Qui sont les chrétiens d’Orient ?
On peut entendre par « Chrétiens d’Orient » :
- Les chrétiens issus des Patriarcats apostoliques des premiers conciles, toujours en terre d'Orient: ceux issus du Patriarcat d’Antioche ; il s’agit de
la première Eglise fondée par les apôtres (Ils ne sont plus à Antioche mais à Damas ou Beyrouth) ; ceux d’Alexandrie : les coptes d’Egypte (ils ne sont plus à Alexandrie
mais au Caire) ; l’Eglise de Constantinople, siège du patriarche œcuménique orthodoxe ; le Patriarcat latin de Jérusalem ; les Eglises issue des Nestoriens (chaldéens
catholiques et assyirens), celles des Eglises d'Arménie.
- Ces mêmes chrétiens, en y ajoutant les orthodoxes, les russes notamment (c'est la définition retenue par l'Oeuvre d'Orient).
- Tous les chrétiens qui vivent en Orient. Parmi eux ceux qui ont été christianisés par la colonisation, les missionnaires (ceux du Pakistan, et la plupart
de ceux d'Inde, par exemple). Cette présentation est plus en phase avec la réalité géopolitique, car les querelles théologiques des premiers conciles qui ont provoqué
les ruptures n'ont certes pas de pertinence dans les difficultés actuelles !
La référence aux apôtres, dans les églises d'Orient, est importante. La langue de départ est l’araméen. Après avoir fondé Antioche, Paul et Pierre sont allés à
Rome. D’après la tradition Marc serait allé à Alexandrie et André à ce qui est devenu Constantinople. Avec l’arrivée de Constantin (au 4ème siècle), on s’est trouvé
devant 5 patriarcats : Antioche, Rome, Alexandrie, Byzance (Constantinople), Jérusalem.
Leur unité s’est fondée sur la base du Concile de Nicée (325) et Constantinople ; ils ont formulé leur credo qu’on récite encore aujourd’hui à la messe le dimanche.
Cette unité fut battue en brèche :
- Au concile d’Ephèse (431) : en disant de Marie qu’elle est « mère de Dieu », on se sépare des chrétiens de Mésopotamie (Eglise de l'Orient, ou assyrienne,
dont viennent les chaldéens, autour de Bagdad).
- Au concile de Chalcédoine (451) : en disant de Jésus qu’il est Dieu et homme, on opère la rupture avec les monophysites qui ne reconnaissent qu’une seule
nature en Jésus. Les Coptes, les syriens, ou "syriaques", se séparent de Rome et de Constantinople à leur tour.
- Le grand schisme de 1O54 : rupture entre Rome et Constantinople. (Aujourd’hui le dialogue se renoue et ira sans doute en s’accélérant avec le Pape François.)
Le parcours historique de ces chrétiens
- Persécutés sous l’empire romain, ils ont été soumis à l’empire arabo-musulman avant de subir le joug des Ottomans. Ce fut parfois un soulagement pour les chrétiens
subissant la tutelle de Byzance. Certes, ils avaient beaucoup moins de droits que les musulmans mais ils ont contribué au travail scientifique, médical et culturel.
- Les croisades furent un moment important. Jusqu’aux croisades l’Orient était chrétien à 60%. A la fin des Croisades, avec l’arrivée des Mameluks, leur nombre
était divisé par deux. Les croisés ne faisaient pas de différence : chrétiens arabes et musulmans étaient massacrés à Constantinople et Jérusalem. Par dépit, beaucoup
se convertirent à l’islam !
- Ils n’étaient plus que 20% à la fin de la première guerre mondiale.
Les grands drames sont ceux du 20ème siècle
- Le génocide des Arméniens et des Chaldéens a éliminé presque tous les chrétiens de Turquie, y compris les grecs orthodoxes.
- La création d’Israël : beaucoup de chrétiens ont quitté la Palestine pour l’Europe et les Etats-Unis (on compte 1 million de chrétiens melkites en Amérique et
75 000 en Palestine-Israël).
- En 2003, l’invasion de l’Irak par les Américains entraîne un exode impressionnant : de 1,2 million on passe à 400 000 chrétiens, chaldéens pour la plupart.
- Depuis la guerre d’Irak et les événements d’Afghanistan, les chrétiens d’Orient sont considérés à tort comme auxiliaires de l’Occident et persécutés
comme le sont toutes les minorités.
- Au nord du Nigeria, les chrétiens sont persécutés par un groupe extrémiste musulman (Boko Haram) pour la seule raison qu’ils sont minoritaires.
- Al Qaïda, AQMI en Afrique, talibans en Afghanistan sont à l’œuvre. Ils veulent effacer toute trace chrétienne.
Le cas de l’Irak et de l’Iran
En Irak, les chrétiens chaldéens ou syriens-catholiques ou arméniens sont bien moins nombreux. Les autorités kurdes, qui ont créé un Etat quasiment
indépendant au nord, cherchent à leur faire quitter Bagdad ou d'autres villes arabes pour le nord. Mais jusqu'ici, les Eglises tiennent bond. Forte implantation
d'églises évangéliques.
En Iran : au moment de la révolution islamique les chrétiens étaient 500 000 ; aujourd’hui on n’en compte plus que 150 000. Ce n’est pas tant la conséquence
d’une persécution, même si elle est réelle, notamment pour les conversions, que l’exode de gens aisés en quête d’une vie plus confortable. Dans un village
de Californie (Talok), on compte plus de Chaldéens que dans l’Iran tout entier.
Le régime iranien impose à chaque communauté religieuse l’usage de sa langue particulière. Les Arméniens doivent parler l'arménien ; les Chaldéens doivent
parler chaldéen. Ce qui empêche tout mariage mixte. L’évêque de Téhéran, bien sûr, parle persan mais l’homélie doit être prononcée en chaldéen (araméen).
Contribution des chrétiens d’Orient
Les Chrétiens d’Orient ont eu un rôle important à Vatican II. Ils ont permis que l’islam soit reconnu. Ils ont été les témoins d’une liturgie en langue vernaculaire
et de la communion sous les deux espèces.
Dans l’urgence, il s’agit de calmer le feu entre extrémistes. Musulmans et chrétiens ont tendance à s’extrémiser ; les chrétiens de France soutenant les chrétiens
d’Orient sont souvent des clients du Front National : « Puisque nous sommes chrétiens, défendons nos racines chrétiennes ». C'est là un contre-sens total et un grave
danger pour nous et pour eux.
Le devenir des « chrétiens d’Orient »
Citoyen ou chrétien ?
Depuis la fin du XVIIIème siècle s’amorçait dans le monde arabe un mouvement de modernisation auquel contribuaient musulmans et chrétiens
sans se soucier de leurs divergences religieuses. Malheureusement l’Occident a toujours considéré les chrétiens comme un groupe à part qu’on a utilisé les uns
contre les autres, contre les musulmans et parfois au profit d’Israël.
Le terme de « Chrétien d’Orient » est devenu ambigu. Le titre gomme la situation de citoyen : on est considéré comme chrétien plutôt que comme Syrien,
Palestinien ou Egyptien.
Par un certain côté, que disparaisse la notion de « Chrétien d’Orient » est une bonne chose. Cela permettrait que chacun rejoigne l’histoire de son pays.
Le chrétien y a contribué en jouant un rôle important dans la Renaissance arabe amorcée avec la campagne d’Egypte.
Mais désormais ce temps est révolu. Les chrétiens sont devenus trop peu nombreux pour peser sur l’évolution culturelle de leur pays. L’islam n’est pas le
persécuteur : ils sont pris dans une lutte sauvage contre un Occident politique fantasmé.
Le cas des « Frères musulmans » en Egypte illustre la situation
L’Egypte était un des pays où le mouvement de modernisation était le plus avancé. Cela a culminé avec Nasser : sous son régime les chrétiens contribuaient à la prospérité
du pays. Mais l’Occident a soutenu Israël et diabolisé Nasser. En revanche, on a donné le prix Nobel à Sadate qui, après l’accord de paix avec Israël, dénonçait dans un célèbre
discours, la gauche égyptienne et l’Eglise copte comme traîtres au pays ; ce fut la première fois qu’un dirigeant égyptien distinguait
musulmans et chrétiens, rejetant la faute sur ces derniers.
En même temps qu’il rejetait Nasser, le grand modernisateur, l’Occident se tournait du côté de l’Arabie Saoudite et des pays pétroliers : pays les plus
antimodernistes qui soient. La dynamique de progrès s’est inversée et le nationalisme s’est effacé pour faire face à l’islamisme et au communautarisme. Au premier
tour des présidentielles, Morsi, le candidat des Frères musulmans, faisait face à trois autres adversaires politiques, dont un dissident des Frères musulmans. Que les partisans de Morsi, aujourd’hui,
s’en prennent aux chrétiens plutôt qu’aux adversaires politiques, qu’ils brûlent les églises, tout cela manifeste bien que la dynamique s’est inversée.
Questions diverses
Les diasporas
Les diasporas peuvent-elles maintenir la sensibilité du christianisme oriental ? Si elles n’ont plus de points d’ancrage dans les pays d’origine,
elles finiront par s’assimiler, tout en maintenant quelques traditions folkloriques.
On évoque le cas de la Lituanie qui connut la persécution des juifs par les catholiques et des Lituaniens par les Soviétiques ; on comptait 1 millions
d’émigrés aux USA en l’an 2000. Un sénateur américain, d’origine lituanienne, est venu présider le pays pour l’initier au fonctionnement de la démocratie.
Cependant, même reconstituées en diasporas, les minorités ne disparaîtront-elles pas lorsqu’elles n’auront plus de bases dans les pays d’origine ?
Dans la situation mondialisée que l’on connaît, le maintien des particularités culturelles et religieuses devient problématique.
L’islam en Europe
L’opposition « chrétiens/musulmans » qui déchire le Proche-Orient a-t-il son correspondant en Europe ? Même si les situations ne sont pas comparables,
on peut craindre que certains courants islamophobes en France puisent leurs arguments dans les conflits du Proche-Orient.
L’exemple de Hambourg est évoqué à propos de ce qui est possible en Europe. Le Conseil des communautés musulmanes demandait qu’on reconnaisse les fêtes
musulmanes. La demande fut honorée en échange d’un engagement écrit de la part des musulmans : ils acceptaient de respecter totalement les lois du pays,
ils reconnaissaient l’égalité « hommes-femmes » et s’engageaient à prononcer leurs sermons en allemand. Cette reconnaissance mutuelle est considérée comme bénéfique.
Il conviendrait aussi de pallier le manque de culture chrétienne des jeunes. Ils ne savent pas reconnaître une statue de Marie. Comment pourront-ils se situer
par rapport à leurs congénères musulmans ?
Que pouvons-nous faire ?
Le problème des Chrétiens d’Orient n’est pas seulement arabe : il est posé également en Asie et en Afrique. En Ethiopie, 40 millions d’habitants dont la moitié sont
chrétiens. Les difficultés économiques entraînent des affrontements. J.M. Cadiot évoque son « Association d’entraide aux minorités d’Orient » qui a réussi à faire
venir 1.000 Irakiens notamment à la suite des attentats de la cathédrale de Bagdad d'octobre 2010.
En France, nous pouvons agir au niveau de la société civile (problèmes d’intégration, problèmes économiques, comment connaître son héritage pour pouvoir
se situer avec d’autres etc.). Mais il y a un autre niveau qui brouille tout. Un lien se noue entre un Occident soi-disant chrétien et un Orient-Moyen Orient
soi-disant musulman. En même temps se noue une alliance avec les puissances pétrolières dictatoriales les plus extrémistes du point-de-vue religieux. Par exemple
avec l’Arabie Saoudite qui est bien plus extrémiste que l’Iran. Ce jeu fausse complètement la vision qu’on peut avoir des situations. La vraie force en Syrie,
aujourd’hui, ce n’est pas ce qu’on appelle « l’Armée libre » (des militaires et des patriotes). Ce sont les gens de la mouvance Al Qaïda. L’Arabie Saoudite et
le Qatar sont les parrains de la coalition en principe censés aider l’Armée Syrienne Libre. En réalité l’Arabie Saoudite donne argent et munitions aux autres tout
en étant l’ami fidèle et le représentant de l’islam modéré. Ce fonctionnement se retrouve à tous les niveaux. Ceci empêche de voir de façon claire le travail que
les associations s’efforcent de faire.
Nicodème
Photos d'Anne-Lise
1-
Jean-Michel Cadiot est l'auteur du livre " Les Chrétiens d'Orient. Vitalité, souffrances, avenir " Editions Salvator, 2010.
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