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La foi des gens du voyage
Luc Balbont

L’itinérant, le voyageur, celui qu’on ne peut pas fixer fait peur aux dirigeants et aux populations. C’est pour conjurer cette peur que Luc Balbont nous fait part d’une rencontre qu’il a vécue, au cours de cet été, auprès des gens du voyage.

Luc Balbont est journaliste et membre de l’équipe animatrice « Dieu Maintenant ».

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Les gens du voyage en pèlerinage

C’est à partir du Xe siècle que les Tsiganes, terme générique employé pour désigner les Gens du voyage quittent l’Inde pour L’Europe. Pour quelles raisons ? Guerre, famine, persécutions ? Personne ne peut le dire. Tout n’est que supposition. La seule certitude est que la communauté va se scinder en trois groupes : les Gitans émigrent vers le sud méditerranéen, les Manouches vers le nord, et les Roms peuplent l’Est de l’Europe. En France, les Tsiganes apparaissent pour la première fois dans l’Ain en 1419.

Les trois groupes cohabitent rarement. Seuls points de convergence : le goût du voyage, le sens poussé du clan, et la foi. C’est du reste lors des grands pèlerinages religieux que Gitans, Manouches et Roms se retrouvent et se côtoient temporairement.

Ainsi, entre le 19 et le 24 août, plus de 20 000 Tsiganes catholiques, toutes familles confondues se sont rassemblés à Lourdes pour prier Marie, à l’occasion du 56e pèlerinage des Gens du voyage. Parmi eux la famille Baugé et leurs trois enfants, des Manouches venus de la région parisienne. Nous les avons retrouvés sur un campement où il faisait une dernière halte, avant de rejoindre la cité de Bernadette. Tony et Maya nous ont parlé de leur foi…

Une soirée dans le camp des Baugé

Bayonne (Pyrénées Atlantiques). Pour échapper à la canicule d’août, les Baugé ont passé la journée à la plage. Ils reviennent vers leur camp, une grande friche sauvage située dans la périphérie de la cité basque. Une trentaine de caravanes occupent l’espace. 250 personnes environ, pour la plupart manouches. Tony Baugé, 31 ans, le chef de famille prépare les prochaines étapes vers Lourdes, tandis que Maya, 33 ans, son épouse s’active a mettre la table sous le auvent de la grande caravane. Autour d’eux, les trois enfants s’occupent. Nil, l’aîné joue de la guitare, casque sur les oreilles, Eden, 8 ans et Lourdes, 2 ans jouent avec un petit groupe de filles. Au milieu du camp dominant l’ensemble du parc de caravanes se dresse un grand chapiteau, où chaque jour le P Julien, 34 ans jeune prêtre du diocèse de Tours qui accompagne le groupe, célèbre la messe … à des heures variables, parfois à 11 heures ou comme ce soir vers 22 heures. « Si les gens du voyage ont la foi chevillée au corps, la ponctualité n’est pas leur fort » s’amuse le « Rachaï », le prêtre en langue manouche.

Dans quelques jours les Baugé, manouches fixés dans l’année dans le Val d’Oise, où leurs enfants sont scolarisés, s’apprêtent à participer au 57ème Pèlerinage catholique des gitans qui commence le 20 août. 3000 caravanes et plus de 20 000 fidèles venus de l’Europe entière se retrouveront durant une semaine dans la ville de la petite Bernadette pour prier Marie. Cintys d’Allemagne, Gitans d’Espagne, Manouches de Scandinavie, Roms de Bulgarie, communieront dans la même ferveur. « Tous réunis, ne faisant qu’un seul peuple autour de Marie », s’enthousiasme Tony. Le manouche insiste, et répète que les gens de sa communauté « ne se réunissent pas à Lourdes pour prier une statue figée dans une roche morte, mais pour vénérer une femme vivante, Marie, dit-il, nous conduit au Christ en nous donnant la force et l’esprit d’amour pour que nous le transmettions à notre tour à notre entourage durant l’année. Le Pèlerinage de Lourdes est notre Pentecôte à nous où Marie nous ordonne de porter le message de son Fils. »

A ce moment fort de la communauté des voyageurs, Tony et Maya s’y préparent toute l’année. Ainsi, quand il ne dirige pas sa petite entreprise d’entretiens des jardins à Franconville (Val d’Oise), Tony et sa femme qui le seconde anime des groupes de prières et de paroles. Ce n’est pas une mince affaire par les temps qui courent, car la foi se perd. Les jeunes tsiganes pratiquent de moins en moins. Mais pire encore, un grand nombre d’entre eux quittent l’Eglise pour aller vers des sectes évangéliques, dont certaines très anti-catholiques. Freddy, qui occupe la caravane voisine, extirpe de son véhicule, une pile de documents de propagande diffusés par l’une de ses sectes, où l’on peut lire que « les catholiques romains ont blasphémé le message du Christ » et d’autres propos d’une grande agressivité envers Rome. Emue Maya Baugé explique que ces gens non seulement rompent avec leur Eglise d’origine, mais rejettent également leur famille restées dans le giron romain. « C’est un drame pour nous, s’émeut Maya Baugé, car la famille reste le pilier de la culture manouche. » Freddy, leur voisin explique le phénomène par une méconnaissance des textes et une naïveté enfantine : « Beaucoup de gens de notre communauté sont illettrées et donc plus manipulables. Les sectes évangéliques qui ont plus de moyens que nous, leur promettent le paradis s’ils les rejoignent et l’enfer s’ils refusent. »

Maya lance alors un appel aux chrétiens « gadgés » (les sédentaires). « Ils doivent nous aider à faire fonctionner des centres d’informations pour répondre à ces sectes agressives ». « La foi, poursuit-elle, ne s’arrête pas à la sortie de la messe le dimanche. Nous sommes portés par une même foi, au lieu de nous rejeter et de nous traiter de voleurs de poules, les gadgés devraient comprendre que nous sommes portés par une même foi. »… Heureusement les gadgés ne sont pas tous sourds aux appelés de détresse des gens du voyage. Maya explique ainsi que c’est grâce à des frères des écoles chrétiennes et à une religieuse, sœur Marie-Laure, qu’elle a appris à lire. Dans des écoles volantes adaptées, un grand nombre de prêtres enseignent bénévolement aux enfants des gens du voyage. L’éducation des enfants tsiganes reste un vrai problème pour les familles. « Dans les écoles classiques, ils sont souvent moqués par les autres élèves et les professeurs les mettent souvent à l’écart au fond la classe. Dans des classes adaptées dites d’itinérants, nos gosses, décomplexés osent poser des questions et font preuves de créativités ; ils se sentent aimés. »

A la fin du repas, Maya va chercher un album de photos. Elle l’ouvre sur un cliché de son père, Pierangello, reçu par le pape Jean-Paul II à Rome en 1997. Puis elle explique, images à l’appui, son pèlerinage en Terre sainte d’il y a trois ans. C’est la première fois qu’elle et Tony prenaient l’avion. Un souvenir inoubliable. « Nous avons été chaleureusement reçu là-bas. Et par les juifs qui ont souffert comme nous des persécutions nazies, et par les Arabes qui sont en butte aux mêmes vexations des sans terre. Nous sommes comme eux des peuples méprisés. Heureusement notre foi nous aide à supporter toutes les humiliations. Le Christ est là pour nous soutenir, nous consoler… »

Fin du repas. Des gamins courent dans l’herbe. « C’est l’anniversaire d’Oussai, c’est l’anniversaire d’Oussai ! » hurlent-ils joyeux. La petite fête son deuxième anniversaire. Ses parents l’on revêtu d’une superbe robe rouge. Deux tables sont dressées à côté de la caravane. Deux énormes gâteaux et des bouteilles de jus de fruit attendent les invités. Le camp entier se dirige vers la gamine, les bras chargé de cadeaux. Un « happy birthday ». Le P. Julien se mêle à la fête. « Je ne suis avec eux que depuis le 1er août, dit le jeune curé, mais c’est un enchantement. Je redécouvre ici le sens de la fraternité et de la communauté. Même l’étranger de passage est accueilli au campement comme un frère. » Il est 21h30. Dans une demi-heure chacun se dirigera vers le chapiteau, la cathédrale du campement, pour y entendre la parole de Dieu. Et pour prier Marie. En manouche, « Petra Marie daï ».

Point de vue

Sur les 350 000 à 400 000 tsiganes qui vivent en France, les Roms, arrivés d’Europe centrale (Roumanie, Bulgarie), après la chute du mur de Berlin en 1989, ne représente que 5% à 6% de la communauté des Gens du voyage. Ce sont eux pourtant qui font l’actualité des ces derniers mois à cause de expulsions qui les frappent.

Différent des Roms auxquels ils sont souvent assimilés, les Manouches et les Gitans composent l’essentiel de la communauté. De nationalité française à plus de 90 %, ils sont commerçants, forains, paient des impôts. Reste qu’ils doivent posséder un carnet de voyage, à faire viser tous les trois mois par les autorités. Une mesure contraignante et une atteinte à la liberté de circuler pour des citoyens français.

Depuis toujours les nomades effraient les sédentaires. En France mais aussi partout dans le monde. En Roumanie, en Bulgarie, les Roms sont persécutés. Au Sahel, les gouvernements veulent sédentariser les Touaregs. En Afrique noire, les conflits entre nomades pasteurs et sédentaires cultivateurs sont souvent à l’origine de guerres et de génocides. En Asie des tribus voyageuses font l’objet d’un constant rejet.

L’itinérant, le voyageur, celui qu’on ne peut pas fixer fait peur aux dirigeants et aux populations.

Luc Balbont
Peinture de Pierre Meneval