Présentation des " Curés rouges "
C'était hier ou avant-hier...
« Les saints vont en enfer », tes grands-parents ou tes parents ont peut-être lu ce roman de Gilbert Cesbron dont la première édition date de 1955.
C'est un beau témoignage sur les soucis de l'Eglise de France au milieu du siècle dernier. Pour
présenter son ouvrage, il écrivait à l’époque : « Voici un livre qui risque de déplaire un peu partout. Mais la prudence est-elle encore une vertu ? Dans
un monde où des hommes de même langage ne peuvent plus se comprendre sans interprète ; dans un temps où l’on assassine les médiateurs, et où l’honneur
commande d’être écartelé : dans ce siècle où règne la croix sans le Christ, je veux n’être d’aucun parti. J’ai trop vu de partisans pour rester capable d’un
autre choix. Ainsi je ne quitterai pas la main des hommes au milieu desquels j’ai grandi, parce que je tends la main à mes amis de Sagny.(…) On chercherait en
vain Sagny sur une carte ; mais, ce que j’en raconte, on le trouvera dans presque toute la banlieue de Paris à la condition d’y porter un œil pur et un cœur
exempt de parti pris. »
Dans ce roman, Gilbert Cesbron décrit la vie d’un coin de banlieue industrielle, autour des années 1950 avec ses drames et ses révoltes, ses souffrances et ses lassitudes.
A cette époque, le Parti Communiste était très présent dans le monde ouvrier des banlieues. On appelait ses adhérents "les rouges", à cause de la couleur de leur drapeau. Deux prêtres
ont décidé d’habiter à Sagny. Ils sont les amis d’Ahmed un nord africain, de Marcel l’ivrogne qui bat son garçon ou de Suzanne la prostituée. C’est dans le même
sillage que s’inscrivent « les curés rouges » qu’évoque la chanson de Jacques Bertin. Ces prêtres ont travaillé en usine ou dans le bâtiment ; ils ont partagé jour
après jour la vie et les luttes des ouvriers. Beaucoup se sont syndiqué à la CGT, certains sont devenus membres du Parti Communiste. Tous avaient donné leur vie
entière en réponse à la question qui taraudait, dès la fin des années 30, le cardinal Suhard, archevêque de Paris : " Je n'ai pas à chercher bien loin le sujet
de mes méditations, écrit-il. C'est toujours le même : il y a un mur qui sépare l'Eglise de la masse. Ce mur, il faut l'abattre à tout prix pour rendre au Christ
les foules qui l'ont perdu... Mais comment faire ? "
Quand Gilbert Cesbron écrivait que son roman « risquait de déplaire à beaucoup », il parlait en connaissance de cause. Bien qu’il prît soin de ne mettre
en scène aucun prêtre syndiqué, il savait que la très grande majorité des catholiques de France s’indignaient de ces « curés rouges » qui choisissaient de vivre
parmi les plus démunis plutôt que de s’occuper du salut des bons pratiquants. Quant à l’institution ecclésiale à son plus haut niveau, après avoir
considéré cette « expérience » d’un œil souvent interrogatif voire soupçonneux, elle l’interdit totalement en 1954 par crainte de la contamination du PCF sur
ses prêtres. La plupart des prêtres-ouvriers s'inclinèrent, quelques uns refusèrent et gardèrent leur style de vie. Pour tous ce fut une terrible épreuve :
ceux qui avaient donné leur vie pour l’Evangile se voyaient crucifiés par l’Eglise. Ce n’est qu’à l’issue du concile Vatican II, en 1965, et à la demande d’évêques
français, que le pape Paul VI autorisa la reprise du mode de vie des prêtres ouvriers. En 1976, ils étaient plus de 800 en France.
Aujourd'hui et demain...
Aujourd’hui, plutôt que de « prêtres ouvriers », on parle de « prêtres au travail ». On en comptait environ 500 dans les années 2000.
On les trouve souvent partenaires de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) et de l’Action Catholique Ouvrière (ACO) ; ils appartiennent à la Mission Ouvrière
ou à la Mission de France. Ils engagent leurs vies dans des relations avec des hommes et des femmes qui ne partagent pas leur foi. Ils les rencontrent dans le travail
salarié, le monde associatif, dans des engagements politiques et souvent aussi comme simples voisins de palier. Les prêtres du Prado, les Fils de la Charité et des religieux
et religieuses de différentes provenances partagent leurs engagements.
Dans la banlieue Nord de Paris, à Gennevilliers, commune communiste sans interruption depuis 1934, le Maire nous
disait : « La ville de Gennevilliers a été marquée depuis toujours par la présence fraternelle des Prêtres Ouvriers et de la Mission de France. La municipalité
se réjouit vraiment de leur collaboration. Des religieuses et des prêtres vivent dans les barres d’HLM, entretiennent des relations amicales avec leurs voisins
musulmans, s’engagent dans des associations avec eux. La relation de nombreux chrétiens avec la mosquée est excellente. La présence de l’Eglise est désirée
à Gennevilliers : elle contribue à humaniser la ville. » Que ceux qu’on appelait « les curés rouges » en soient profondément remerciés ! Ils ont ouvert et ouvrent
encore des passages entre les individus, les peuples, les cultures et les religions.
Dans une société marquée trop souvent par la peur de l’étranger,
« les curés rouges » demeurent un signe de l’hospitalité de Dieu à l’égard de tous, en particulier des plus marginaux. Que la chanson de Jacques Bertin,
composée en 2011, rende hommage non seulement à tous ceux qui nous ont précédés, mais à ceux qui vivent aujourd’hui et tous ceux qui suivront ! Que leur vie
rappelle à tous les chrétiens que, comme le disait Gilbert Cesbron, la prudence n’est pas une vertu… dans un monde où des hommes de même langage ne peuvent
plus se comprendre sans interprète ; dans un temps où l’on assassine les médiateurs, et où l’honneur commande d’être écartelé…
Christine Fontaine