Quelques extraits du livre
Le regard des autres
Après une longue période d’hésitations Marie-Clémence quitte son compagnon et s’engage avec Aurore dans ce qu’elle décrit comme le grand amour de sa vie. Elle fait un saut dans l’inconnu.
Pour la première fois, nous parlions de nous comme un couple, nous envisagions le regard des autres. Aurore me dit : « Être avec une femme, ce n’est pas facile. Ce ne sera pas accepté par les gens, par ta famille, ce seront des épreuves et des épreuves. Il faut être prête à affronter ça. Il n’y aura presque personne d’heureux pour nous. » (p37).
Des remarques dans la rue, on en a essuyé, des hommes qui crient de loin « Hey, les gouines ! », ou encore « Vous avez besoin d’un mec, peut-être ? », on en a entendus. Mais que dire ? Ce n’est qu’un besoin d’afficher une virilité débordante, un besoin qu’ont certains hommes de se sentir indispensables à l’épanouissement des femmes. Pareil, ça ne me touche pas, j’ai un peu de pitié pour eux à qui on a appris dès le plus jeune âge qu’ils sont des rois. Mais tout ça n’était rien à côté de la grande bataille que j’allais devoir mener : l’annoncer à ma famille. (p46)
Ma mère est une fille de bonne famille, mère au foyer qui a consacré toute sa vie à ses quatre enfants et à son mari. Elle a été élevée dans une éducation stricte, elle vouvoie ses parents, ne reçoit pas de coup de fil de leur part pour son anniversaire, mais a un immense respect pour eux. Mon père, lui aussi de bonne famille, est le petit dernier de sept enfants. (p48-49).
Et me voilà, à 23 ans, avec une annonce qui allait bouleverser plus que je ne le pensais mon rapport à mes parents. Je l’ai très vite dit à mes frère et sœurs. Je n’avais aucun doute sur leur soutien. Ils sont ouverts d’esprit, et je savais que cela se passerait bien. Mais seulement trois mois après avoir officialisé avec Aurore, je ne résistais plus, il fallait que j’en parle à mes parents. Je savais qu’ils ne me renieraient pas. Je les connaissais bien et je savais qu’ils étaient trop tolérants et aimants pour avoir une réaction aussi violente. (p52)
Mon père, après un temps, dans la nuit, avec ce ton posé et rassurant que j’aime tant, m’a dit cette phrase : « Tu sais ma chérie, il y a ce que l’on imagine, ce que l’on souhaite, ce que l’on projette pour ses enfants, et il y a ce qu’ils sont. On ne t’aime pas moins parce que ta vie n’est pas celle que l’on avait souhaitée pour toi. » (…) Cet homme, catholique, la fierté de ses propres parents et de ses enfants, qui n’avait jamais fait un pas de travers, m’assurait ce soir-là de son amour inconditionnel. (…) Ma maman, elle, n’a pas compris ce soir-là. Elle a pris la nouvelle comme un soufflet. D’une violence inouïe. Elle aussi avait imaginé beaucoup de choses pour moi. Mais certainement pas ça. Elle avait l’air tellement déçue. Le regard empli d’une telle tristesse. » (pp54-56).
L’homophobie ordinaire
Je crois énormément que l’homophobie naît en certaines personnes à cause du milieu social dans lequel elles naissent. Quand on naît dans une famille bourgeoise, catholique pratiquante, et que l’on ne fréquente, même à l’âge adulte, que des couples hétérosexuels, de droite, catholiques, ultra-conservateurs, on ne peut pas recevoir l’homosexualité comme une chose bonne ou naturelle. Si le parcours de vie n’amène jamais à être confronté à des vies différentes des nôtres, il faut avoir, de nature, une ouverture d’esprit d’esprit très forte pour accepter facilement tout cela.
Car comment est-on « confronté » à l’homosexualité au quotidien ? Moi-même depuis l’enfance, les seuls repères, les seules « images » que j’en avais étaient les suivantes : cette tante, déçue par un homme, en couple avec une femme, la Gay Pride, qui était présentée dans les médias comme une caricature vulgaire, dépravée et antireligieuse (évidemment je n’entendais pas du bien des hommes déguisés en bonne sœur en train de se rouler des pelles sur un char), et des faits divers à la télévision de pédophilie ou d’homosexualité qui avaient viré au trash. J’ai donc toujours eu beaucoup de tolérance pour celles et ceux qui, par leur éducation, leur milieu social, ne comprennent pas et sont effrayés par l’homosexualité. L’homophobie, ce ne sont pas que des insultes dans la rue, c’est aussi l’homophobie ordinaire. Homophobie égale peur de l’homosexualité. Et c’est, je pense, ce que certains ressentent. La peur. Et, comme pour tout, chacun réagit différemment à la peur. Quand on est effrayé par quelque chose que l’on ne connaît pas, on a plusieurs options : fuir, attaquer, ou essayer d’apprivoiser ses craintes. Face à l’homosexualité, c’est pareil : on la fuit comme une maladie contagieuse, on l’attaque comme un ennemi, ou on l’accepte et on réalise qu’elle n’a rien de dangereux. » (pp60-62)
Photo de famille
Été 2011. Vint le mariage de mon grand frère. Même si l’annonce à la famille était encore fraîche, j’espérais secrètement qu’Aurore soit invitée. Mais ce ne fut pas le cas. Beaucoup de monde de ma famille maternelle était attendu à cet événement, et cela aurait trop stressé ma mère. Alors Aurore n’a pas été invitée, ils n’étaient pas prêts. C’est ce jour-là que j’eus vraiment, pour la première fois, la sensation d’être le nombre impair. J’étais l’impair. Cela prenait tout son sens. La journée était belle, heureuse, puis vint la séance photo de groupe. Je me souviens précisément de ce moment. La photo de famille. Tous mes frère et sœurs réunis, chacun avec son amoureux ou son amoureuse. Et moi, seule. Ma moitié existait, mais elle n’avait pas le droit d’être là. Il y avait trois couples formés sur la photo, et j’étais la septième personne, seule. Je ne ressentais pas de colère, pas d’injustice, mais un vide immense. (pp. 83-84).
Annonce à ses parents que Marie-Clémence est enceinte
Si Marie-Clémence et Aurore n’ont jamais eu de difficultés avec leurs amis, chaque étape de leur vie de couple (PACS puis mariage) n’ont pas été sans poser de problèmes à la famille de Marie-Clémence. Vint le jour où elle annonça à ses parents qu’elles attendaient un enfant.
J’ai regardé mes parents et je leur ai dit : « J’ai quelque chose à vous dire. Et j’espère, je prie pour qu’un jour, vous le preniez aussi comme un cadeau. Aurore et moi attendons un bébé. » J’ai peiné à terminer ma phrase, la gorge nouée. J’avais les yeux baissés et j’étais morte de trouille. J’ai relevé la tête et j’ai d’abord vu mon père qui s’avançait vers moi, très ému aussi, suivi par ma mère, qui semblait en état de choc, entre tristesse et bonheur, je ne saurais pas dire. Mon père a dit : « C’est Aurore ou toi ? — C’est moi, Papa. » Il me prit dans ses bras, et ma mère vint aussi se mêler à l’étreinte. « J’avais tellement peur de vous le dire. Tellement peur que vous me rejetiez. — On se doutait un peu que ça allait arriver un jour. On savait que tu voulais un petit », me dit mon père. J’ai regardé ma mère et je n’ai pu m’empêcher de lui demander pardon. Elle me prit dans ses bras et me dit une phrase dont je ne me souviens que de la fin. « C’est difficile, mais tu sais, je suis pour la vie. » Elle me disait la vérité. Ce moment fut bouleversant. Cette journée fut irréelle. (…) J’aime ma famille et j’aime la réaction qu’ont eue mes parents. La bienveillance. L’amour. Voilà ce dont ils ont fait preuve.
Peu importe leur opinion sur l’homoparentalité, ils étaient face à leur fille qui attendait un enfant et ils se sont concentrés sur l’essentiel : cet enfant qui allait avoir une famille, des oncles, des tantes et des grands-parents aimants. C’était tout. La route fut longue, mais l’arrivée fut belle et je suis fière de ce chemin parcouru avec eux. Ils ne m’ont jamais lâchée. Ils ont tous un peu souffert de tout ça, ils ont peut-être parfois été maladroits, mais jamais ils ne m’ont lâchée. (pp. 237-238).
Lettre de la grand-mère de Marie-Clémence
après la naissance de leur fille
Les grands-parents maternels de Marie-Clémence n’ont jamais accepté son union avec Aurore. Alors que leur fille est âgée de quelques mois et alors que son grand père est mort depuis peu, sa grand-mère change de ton. Elle lui écrit une lettre.
Mais ce qui retint surtout mon attention, ce fut cette phrase : « Unis par notre cœur et avec le même esprit, nous te demandons pardon pour certains mots ou quelques phrases que nous aurions pu dire à ton égard. » Je me suis arrêtée un instant de lire. Un immense poids est tombé de mes épaules. Je me suis mise à pleurer. Je ne m’étais pas préparée à cela, je ne l’avais plus espéré. Et c’est arrivé comme un miracle. Au-delà du pardon, ce qui me libérait, c’était la reconnaissance de ma douleur. Reconnaître que ces mots, je n’avais pas à les entendre, que c’était injuste. Me déculpabiliser d’avoir pu en souffrir. M’ôter ce doute qui subsistait au plus profond de moi comme un goût amer, celui d’être une mauvaise personne qui méritait d’être jugée. Je repris ma lecture, les yeux rouges. Elle y parlait de mon grand-père et me remerciait d’avoir été présente pour lui à son départ. Elle me dit qu’il intercédait maintenant pour nous auprès du Seigneur. Elle a fini cette lettre ainsi : « Soyez assurées, toutes les trois, de mes prières quotidiennes. Bonne-Maman et Bon-Papa du ciel. » C’était terminé. Tout était enfin terminé. Pardonné. J’ai eu la sensation d’achever une ascension qui aurait duré près de dix ans. J’avais tant besoin de ces mots. Je pensais avoir fait mon deuil du lien qui m’unissait à ma grand-mère, mais la libération que j’ai ressentie à la lecture de cette lettre m’a bien montré tout ce que cela représentait. Je sais combien cela a dû lui coûter de m’écrire, de prendre son stylo et de se livrer. Elle disait sa vérité dans ces lignes. Certes, elle pensait que j’avais cédé au tentateur, au diable. Mais elle reconnaissait aussi que j’avais pu souffrir de ces mots qui sont sortis de leur bouche, que je ne les méritais pas. Et elle priait.
Si elle considérait toujours que ma vie amoureuse ne répondait pas aux règles de notre religion, elle nous incluait toutes les trois dans ses prières quotidiennes. Toutes les trois. Pas que moi. Toutes les trois. Au même titre que le reste de la famille. C’était immense. (pp. 258-260).
Marie-Clémence Bordet-Nicaise
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