Une Encyclique originale
Du 30 novembre au 11 décembre 2015 se tiendra à Paris une « Conférence mondiale sur le climat ». Dans ce cadre, le monde entier est invité à lire l’Encyclique du Pape François.
Cette lettre a une première particularité : son titre n’est pas en latin mais emprunté à François d’Assise et à ce beau poème qui chante, dans une langue vernaculaire - l’italien - la création de Dieu : « Loué sois-tu Mon Seigneur… Laudato si ! » Ce changement est peut-être symbolique. Naguère Albert Camus, faisant allusion au comportement de Pie XII pendant la barbarie nazie, dénonçait « le langage des Encycliques qui n’est point clair ». Sans doute le Pape François veut-il changer de style. Toujours est-il que son texte n’a rien d’obscur. Il sait trouver les mots pour éclairer, argumenter et mobiliser.
Une deuxième particularité frappe les chrétiens d’un certain âge. Ils se rappellent les discours enthousiastes suscités par les livres de Teilhard de Chardin. Une force interne et christique anime la transformation du cosmos. La communication des esprits s’avère être l’entrée dans une ère nouvelle qui conduit la création jusqu’à son sommet, le Christ, qui est à la fois le moteur de la transformation et son aboutissement. Etait-ce l’illusion des Trente glorieuses ? Aujourd’hui, le regard sur le cosmos entraîne une peur justifiée : « Les prévisions catastrophiques ne peuvent plus êtres considérées avec mépris et ironie. »
D’un siècle à l’autre, l’espérance chrétienne a-t-elle changé ?
Une vision scientifique : l’interdépendance de tous les êtres
Contrairement à Teilhard de Chardin, le Pape François n’est pas un scientifique mais il sait entendre le discours des savants et s’en faire l’écho. « Dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène » : l’usage de ces termes suppose, de sa part, une étude minutieuse. Le fonctionnement de ces gaz dans le dérèglement climatique est compris et expliqué. Ils créent une couche empêchant que les rayons du soleil réfléchis par la terre ne se dispersent dans l’atmosphère. A la source de ce cycle infernal, l’action de l’homme utilisant des énergies fossiles.
Il faut savoir regarder ce travail de destruction non seulement dans les larges espaces du cosmos mais dans le détail de ce qu’on appelle des écosystèmes. « Les champignons, les algues, les vers, les insectes, les reptiles et l’innombrable variété de micro-organismes. » Les océans sont le lieu où se trouvent des espèces dont beaucoup sont inconnues mais dont la disparition, pour invisible qu’elle soit, est profondément dommageable. Certaines formes de plancton, par exemple, sont nécessaires à la survie de ces organismes. Laissons les mourir et nous ôterons un apport alimentaire dont dépendent bien des espèces nécessaires à la subsistance humaine.
Cette observation minutieuse justifie l’intuition qu’expose l’Encyclique : l’interdépendance de tous les êtres. Un million d’espèces habitent les mers tropicales (« des poissons, des crabes, des mollusques, des éponges, des algues et autres. ») Qu’elles s’éteignent est le fruit de la déforestation et des monocultures agricoles ; la température des Océans qui s’élève est aussi facteur de démolition. Ainsi, du soleil dont on risque de ne plus savoir se protéger jusqu’aux fonds des mers eux aussi menacés, tous les êtres sont liés dans une solidarité qui fait de l’univers un ensemble que le pape François n’hésite pas à qualifier de fraternel. « Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et tous en tant qu’êtres ; nous avons besoin les uns des autres. »
« Une fraternité sublime »
Bien sûr, l’homme souffre de cette fraternité trahie. Le manque d’eau le met en évidence. Celle dont nous disposons ne suffit plus à la demande. Certaines villes risquent d’en manquer et l’Afrique en est cruellement dépourvue. Les conséquences sur les cultures et l’alimentation sont lamentables. Les rejets chimiques des usines rendent l’eau dangereuse ; les eaux souterraines s’épuisent elles aussi sous l’effet d’activités humaines : extractions minières ou cultures agricoles. L’homme devrait vivre avec la nature et les progrès techniques dont il est capable pourraient transformer le monde et en accroître la beauté. Plutôt que de vivre fraternellement avec la création comme François d’Assise qui honorait Sœur eau, sœur lune et frère soleil, nous gâchons la vie en brisant ce que Le Pape appelle la « fraternité sublime avec toute la création ». Appelés à faire grandir la vie, nous engendrons la mort : cette eau, chantée par le pauvre d’Assise, entraîne diarrhée, choléra, épidémies de toutes sortes.
Si tout est lié, « il faut donc, dit l’Encyclique, une préoccupation pour l’environnement unie à l’amour sincère envers les êtres humains et à l’engagement constant pour les problèmes de société. » Le Pape dit encore : « Il faut écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. » Son texte nous aide à prêter l’oreille à ces cris. Il montre, par exemple, « le chaos » des villes avec les difficultés de transport, les encombrements, le manque de logements ou le chômage. Il dénonce la façon dont on règle les problèmes d’urbanisation on ménage de larges espaces où résident des populations privilégiées et on relègue, à la périphérie, des ensembles encombrés, mal desservis où les résidants sont, davantage qu’ailleurs, fragilisés et abîmés par la pollution. Ne nous étonnons pas que ce soit dans ces espaces-là qu’éclatent violence et délinquance. Ainsi les problèmes d’écologie ne concernent pas seulement la destruction des liens entre les différents éléments qui composent la terre mais la destruction de la fraternité humaine ; l’histoire en cours engendre une majorité d’exclus. Il faut ajouter que cette déchirure est encore accrue par Internet. On sélectionne ses relations en éliminant ceux qui nous gênent.
Ecologie et économie
En réalité, les problèmes d’écologie sont des problèmes d’économie. A ce sujet, la question des relations entre Nord et le Sud sont révélatrices. Les pays riches, pour assurer leur développement, ont besoin de matières premières qu’ils vont chercher dans les pays africains. Ceci altère les façons de vivre des populations. Appauvries, elles sont acculées à s’endetter et des instances internationales comme le FMI sont autorisées à contrôler leur gestion. Mais ces dettes financières ne sont pas à comparer avec la « dette écologique » qui n’entraîne aucune contrepartie de la part des pays favorisés.
Face à cette situation, il convient de rappeler la doctrine sociale de l’Eglise. Les biens de la terre sont au service de l’humanité tout entière et jamais la propriété privée ne peut porter atteinte à la destination universelle de ce que le chrétien considère comme « dons de Dieu et des ancêtres » faits pour tous les hommes. En réalité François n’hésite pas à dénoncer le néo-libéralisme comme cause des déséquilibres de la planète. Il est faux de croire que le libre fonctionnement des marchés aboutira à des relations nouvelles et justes entre les hommes et fera disparaître la faim et la misère. L’argent ne peut être le moteur de l’histoire humaine. Une autre logique est possible, celle du don et de la gratuité.
La notion de Bien commun est nécessaire aux hommes politiques pour faire face à toutes ces questions. Cette affirmation est à entendre à la veille du Sommet de Paris en octobre 2015. Certes d’autres rencontres internationales ont déjà eu lieu. La Déclaration de Rio en 1992 nous est présentée comme un texte prophétique mais sa mise en application laisse à désirer. Les nations cherchent leur intérêt avant celui de la planète ; peut-on en trouver une seule qui considère comme un impératif moral et politique la soumission au Bien Commun que prône la doctrine de l’Eglise ?
Les responsabilités de chacun
Sommes-nous impuissants devant ces menaces grandissantes ? Il ne le semble pas. Certes, on peut espérer une prise de conscience de plus en plus grande des responsables politiques mais l’Encyclique ne s’adresse pas aux puissants mais, par définition, à l’humanité tout entière. Chaque individu se doit d’inventer un comportement lui rappelant sa responsabilité planétaire. Le texte suggère des comportements concrets sur la manière de se vêtir de façon à baisser un chauffage consommateur d’énergie, sur la façon de choisir ses moyens de transport. Attention à ne pas oublier d’éteindre l’éclairage dans les lieux où l’on n’en a pas besoin.
Derrière ces détails très concrets, un certain comportement est dénoncé qu’on appelle consumérisme. Une sorte d’impulsion conduit à consommer de plus en plus et à faire usage immédiat de produits nouveaux. Ceci permet à la technique de fonctionner. Autrement dit, la technique n’est plus au service de l’homme mais l’homme est au service de la technique et du marché. Résistons !
Une théologie de l’Espérance
Nous nous sommes lancés dans la lecture de l’Encyclique avec une question. N’y a –t-il pas contradiction entre le mouvement de montée de l’univers vers son achèvement spirituel et les prévisions catastrophiques du Pape François ? Il n’en est rien. On s’en aperçoit lorsqu’on prend conscience que l’Encyclique, malgré les développements d’ordre technique parfois arides, est portée par une véritable mystique. Le point christique que Teilhard entrevoyait comme terme est présent tout au long de l’évolution. De même, le Pape ne manque pas de souligner l’insertion du Verbe de Dieu dans l’humanité. (« Une personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos créé en y liant son sort jusqu’à la mort »). De belles allusions au Jésus de l’histoire, dans le texte, illustrent cet amour pour ce qu’il a vu sur la terre où il a vécu : les lys des champs, les nids des oiseaux, le travail de la graine et le temps des moissons. Jésus savait ce que nous ne devrions jamais oublier que « le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu ».
Tout est lié, tout serait lié si l’inconscience humaine n’était pas source de destruction. Cette idée est également très proche du système de pensée de Teilhard de Chardin. Ce qu’il appelle la noosphère est la communion de toutes choses et surtout la communication humaine qu’il considère comme ce que la tradition chrétienne appelle l’amour. L’Encyclique fait écho à cette vision du monde : « Le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. » Cette idée fait que François d’Assise est la figure qui soutient la pensée du texte. François a fait apparaître l’importance, dans les échanges des hommes, de la gratuité et du don. L’argent détruit l’amour. François est aussi et en même temps celui dont l’amour, dans la mesure où il a une dimension universelle, s’étend à tous les êtres. Cet amour est possible et l’Encyclique tente de le faire naître. C’est bien la preuve que les menaces de catastrophes dont notre temps prend conscience ne doivent pas l’emporter. D’où cet acte d’espérance qui termine le livre : « La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés. »
Que Dieu en soit loué ! Laudato si !
Michel Jondot
Peintures de Dominiqque Penloup