Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à "Avec des amis" Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

L’Église n’est plus notre affaire
Agnès et François Matthey

Agnès, 67 ans, a été professeur des écoles. François, 69 ans, est journaliste retraité. Ils habitent au nord de Montpellier. Mariés depuis 43 ans, ils ont quatre enfants de 39 à 25 ans et un petit-fils. François a connu Michel Jondot quand celui-ci était professeur au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Depuis plus de quarante ans, ils ne se sont jamais perdus de vue. À la demande de « Dieu maintenant », ils retracent l’itinéraire de leur parcours religieux : « La Foi est toujours là mais la religion n’est plus notre affaire », écrivent-ils. Beaucoup ne reconnaîtront-ils pas leur propre parcours ou celui d’amis proches ?

(1) Commentaires et débats

Nous sommes tous deux issus de familles catholiques classiques. Agnès est née en Alsace dans une famille de 5 enfants. François à Paris dans une famille de 9 enfants. Tous deux et toute notre fratrie avons été élevés dans la foi catholique : baptême, catéchisme, messes dominicales, confessions, confirmation, profession de foi et mariage (exceptés deux sœurs et un frère de François).

Agnès
J’ai fréquenté l’école publique jusqu’en CM1, la catéchèse était alors assurée par le curé de mon village. Puis, du CM2 au baccalauréat, j’étais dans l’enseignement privé où j’ai effectué ensuite toute ma carrière de professeur des écoles en Alsace, à Paris et dans l’Hérault.

François
J’ai fait toute ma scolarité dans une institution privée sous contrat avec L’Etat, tenue par des Marianistes. Deux cousins de ma mère étaient prêtres, un oncle de mon père aussi. J’ai souvent servi la messe et j’ai fait partie, pendant ma vie estudiantine, d’un groupe de jeunes paroissial (messes, chantiers d’été et camps de neige, diners-débat…) Après trois ans de fac de droit, j’ai décidé d’entrer au séminaire pour devenir prêtre. Mais au bout de quinze mois, j’en suis sorti, ayant réalisé que mon tempérament ne cadrait pas du tout avec une institution ecclésiale à mes yeux trop dogmatique, ni avec un célibat imposé qu’il me serait impossible de vivre sereinement. Je suis alors parti dix-huit mois en coopération comme directeur d’école au Nord-Cameroun avec un double statut public (service national) et privé (mission catholique). Après quoi, de retour à Paris, j’ai exercé la profession de journaliste dans deux revues chrétiennes sur le Tiers Monde et l’Eglise. J’ai ensuite travaillé dans un hebdomadaire agricole à Nevers puis dans un quotidien régional jusqu’à ma retraite.

Agnès et François
Tout au long de ce chemin vital, le parcours religieux de notre couple a énormément évolué pour aboutir désormais à un largage quasi total de nos amarres avec l’Eglise catholique. Il serait malhonnête de prétendre qu’on se serait senti exclus de l'Eglise à cause d'une religion surannée, trop traditionnelle et conservatrice ou trop moraliste. Même si tous ces aspects-là ont pu peser sur nous à certains moments de notre adolescence et de notre jeunesse. En fait, la fracture s'est faite petit à petit et s’est agrandie toute seule, sans rejet et sans violence. Un simple constat de notre côté qui est devenu une évidence : on n'avait plus rien à vivre ensemble, on n’était plus sur la même planète.

Nous allons le dire de façon sûrement exagérée et trop brutale : l'Eglise ce n'est plus vraiment notre affaire... Ce qui ne nous empêche pas d'avoir eu ou d'avoir (Christine Fontaine et Michel Jondot en sont la preuve éclatante) des liens formidables avec des prêtres, des religieux (ses) ou des laïc(que)s engagés. Mais ce ne sont pas leur foi, leurs croyances religieuses qui nous importent. Ce sont tout simplement des femmes et des hommes, des amis avec lesquels on se sent en communion et le fait qu'ils représentent d’une façon ou d’une autre l'institution catholique nous importe peu…

La Foi est toujours là mais la religion n’est donc plus notre affaire. A tel point que si nos quatre enfants ont tous été baptisés, seules les deux aînées ont effectué le parcours religieux classique (catéchisme, première communion, confirmation et profession de foi). Le troisième, aujourd’hui âgé de 33 ans, a seulement fait sa première communion. Cela ne nous a pas empêchés de nous interroger sur les moyens de transmettre nos valeurs – dont la Foi -, à nos enfants. Désormais, nous gardons une confiance totale dans la voie que chacun d’entre eux a choisie. Tous les quatre nous conduisent à respecter leur liberté responsable, leur propre élan vers les Autres. Nous laissons à nos jeunes et à Dieu la chance de nous surprendre…

Encore une fois, cette évolution s’est produite pas à pas, année après année, tout naturellement, on oserait dire involontairement, sans même parfois qu’on s’en aperçoive. Pour autant, et nous insistons sur ce point, on ne renie rien de nos racines catholiques – on préfère dire chrétiennes, c’est moins sectaire. D’ailleurs, à quoi riment encore ces distinctions entre catholiques, protestants et orthodoxes ? Tout ceci ne nous empêche pas de participer à une fête religieuse à l’église, en famille ou chez des amis (baptêmes, mariages, funérailles) ni d'entrer dans une église ou une chapelle - de préférence romane et dépouillée, sans superflu rococo -, afin de juste pouvoir se poser et méditer.

Au final, notre état d’esprit actuel vis-à-vis de la religion n’est pas identique. Ainsi, lorsqu’Agnès participe à certaines célébrations, elle vit les rites proposés parce que, pour elle, ils font partie intégrante du lien avec la communauté. Cela ne l’empêche pas de garder son esprit critique. En revanche, depuis au moins vingt ans, François est dans l’incapacité – lors d’une cérémonie religieus  -, de rentrer dans le « jeu » du « debout-assis-à genoux » qui fait pourtant partie inhérente de la célébration de la Foi en commun et en Eglise. Il reste assis, à méditer et à prier, même lors de la consécration. Certainement un sacrilège, pour d’aucuns… Il ne se lève que pour bénir le corps d’un défunt et se signer au passage de son cercueil dans la nef, lors d’une messe de funérailles. Juste pour rendre hommage à la Vie de la personne disparue. Mais, évidemment, pas question de provoquer : François reste délibérément au dernier rang afin de ne heurter personne, dans l’assemblée…

On ne renie donc absolument rien de nos racines chrétiennes. On n’en éprouve aucune honte et nous ne les cachons pas, chaque fois que la question peut venir sur le tapis d’une discussion avec quiconque… On reste très heureux d'avoir "infusé" dans ce « bain » chrétien pendant toute notre enfance et notre jeunesse. On sait à quel point cela nous a structuré l'âme, le cœur, le quotidien. On croit en une Vie après la vie, on reste habité par le divin - enfin on l'espère et certains jours, bien entendu, on n'en est plus très sûrs ! -, mais on a de plus en plus de mal à en parler et à le dire. En tout cas, on n'a plus du tout besoin, et depuis longtemps, de tout « l’attirail religieux » pour le vivre. Pas plus qu’on aurait l’idée d’évoquer ou d’utiliser Dieu comme une béquille ou une bouée de sauvetage pour nous venir en aide dans les passes difficiles.

Du même coup, cela va sans dire, l’idée de nous livrer à un quelconque prosélytisme ne nous effleure même pas... Nous essayons tout simplement d’aimer, au jour le jour. Et d’aider et tendre la main quand l’occasion se présente... Des valeurs issues directement de notre foi et de notre éducation chrétienne. Mais à nos yeux, inutile de s’en recommander pour les vivre ; n’importe quel humaniste athée agirait de même. L’Evangile ne nous incite-t-il pas, avant tout, à essayer d’aimer et comprendre l’Autre, quel qu’il soit, et surtout sans le juger ?

Agnès et François Matthey
Novembre 2019
Peinture de James Somerville