Christine :
Toi aussi tu devrais lire ce texte. Jean-Luc Nancy est presque d’accord avec toi. Si on trouvait en ce monde-ci ou dans un autre monde un
personnage qui serait Dieu, ce serait forcément autre chose que Dieu. Il explique que le mot ciel est une façon de dire « ce qui est plus haut
que tout » : je dis bien « tout » c’est-à-dire hors de « tout » ce qui existe. Si Dieu est hors de ce qui existe, on ne peut pas dire qu’il existe.
Elsa :
Cela veut dire que ton philosophe est athée !
Christine :
Justement non, pas forcément. C’est difficile de trouver les mots pour parler de quelque chose qui n’est pas une chose ou de quelqu’un
qui n’est pas quelqu’un. Ce « quelque chose » qui n’est en aucun endroit est en même temps dans tous les endroits. J.L. Nancy parle d’une réalité
qui ne serait pas de ce monde et pourtant traverse le monde (un peu comme l’air qu’on respire), à la fois présente et absente. C’est cela que
les religions appellent « Dieu ».
Autre que tout ce qui existe...
Aurélien :
Je ne comprends pas. Il existe ou il n’existe pas ?
Christine :
Les religions te diront qu’il existe mais leur façon d’en parler consistera à dire qu’il est inaccessible, invisible etc.... Les musulmans vont jusqu’à dire qu’il ne faut
surtout pas en faire de représentation. S’Il n’existe pas vraiment, en effet, on ne peut le représenter. Jean-Luc Nancy, pour faire comprendre sa pensée, parle
d’« Ouverture ». Une personne humaine n’est ni une pierre ni un végétal. Un arbre et un caillou n’ont besoin de rien d’autre que des cellules ou des cristaux
qui les constituent pour être ce qu’ils sont. L’homme ou la femme ne peuvent exister sans être « ouverts » sur plus qu’eux-mêmes. Vous connaissez
Pascal, le philosophe du XVIIème siècle. Il disait : « L’homme passe infiniment l’homme ». Ce « dépassement », les religions l’appellent Dieu.
« Dieu est plus grand », disent les musulmans ; « plus grand » que ce qui existe !
Elsa :
On peut être « ouvert » sans croire en Dieu !
Christine :
Bien sûr ! Mais on ne peut demeurer humains sans être ouverts sur ce qui nous dépasse ; il est tentant de demeurer replié sur soi-même et ses propres
intérêts. Il s’agit de vivre en étant « fidèle » à ce qui nous dépasse, à ce qui est autre que nous et sur quoi nous nous ouvrons. Les religions, en nous
proposant d’appeler Dieu ce dépassement, nous formulent des « croyances » sur lesquelles on peut discuter. Mais en même temps que ces croyances et grâce
à elles, nous pouvons vivre cette fidélité sans laquelle nous échappons à notre condition.
Présent-Absent sans arrêt...
Aurélien :
J’aimerais bien qu’on me donne un peu plus de lumière sur ce dépassement qui existe sans exister.
Christine :
Si un jour quelqu’un te dit « je t’aime » et que cela bouleverse toute ta vie, tu ressentiras un je ne sais quoi qui changera ton regard.
Dire « je t’aime » ou dire « il fait beau », cela ne fait pas grande différence. Et pourtant quel saut peut provoquer la première phrase.
Quand tu entends une musique belle et bien jouée, tu te sens transporté loin du quotidien. L’autre jour, en regardant la Télévision lors de
l’hommage rendu à Nelson Mandela et en voyant une centaine de chefs d’Etat se recueillir, je me disais « quel bouleversement le monde a vécu ».
Une fraction de l’humanité, sans violence, voit sa dignité reconnue alors que jusque-là, elle était bafouée. Tout cela nous dépasse. Enfin quand
je lis l’Evangile, quand je prends conscience de la vie, de la mort, de l’amour qui a habité Jésus, je suis ébranlée. Je crois qu’Il est ressuscité :
cela c’est de la croyance et cette croyance me fait entrer dans l’Eglise. A partir de là, j’ai à inventer ma fidélité.
Certains sont fidèles en amour ; d’autres sont fidèles à un art ou à une grande cause. Pour moi j’aimerais, par Jésus, être fidèle à Celui qu’Il
appelait Père. Est-ce qu’on peut dire que Dieu existe ? Oui et non. L’Evangile nous dit : « Dieu ! nul ne l’a jamais vu ». Un disciple de Jésus disait
un jour : « Montre-le nous Celui que tu appelles Père ». Jésus lui a répondu : « Mais qui me voit, voit le Père ». Il est une façon de regarder
celui qui nous fait face en sortant de nous-mêmes, en vivant ce que J.L. Nancy appelle « l’ouverture ». En sortant de moi-même en vérité pour rejoindre
un autre, pour me laisser dépasser par lui, j’entre dans la fidélité de Jésus et je rencontre celui qui est à la fois présent et absent, l’Autre, le Père.
Elsa :
A propos de Jésus, il a bien existé et pourtant on dit qu’Il est Dieu.
Christine :
Oui, il a existé, nul ne peut le nier. Le reconnaître comme Fils de Dieu est autre chose : il ne s’agit pas seulement d’accepter une croyance
mais de devenir vraiment fidèle (ce qui n’est pas la même chose que croire). De toute façon, Jésus est à la fois absent et présent : « Voici que
je m’en vais et que je viens à vous » disait-il en quittant ses apôtres. Entendre cette parole de Jésus aujourd’hui, c’est une manière de reconnaître ce dépassement
sans lequel une vie n’est pas humaine. Jésus disait : « suivez-moi ». Le suivre, tenter de le suivre, lui être fidèle est une belle façon de vivre
notre humanité. Lisez la vie des saints : la fidélité à Jésus leur permet de découvrir en eux des possibilités auxquelles ils ne s’attendaient pas.
Songeons-y lors de la messe de Noël !
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