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La pandémie des faux prophètes
Julien Lecomte

Ce texte parti-pris constitue une incise particulière dans la série des articles consacrés aux questions d’écologie. L’actuelle pandémie engendre des réactions irrationnelles auxquelles se joignent des personnes se revendiquant écologistes. Il m’est apparu important d’alerter nos lectrices et lecteurs à ce sujet. Les propos n’engagent que leur auteur.

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La critique bascule dans le dogmatisme

Dieu Maintenant a souhaité me confier la responsabilité de la rubrique « écologie » du site. Honoré par cette demande, j’ai relevé le défi en m’efforçant d’être le plus clair possible. Clair dans la rédaction de mes articles, mais clair également sur la conscience des limites de mon savoir, face à un sujet complexe.

J’ai décidé de proposer ce texte parti-pris comme une incise particulière dans la série d’articles que je rédigerai à intervalles réguliers, si possible, pour Dieu Maintenant. En effet, dans la crise sanitaire actuelle, je voudrais vous faire partager mes vives inquiétudes sur la tournure que prennent des débats, documentaires, vidéos, articles etc. à propos de la pandémie et de son traitement. Nous assistons à une perte de rationalité, et pire encore à son refus manifeste. Ce phénomène est répercuté dans toute la société par la diffusion démultipliée de l’information permise par les multiples canaux de la Toile. Dans la situation actuelle, cet abandon de la rationalité atteint un niveau d’hystérie dont les dégâts sont déjà visibles, et qui augurent d’une société post-Covid encore plus fragmentée que l’actuelle.

Quel rapport avec l’écologie ? La pandémie du Sars-Cov-2 pose des interrogations graves liées à la crise écologique : d’où sort ce virus ? Quelles actions humaines sont responsables de son apparition ? Par ailleurs, les questions de santé au sens large font l’objet de positions parfois tranchées dans les milieux écologistes, dans une approche critique de la médecine conventionnelle. En effet, la posture écologiste s’accompagne fréquemment d’une volonté de se soigner différemment, de s’alimenter différemment, de promouvoir une médecine davantage axée sur les bienfaits des produits dits naturels plutôt que sur l’emploi des traitements allopathiques.

L’approche critique formulée par l’écologie sur la santé, et en particulier sur l’industrie pharmaceutique, possède sa légitimité et mérite notre attention. Néanmoins, les pratiques qui en ressortent posent, à mes yeux, souvent plus de problèmes que de solutions. En s’employant à dénoncer les conséquences parfois dramatiques de la financiarisation de la médecine, révélés par d’indéniables scandales, la réflexion écologiste sur la santé tombe dans des excès inverses. La critique bascule alors rapidement dans un dogmatisme, une forme de religiosité rejoignant celle de la vieille quête de la panacée alchimique, ou encore dans la pensée magique. L’aveuglement irrationnel l’emporte progressivement sur le discernement.

La confusion entre un principe médical et son exploitation industrielle peu scrupuleuse entraîne des comportements à risque. Je citerai ici le cas du mouvement anti-vaccination, particulièrement puissant en France, et très inquiétant à terme pour la santé publique. L’industrialisation des vaccins, comme d’autres produits pharmaceutiques, a pu faire courir des risques connus mais dissimulés aux personnes les recevant. Ce qu’il faut dénoncer, c’est la recherche effrénée du profit par ces industries, mais pas le principe vaccinal en soi qui constitue un immense progrès pour la santé humaine. Nos aînés, qui connurent les ravages de la tuberculose, de la poliomyélite ou du tétanos en savent quelque chose. Et aujourd’hui, dans encore trop de pays sous-développés, la défaillance de la couverture vaccinale fait toujours mourir les enfants de la rougeole et d’autres infections virales « banales », dont le vaccin permet pourtant l’éradication sûre.

Le grand méli-mélo de la Toile
vient conforter des croyances

Cette dérive inquiétante de la critique écologiste sur la médecine trouve aujourd’hui un écho marqué dans le flot d’informations semeuses de troubles sur la pandémie. J’ai personnellement reçu des courriels m’incitant à regarder tel ou tel documentaire à tendance conspirationniste, envoyés par des connaissances revendiquées écologistes.

Il s’est de plus développé dans nos sociétés l’illusion que l’accès démultiplié à l’information par la Toile permettrait à tout un chacun l’accès direct au savoir. Nous voyons se développer autour de nous de plus en plus d’experts ignorants ou d’ignares omniscients. Il s’agit ici du résultat d’une grave confusion entre information et savoir. L’information est une donnée brute instantanée : sans posséder un appareil critique élaboré, il est impossible de la qualifier. Le savoir se construit dans le temps. Il nécessite un long processus d’apprentissage. Seul le savoir permet d’analyser une information. Et le savoir ne peut jamais être total, en ne mettant pas non plus à l’abri de l’erreur celui ou celle qui le possède. C’est là où intervient un second effet très fréquemment utilisé de nos jours et dénommé « argument d’autorité ». C’est une manière de censurer tout questionnement critique en rappelant ses propres titres de savoir ou ceux des personnes auxquelles l’on se réfère. Comme, par exemple, s’appuyer sur la déclaration d’un individu disposant d’un diplôme en médecine qui a affirmé péremptoirement, et sans apporter de preuve scientifique, une affirmation pourtant sujette au doute, et même remise en cause par ses propres pairs. Ici se révèle l’absence criante de culture scientifique de nos contemporains. Il suffit d’avoir fait un peu d’histoire des sciences pour comprendre que les « grands savants » se sont aussi trompés, et qu’ils ont fait avancer la connaissance dans un sujet tout autant qu’ils ont pu la faire stagner ou régresser dans un autre. La prudence en la matière est donc cruciale car le virus Sars-Cov-2 est encore loin d’être clairement connu. Il reste probablement beaucoup à découvrir de son fonctionnement comme de son origine. Notons au passage que les origines du virus du SIDA sont toujours discutées.

J’ajouterai enfin qu’une personne disposant d’un savoir, de diplômes médicaux et scientifiques, est aussi un être humain comme les autres. Il peut se dévoyer, perdre l’humilité nécessaire à la recherche scientifique par égarement, croyance, vanité, besoin de gloire ou autre bizarrerie psychologique.

Comme je l’ai écrit dans mon dernier article sur ce site, il me semble impossible d’envisager une vraie transformation écologique de nos sociétés sans s’appuyer sur la rationalité scientifique autant que la volonté politique. C’est le risque que font courir certains écologistes à l’écologie, considérant par principe que cette rationalité scientifique est trompeuse, vendue à « Big Pharma » comme à d’autres, et qu’elle a oublié d’antiques savoirs dont ils resteraient les derniers dépositaires, tels des initiés triés sur le volet. Pour cela, le grand méli-mélo de la Toile vient les conforter dans leurs croyances.

Une cohorte de spécialistes de la manipulation de l’information

Terminons justement par observer ces nombreuses productions tirées du vaste bouillon traitant de la pandémie : articles sur des sites en ligne d’information dits alternatifs, vidéos, documentaires etc. Lorsque l’on cherche à identifier les auteurs de ces productions, on se heurte d’abord à beaucoup d’opacité, entre des auteurs cachés derrière des pseudonymes ou carrément l’anonymat total. On retrouve également des scientifiques controversés depuis de longues années sur bien des sujets, mais aussi des signatures complotistes qui ont émergé à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Bien d’autres réseaux aux intentions déstabilisatrices se dessinent derrière cette nébuleuse, comme les médias d’influence proches du pouvoir russe. Dans toutes ces productions écrites et audiovisuelles, aucune place n’est laissée au débat contradictoire. Le ton est à la fois affirmatif et anxiogène. Le doute-question, base de l’avancée de la connaissance scientifique, est systématiquement évacué au profit du doute-soupçon. Les théories conspirationnistes ne datent pas de l’ère du réseau internet, mais ce dernier leur offre une capacité phénoménale pour se répandre et ainsi semer le trouble. Dans la plupart des théories complotistes, on retrouve au bout du bout un dénominateur commun : l’antisémitisme. Le « complot juif mondial » continue d’être brandi par tous les affabulateurs aux visées bien troubles, servant tous les extrémismes les plus dangereux. Mais ces semeurs de confusion sont loin d’être des hurluberlus isolés. Ils s’appuient sur une cohorte de spécialistes de la manipulation de l’information, et déclarent agir au nom de la vérité, de la démocratie et de la justice, alors que leurs projets politiques y sont radicalement opposées. L’écrivain et journaliste italien Giuliano da Empoli a enquêté en profondeur sur ces ingénieurs du chaos (1), experts en Big Data, qui ont permis l’arrivée aux pouvoirs des populistes italiens, de Donald Trump ou encore la victoire du Brexit.

Que des individus se disant écologistes adhèrent à cette entreprise de confusion et s’en fassent l’écho, en diffusant à leur tour ces manipulations, est préoccupant. L’enjeu de la lutte écologique est si crucial pour l’Humanité que cette perte de rationalité est totalement contre-productive. Ils apportent ainsi des arguments supplémentaires à leurs adversaires. Plus que jamais, nous devons écouter avec la plus grande attention cette mise en garde : « Méfiez-vous des faux prophètes qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans ce sont des loups voraces » (Mat. 7,15).

Julien Lecomte – décembre 2020

1- DA EMPOLI, Giuliano, Les ingénieurs du chaos, Paris, JC Lattès, 2019. / Retour au texte


La Danse Macabre – panneau provenant de l’ancienne abbaye de La Chaise-Dieu (Haute-Loire), milieu XVème siècle.
Cette imagerie s’est répandue dans toute l’Europe après les épidémies de peste du XIVème siècle.