Des membres de l'équipe " Dieu maintenant " m’ont demandé de livrer mon expérience dans le domaine des soins palliatifs. Je ne la crois pas originale, mais m’étant beaucoup
investie dans ce champ, j’ai accepté.
Mon intérêt pour les soins palliatifs est ancien et s’est concrétisé en 1984, date à laquelle j’ai lu par hasard, un article de Patrick Verspieren,
jésuite, dans le Figaro. Il dénonçait les pratiques de certaines cliniques parisiennes qui consistaient à administrer le vendredi un « cocktail lytique »
aux patients en fin de vie, afin de libérer des lits pour le lundi. Scandale ! Plusieurs années après, il m’a raconté les réactions violentes des médecins
face aux infirmières qui approuvaient la teneur de l’article.
Par la suite, au début de ma carrière de pharmacien hospitalier, j’ai rencontré ces pratiques du cocktail lytique, appelé pudiquement DLP, initiales des 3 médicaments
qui le composaient. J’ai entendu les souffrances des infirmières qui exécutaient les prescriptions des médecins contre leur propre volonté. C’était il y a 30 ans….
Un peu d’histoire
De Jeanne Garnier (1842) aux engagements du Docteur Abiven
Le mouvement des soins palliatifs était initialement le mouvement des hospices avec notamment Jeanne Garnier en France en 1842 et Cicely Saunders en Angleterre en 1967.
Au Canada, c’est Balfour Mount qui, en 1975, a créé le vocable « palliative care » dont la transposition française « soins palliatifs » ne traduit pas la dimension
du « care » anglo-saxon. L’intérêt pour ces soins spécifiques s’est développé en France avec quelques pionniers et la création d’associations
de bénévoles-accompagnants.
En février 1985, un groupe de travail « Aide aux mourants » a été chargé par le ministère des affaires sociales et de l’emploi de réfléchir sur les conditions
de fin de vie et de proposer des mesures concrètes pour améliorer l’accompagnement des mourants. Il a abouti à la circulaire « Laroque », du 22 août 1986, relative à
l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase terminale.
Cette circulaire, arrivée au mois d’août, a trouvé peu d’écho auprès des professionnels ; mais, dans son prolongement, la première unité de soins palliatifs s’est
ouverte, avec le Dr Abiven, à l’Hôpital de la Cité universitaire à Paris.
Une succession de textes
L’impulsion était donnée, les textes se sont succédé : la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, suivie en février 2002
par une circulaire en application de cette loi. En mars 2002, la loi dite Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité des soins, introduit la notion
de personne de confiance (cf annexes).
Un programme national 2002-2005 de développement des soins palliatifs à domicile et en établissement de santé est élaboré ; puis en 2004, un guide de bonnes
pratiques d’une démarche palliative en établissement. Le 22 avril 2005, la loi - dite Leonetti - relative aux droits des malades et à la fin de vie est promulguée.
Le 25 mars 2008, une circulaire relative à l’organisation des soins palliatifs en précise les orientations ; elle est fondée sur le
développement de la démarche palliative.
Mon engagement personnel
Cette longue liste de textes (cf annexes), non exhaustive, montre l’évolution de notre politique de santé en matière de soins palliatifs. Depuis 1984, j’ai suivi
cette évolution en m’impliquant dans différentes structures.
Au cours de ces années, j’ai organisé des formations dans le domaine de la douleur pour des soignants hospitaliers et libéraux. Dans l’hôpital où j’exerçais,
il n’y avait pas de formation en soins palliatifs, aussi j’ai profité de ces formations pour glisser une « initiation » pour les professionnels
et les élèves-infirmiers. Conjointement, j’ai formé des bénévoles à l’accompagnement et organisé des conférences grand-public.
Ce qui m’a marquée le plus, c’est la méconnaissance du sujet, l’impact des médias et le poids des histoires personnelles ; cela est encore plus vrai aujourd’hui
avec le débat en cours. Mon objectif a alors été d’informer, d’expliquer avec des mots simples, des exemples quelquefois réducteurs, ce que proposaient les soins
palliatifs et l’organisation qui était possible pour aider les patients et leur entourage.
Définition des soins palliatifs
de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP)
1- Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive ou terminale.
Ivan Krakowski précise que « la période dite palliative est de durée très variable, pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Elle correspond à une diminution
des traitements spécifiques curatifs de la maladie, mais la prise en compte des symptômes physiques, de la souffrance morale et des problèmes sociaux, doit
être permanente tout au long de la maladie. »
En France, il est difficile de faire passer cette notion de durée : les soins palliatifs sont assimilés à des soins terminaux et lorsqu’un malade
est « en soins palliatifs », c’est qu’il est en fin de vie avec une mort imminente.
2- Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique,
sociale et spirituelle.
Les médicaments, lorsqu’ils sont bien utilisés, peuvent soulager la douleur physique, mais le soulagement de la « souffrance totale » telle que définie
par Cicely Saunders passe par des intervenants divers, soignants, assistante sociale, ministre du culte, etc.
3- Les soins palliatifs et l’accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s’adressent au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile
et en institution.
Andrée Gauvin, de Montréal, a défini des « accompagnants naturels », famille, amis, voisins... des « accompagnants professionnels », médecins, infirmiers,
aide-ménagères… et des « accompagnants-bénévoles » bénévoles d’associations de soins palliatifs ou autres.
4- Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un vivant et la mort comme un processus naturel.
Le malade est vivant jusqu’au bout : il est souvent difficile de rappeler cette réalité à un entourage épuisé et inquiet. Il est là ; vous pouvez lui parler, le toucher
ou simplement être près de lui en silence. Après, ce ne sera plus possible.
5- Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements déraisonnables.
Se poser, en équipe si possible, la question du bien fondé d’un enième examen au regard de l’inconfort qu’il apportera au malade, relève d’une démarche palliative.
Les traitements déraisonnables - pour ne pas dire "acharnement thérapeutique" - consistent « à utiliser tous les moyens médicaux dont on peut disposer pour maintenir
une personne en vie ». Les progrès de la science et la possibilité d’un long maintien artificiel de la vie soulèvent des questions qui n’étaient pas envisagées
il y a quelques décennies.
6- Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort.
Donner intentionnellement la mort est un acte d’euthanasie défini ainsi par René Schaerer : « L’euthanasie consiste à administrer volontairement à un malade,
à un handicapé ou à un blessé incurables, dans le but d’abréger la durée de leur souffrance, une drogue ou un produit toxique qui met rapidement fin à la vie ». Chaque
mot de cette définition compte et est d’une constante actualité amplifiée, et déformée, par les médias insidieusement favorables à cette pratique.
Commentaires
Créée en 2003, à la suite notamment de la très médiatisée affaire Vincent Humbert, la Mission d’information sur l’accompagnement de la fin de la vie a procédé
à 81 auditions. Ce long travail de concertation a abouti à la Loi du 22 avril 2005, dite Loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Fait exceptionnel, elle a été votée à l’unanimité.
Cette loi - avec les décrets d'application qui l'ont suivie - a un défaut majeur : elle n’est pas connue. L’observatoire national de fin de vie, a été créé
en 2010, pour répondre à ce constat et pour colliger des données objectives destinées à éclairer les choix publics autour des problématiques liées à la fin de vie.
Or, c’est l’actualité qui comme toujours prend le devant de la scène : l’actuelle « affaire Vincent Lambert » pointe les conséquences de cette méconnaissance.
Le patient n’a pas écrit de directives anticipées (qui le fait à 30 ans ?) ni désigné de personne de confiance et son désir de ne pas subir un acharnement thérapeutique,
transmis par une partie de sa famille, n’a pas été pris en compte par le tribunal administratif : le médecin doit poursuivre la nutrition artificielle et l’hydratation.
Le tribunal a estimé que le cas sortait du champ d’application de la loi, ce que conteste Jean Leonetti, qui rappelle qu’on peut interrompre ou ne pas mettre en oeuvre
les traitements qui apparaissent comme inutiles ou disproportionnés et dont le seul but est le maintien artificiel de la vie.
Régis Aubry, président de l’Observatoire national de la fin de vie, redoute un retour en arrière si cette décision fait jurisprudence (écouter le reportage
de France 3 Champagne du 17 janvier 2014).
Il est certain que cette loi est perfectible, Jean Leonetti l’a dit dès sa promulgation, mais c’est une base solide qui est saluée par de nombreux observateurs.
Des précisions doivent lui être apportées pour répondre à des cas particuliers, dans le cadre d’un débat serein et dépassionné. Mais comme l’écrit Dominique Quinio
dans La Croix : « La loi ne suffit pas à régler le dilemme moral posé par chaque histoire singulière. Il est illusoire de croire qu'une loi autorisant le suicide
assisté ou l'euthanasie serait la réponse aux questions que nous pose la mort ».
Monique Couturier
Peintures de Abdelkader Guermaz