L’Eglise, peuple de Dieu
L’affirmation de l’Eglise comme peuple de Dieu avait fondu comme neige au soleil lors des précédents pontificats. Elle reprend forme sur les lèvres du
Pape François. Le Dieu de Jésus se manifeste dans les liens qui nous unissent et non dans la soumission à une autorité venue d’en-haut. On trouve
le Dieu de Jésus-Christ dans « la trame complexe des relations interpersonnelles qui se réalisent dans la communauté humaine » plutôt que dans le repli
de l’Eglise sur elle-même (« un nid protecteur de notre médiocrité », pour reprendre l’expression de celui qu’on a du mal à considérer comme le Souverain
Pontife). Le peuple n’est pas une réalité abstraite. François le voit vivre dans « la femme qui fait grandir ses enfants, un homme qui travaille pour
apporter le pain à la maison, les malades, les vieux prêtres qui ont tant de blessures mais qui ont le sourire parce qu’ils ont servi le Seigneur, les Sœurs
qui travaillent. ». Le peuple de Dieu « chemine dans l’histoire, avec joies et douleurs » : Où trouver Dieu ? En se tournant les uns vers les autres.
Si l’Eglise est avant tout « un peuple », ne perd-elle pas l’infaillibilité reconnue au successeur de Pierre ? Loin de là ! Cette infaillibilité n’est pas
le privilège d’un seul ; elle appartient à l’ensemble des fidèles. Si nous voulons savoir ce que l’Eglise croit, c’est le peuple de Dieu tout entier qu’il
convient d’écouter : « L’Eglise est le peuple de Dieu cheminant dans l’histoire, avec joies et douleurs. Sentire cum Ecclesia (sentir avec l’Eglise), c’est
pour moi, être au milieu de ce peuple. L’ensemble de ce peuple est infaillible dans le croire ».
L’Eglise, un hôpital de campagne
De décennies en décennies, les chrétiens d’Occident souffrent d’une Eglise qui condamne ; elle écarte des sacrements les époux qui se séparent parce que
la mort d’un amour les accable ; elle appelle « fornication » l’union des jeunes qui ne peuvent se marier faute de logement. Les couples homosexuels, les
femmes acculées, souvent dans la souffrance, à recourir à l’IVG sont excommuniées. Beaucoup, sans doute, se souviennent de la messe d’adieux que Jacques
Gaillot célébrait en janvier 1995 après sa révocation par Jean-Paul II. La cathédrale était trop petite pour contenir la foule. Le peuple de Dieu - c’est
le cas de le dire – était dehors sous la pluie mais ferme dans la foi. L’Evêque d’Evreux déclencha un tonnerre d’applaudissements lorsqu’il affirma
son attachement « à l’Eglise des exclus plutôt qu’à l’Eglise qui exclut ».
Sans aucun doute, le Pape François entend ce peuple qui souffre et implore pitié. L’expression « Peuple de Dieu » lui vient du Concile Vatican II. Il invente,
pour sa part, une formule nouvelle, plus parlante. L’Eglise est pour lui un « hôpital de campagne » qu’on dresse à la hâte sur un champ de bataille afin
de soigner les blessés. On soigne sans faire appel à des théories médicales, on pare à l’immédiat. Plutôt que d’exclure et condamner, on se doit, au milieu
d’une histoire où les repères moraux se déplacent, de faire preuve de tendresse à l’égard de ceux qui sont contraints à vivre des situations difficiles et
panser les blessures. « Un jour quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai répondu avec une autre question :
‘Dis-moi : Dieu quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant ? » Plutôt que
de brandir des préceptes valables pour tous les temps à partir desquels on juge les personnes, il convient de « juger au cas par cas et de pouvoir discerner
ce qu’il y a de mieux à faire pour une personne qui cherche Dieu et sa grâce ».
L’Eglise des frontières
Le Pape François dit son admiration pour deux théologiens français : le Père de Lubac et le Père de Certeau. Il se trouve que ces deux hommes ont eu quelques
démêlés avec l’institution. En se référant à eux, l’Evêque de Rome approuve une manière de penser qui consiste à prendre, s’il le faut, ses distances avec
une pensée toute faite, purement répétitive. Il n’hésite pas à dénoncer la théologie scolastique vieillotte dans laquelle il a lui-même été formé. En se
référant à Michel de Certeau, François approuve la démarche d’un homme qui a pénétré tous les domaines ouverts par les sciences humaines au siècle dernier :
psychanalyse, histoire, sociologie, linguistique, anthropologie. La pensée chrétienne ne peut demeurer repliée sur elle-même. C’est vrai pour les jésuites :
la Compagnie religieuse à laquelle il appartient (« Le Jésuite est un homme décentré »). C’est vrai pour l’Eglise tout entière qui doit s’insérer dans la culture
de son temps. Le message de l’Evangile l’ouvre à ce qui l’entoure : « Efforçons-nous...d’être une Eglise qui est capable de sortir d’elle-même. »
Attention ! Il s’agit de vivre sur les frontières d’une manière qui respecte la pensée d’autrui sans tenter de la domestiquer. Récemment Danièle Hervieu-Léger a
dénoncé le comportement des moralistes chrétiens qui se servaient de la psychanalyse pour mieux défendre les positions conservatrices de l’Eglise en matière de
sexualité. François dénonce pareil comportement. Il demande de ne pas tomber dans la tentation de « domestiquer les frontières : on doit aller vers les frontières
et non les transporter chez soi pour les vernir et les domestiquer ». Les autres sciences, fussent-elles athées, aident l’Eglise à être fidèle à sa mission. Sans
l’écoute d’autrui elle continuerait à approuver l’esclavage et la peine de mort.
Il est une frontière particulière sur laquelle insiste le Pape et qui permet de donner à notre manière de nous présenter (« Dieu maintenant ») toute sa saveur ;
il s’agit de la frontière entre hier et demain. « Chercher Dieu dans le passé ou dans le futur est une tentation. Dieu est certainement dans le passé, parce qu’il
est dans les traces qu’il a laissées. Et il est aussi dans le futur comme promesse. Mais le Dieu ‘concret’, pour ainsi dire, est aujourd’hui ».
Nicodème
Pastel de Pierre Meneval