Une longue histoire
Une trentaine de Carmélites, en 1971, quittaient le Carmel de Chalon-sur-Saône pour s’installer sur une colline en pleine campagne. Ces femmes sont aujourd’hui au nombre de 28, âgées de 25 à 90 ans. Elles vivent dans le silence et pourtant l’existence de cette communauté est très parlante !
L’ordre du Carmel a été fondé par des ermites sur le mont Carmel en Palestine à la fin du XIIe siècle. Il s’inspire de l’esprit du prophète Elie. Il a été réformé au XVIème siècle par une mystique espagnole, Thérèse d’Avila. Celle-ci a beaucoup écrit non pas tant pour fixer des règles que pour transmettre un esprit. Les circonstances ont amené Thérèse à protéger les religieuses de l’emprise du monde extérieur en suscitant une manière de vivre abritée par ce qu’on appelle une « clôture ». La communauté des moniales se réfugiait entre les quatre murs d’un couvent, ne communiquant qu’à travers des grilles. Enfermement ? Loin de là. Il s’agissait, au contraire, d’ouvrir le chemin qui partant du cœur conduit à Dieu et permet la rencontre des membres de la communauté avec laquelle on a choisi de vivre.
Lorsqu’en 1971 la communauté de Chalon était contrainte de déménager, les carmélites ont eu l’idée géniale d’abandonner la clôture traditionnelle et d’inventer une vie qui respecte à la fois la liberté intérieure et la vie fraternelle.
Une fidélité inventive
Pour prendre leurs distances par rapport à une société de consommation qui crée des besoins, plutôt que de s’enfermer à l’intérieur de bâtiments hermétiquement clos, elles sont allées s’installer à la campagne, loin du monde et du bruit. Soumises à une règle de vie qu’elles ont choisies, elles ont su inventer la manière d’être fidèles à leur fondatrice.
« Dieu Maintenant » est allé les interroger : « On peut tout à fait, disent-elles, recréer cet espace de silence sans mettre des grilles et des voiles qui non seulement n’ont plus de sens aujourd’hui mais peuvent même dire le contraire. » Cela suppose une grande vigilance. Comment garder ses distances sans se mettre à l’écart ? En commun nous prenons des décisions sur les choix à faire. Par exemple, nous avons décidé d’avoir internet mais qu’une seule sœur y aurait accès. Nous n’avons pas de téléphone portable individuel. Pour celles qui entrent et ont passé leur vie connectées par mail ou téléphone, c’est un changement considérable. Nous nous sommes interrogées aussi sur l’opportunité d’avoir un écran pour regarder des DVD. »
Manifestement l’entrée de chacune de ces femmes au Carmel est le prolongement d’une rencontre spirituelle intense. « Il y a eu un jour, avoue l’une d’elle, une rencontre, dans un endroit très profond et léger à l’intérieur de moi-même, que je ne connaissais pas. Cela a été un moment de paix et de joie exceptionnellement intense et l’évidence instantanée que Celui qui m’avait rencontrée-là était Jésus. » Toutes on fait une expérience de ce genre qui se poursuit chaque jour. Deux heures de méditation silencieuse ! Et cinq fois par jour la communauté se retrouve à la chapelle pour prier en chantant avec les psaumes. Le cadre y est dépouillé mais harmonieux et même joyeux, visité par la lumière du soleil. Les chants sont beaux, accompagnés par un orgue en bois et par une flûte traversière. Pendant deux heures, chaque journée, les religieuses méditent en silence. Et le silence se prolonge tout au cours de la semaine : elles ne se parlent que le dimanche, l’après-midi et le soir.
Le reste du temps est occupé à gagner le pain de chaque jour. Quittant la ville, la communauté, en s’installant à la campagne, a ouvert une ferme de 12 hectares. On cultive des légumes. On fait paître un troupeau de vaches et on entretient une bergerie. Les femmes font face aux durs travaux des champs avec autant de force que les paysans du coin. Ce travail est important pour elles. Osons dire qu’à leurs yeux, il s’agit d’un acte politique. Elles vendent leurs animaux et produisent du lait et du beurre. Mais elles limitent leurs productions par peur de concurrencer les paysans des environs. Elles refusent de pactiser avec un système libéral qui crée des écarts injustes. A une époque de sécularisation où l’argent est roi elles s’efforcent d’inventer une façon de vivre dans la gratuité.
Un accueil sans condition
Aux premiers siècles de l’Eglise, lorsque celle-ci s’est institutionnalisée, des hommes sont partis au désert pour se maintenir à l’écart de tout pouvoir et maintenir leur volonté d’être au service exclusif du Dieu de Jésus. Il se trouve que, sans l’avoir voulu, ils se sont retrouvés entourés d’une foule de croyants à la recherche de spiritualité ; un phénomène de ce genre se produit à Mazille. Taizé est à 12 kilomètres du couvent ; parmi la foule des jeunes qui y viennent, nombreux sont ceux qui ont découvert les carmélites et l’esprit dont elles rayonnent. L’habitude s’est prise qu’on vienne planter sa tente dans les prés voisins ou se faire accueillir par la communauté. Les sœurs acceptent de sortir de leur silence pour entendre les questions de ces jeunes en quête du sens à la vie qu’ils peuvent trouver en ce monde.
Les événements retentissent dans cette communauté sans qu’elle le cherche. Beaucoup de croyants ont été blessés par les slogans et les paroles dont les chrétiens ont rempli les rues de Paris à propos du mariage pour tous. Bien des familles avaient dans leur sein des homosexuels. Certains le sont eux-mêmes, d'autres sont transsexuels. Des chrétiens rejetaient ceux que la société s’efforçait de comprendre et de reconnaître. Quel désarroi ! Où parler sinon à Mazille ? Au Carmel de la Paix sont respectés pour ce qu’ils sont bien des hommes et des femmes meurtris par la vie, des couples, des célibataires, des jeunes et des vieux.
La société est traversée par de dangereux courants antisémites ou islamophobes. Les chrétiens en sont parfois complices et l’Eglise se doit de réagir. Les locaux des carmélites s’ouvrent tous les deux ans pour des rencontres interreligieuses.
Qui que vous soyez, n’hésitez pas à assister à un office dans leur chapelle ou à passer quelques jours avec ces religieuses. Vous serez accueillis fraternellement ! Et si vous le voulez bien, vous pourrez participer à leurs travaux des champs.
« L’accueil a été un chemin, dit la Prieure. Ce n’était pas prévu au départ, mais les gens ont commencé à frapper à la porte alors il fallait bien répondre !… »