Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour "Temps ordinaire" Retour "Année B" Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

20ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 6, 51-58

Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »

Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »

Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n'est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

Nouvelle homélie : La transfiguration du temps
Michel Jondot

Rompus comme le pain
Christine Fontaine

« Il est grand le mystère de la foi »
Michel Jondot


La transfiguration du temps

Descendu du ciel

Nous avons tous connu des situations où nous étions dépassés par des difficultés dont nous ne savions pas sortir. Un ami arrive alors. La main tendue, le service rendu nous ont tirés d’embarras. Dans ces cas-là, une expression familière nous vient facilement aux lèvres : « C’est le ciel qui t’envoie. » Ces mots ne sont, bien sûr, qu’une manière de parler. Mais, pris à la lettre, ils peuvent aider à entrer dans la signification de cette scène que nous rapporte St Jean.

Jésus avait nourri une foule. Celle-ci n’avait pas compris d’où venait celui par qui le pain avait été distribué.

Jésus les éclaire : « le Père m’a envoyé ! » Ces mots viennent à l’intérieur d’un contexte assez mystérieux : Jésus déclare qu’il va se donner en nourriture. On comprend le désarroi des Juifs : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »

L’incompréhension des Juifs s’accompagne d’un double oubli.

D’une part, ils ne se sont pas rendu compte qu’en recevant la nourriture qui les a apaisés, ils avaient vécu une rencontre humaine. Quand on reçoit un cadeau, on ne se crispe pas sur l’objet qui nous est présenté mais sur les sentiments et sur le visage de celui ou de celle qui nous l’offre : qui donc est celui qui leur a donné le pain ? La question ne les a pas effleurés. Jésus les arrache à leur inconscience : « Moi je suis le pain vivant qui est descendu ciel. »

L’envers du temps

Ils oublient aussi leur passé ; pourtant, ils connaissent bien l’histoire de leurs ancêtres. Ceux-là avaient reçu, eux aussi, une nourriture venue du ciel. Mais ceux qui avaient reçu la manne ne sont plus là. Il ne sert à rien de se fixer sur cette histoire ancienne. Le pain tombé du ciel est un événement passé. Ils « sont morts » ceux qui l’ont mangé. Le rappel de leur aventure doit nous faire vivre le temps présent et ce temps présent est étrange. Le pain tombé du ciel, inséparable du visage de Jésus, dépasse le jour où on le consomme : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

Les propos de Jésus sont encore plus mystérieux : le pain qu’il donne c’est sa chair. On aimerait bien pouvoir parler de métaphore, comme on dit d’une personne très occupée qu’elle est « mangée » par son travail. Le texte grec l’interdit : le verbe qu’on traduit par manger signifie plutôt « mâcher ». Comment comprendre ?

« La faiblesse de croire »

Dans la plupart des cultures, le pain est profondément symbolique : il est corrélatif de la faim de l’homme et de son désir de vivre. Celui-ci dépasse toujours, qu’on en soit conscient ou non, l’objet qui apaise l’appétit ; il est infini et chacun meurt sans qu’il ait été comblé. Jésus révèle que, par-delà le temps des hommes qui conduit à la mort, on trouve un envers du temps qu’on appelle éternité et que le mot « ciel » évoque. De ce hors-temps nous vient la vie ; de ce hors-temps nous vient Jésus (« Je suis venu pour qu’ils aient la vie ») : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra par moi. »

Pour comprendre ces paroles étranges, il faut se situer dans cet envers du temps dont parle Jésus. Venu du Père qui est dans les cieux, différent du Père bien que semblable à Lui en même temps qu’inséparable de Lui, Jésus a vécu le hors-temps de Dieu dans le temps des hommes. Il a vécu dans un temps précis, à une époque précise. Celui qui est semblable au Père a vécu une vie semblable à celle des hommes, une vie particulièrement tragique comme c’est le cas de beaucoup d’autres, marquée par la mort comme toutes les autres. Mais comme aucun autre Jésus a aimé de l’amour même de Dieu pour nous. L’amour que Jésus portait à chacun était, sur la terre des hommes, l’amour du Père livrant son Fils. L’envers du temps se manifestait dans le temps. Le temps mortel, aux yeux du croyant, s’en trouve transfiguré.

Que s’est-il réellement passé lors de cette scène de la multiplication des pains ? Que Jésus a-t- dit réellement ? Nous ne le savons pas vraiment. En revanche, nous pouvons deviner l’interprétation qu’en a faite l’apôtre Jean. Il a écrit son évangile plusieurs années après le départ de Jésus. Il a vécu ces événements extraordinaires qui ont commencé un certain jeudi, « la veille de sa passion » comme on le dit en chaque eucharistie. Il prit du pain et le donna à ses amis, disant : « Prenez, mangez, c’est mon corps livré pour vous. » Ils ont réussi, lui et ses amis, à comprendre que cette chair mise à mort était donnée pour la vie du monde. Ils ont compris aussi que cet acte d’amour sublime vécu en un instant précis débordait tous les temps et rejoignait tous les instants de l’histoire, celui-là en particulier que nous-mêmes sommes en train de vivre. Ils ont compris qu’accompagné de cette même parole exprimant le don, le pain qu’ils consommaient à ce dernier repas était déjà l’accueil du cadeau fait par le Père et que les croyants attendent dans l’Espérance.

Les catholiques ont « la faiblesse de croire » qu’en chaque eucharistie, nous sommes au même lieu que Jean et les autres lors de ce fameux repas du jeudi. En consommant le pain, nous mangeons, nous assimilons le corps même de Jésus ressuscité. « Comment celui-là peut-il nous donner son corps à manger ? » Ne cherchons pas à comprendre. Rien de ce monde ne peut répondre de ce qui dépasse le monde et qui pourtant le rejoint. Laissons notre foi reconnaître que par-delà les déceptions et les satisfactions qui font la trame de nos existences Jésus est réellement là. « C’est le ciel qui l’envoie. »

Michel Jondot


Rompus comme le pain

Ne nous laissons pas dévorer

Le temps des vacances est un îlot au milieu de l’année dans une vie où nous sommes souvent mangés, dévorés par les tâches quotidiennes.

Arrive le moment où nous éprouvons le besoin de refaire nos forces, de nous reposer. Si nous ne réservions pas ces temps où nous pouvons nous nourrir, nous reconstituer, la voracité des jours finirait par nous engloutir. Celui qui ne réserve plus rien pour lui-même, celui qui ne prend pas de réserves finit par devenir fou ou par mourir.

Le temps des vacances est cet îlot qui nous est indispensable pour nous reconstituer. Prendre du temps pour soi n’est pas forcément un sentiment égoïste. Ce peut être simplement de la sagesse. Il faut être soi-même équilibré pour que ceux qui nous entourent puissent trouver leur propre équilibre. Il faut être solide pour pouvoir donner de l’amour, de la vie, du bonheur à notre entourage.

Jésus se fait dévorer

Certes, il est bon de reprendre des forces et de prendre des vacances ; ceux qui ne le peuvent pas savent mieux que tous à quel point c’est nécessaire. Mais il y a peut-être autre chose de plus radical à découvrir pour être capable d’aimer et de vivre dans la joie.

« Je suis le pain vivant, si quelqu’un mange de ce pain, il vivra… celui qui me mange vivra par moi », dit Jésus. Jésus se donne en nourriture. Il demande à être mangé. Comment mieux dire que, pour Jésus, vivre n’est pas être solide par soi-même mais dévoré par les autres, mis en miettes comme le pain rompu. Jésus ne se réserve pas, il ne retient rien de lui ; il se donne en nourriture, en pâture, pour que vivent ses amis.

Non seulement Jésus se laisse dévorer mais il demande à l’être : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme vous n’aurez pas la vie en vous », déclare-t-il. Jésus partage la condition de ceux qui se font dévorer par ceux qui les entourent. Et, le plus étrange, c’est qu’au moment où Jésus demande à être livré en nourriture, au lieu d’annoncer qu’il va s’épuiser, qu’il va en mourir, il proclame que c’est ainsi qu’il demeurera vivant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Jésus vit grâce à ceux qui le dévorent. Il continue de vivre précisément parce qu’il ne retient rien, parce qu’il donne sa vie. Ceux qui le dévorent lui donnent vie.

Nous vivons grâce à ceux qui nous dévorent

Certes, Jésus n’est pas seulement nourriture, il est aussi nourri, il vit par le Père : « Ma nourriture, dit-il, c’est de faire la volonté de mon Père… Le Père m’a envoyé et je vis par lui. » Jésus reçoit du Père toute son énergie.

Certes, nous aussi, à certaines heures, nous avons besoin d’être nourris. Mais souvenons-nous que ce n’est pas suffisant pour vivre. Ne l’oublions pas : ceux-là même qui nous dévorent, nous donnent aussi de vivre. N’en faisons-nous pas l’expérience chaque jour avec nos enfants par exemple ?

Peut-être, en ce temps de vacances, ne s’agit-il pas seulement de reprendre des forces ou d’accumuler des réserves mais de s’apercevoir que la joie consiste aussi à se dépenser sans réserve pour tous ceux que le Père met sur notre chemin.

Nous allons être repris par la voracité des jours ; nos forces risquent de s’épuiser très vite. Mais, si la fatigue nous guette, souvenons-nous que nous vivons aussi grâce à ceux qui nous fatiguent, grâce à ceux qui nous mangent, qui prennent notre temps, notre vie. Ceux à qui on ne demande plus rien ont bien du mal à vivre !

Si nous avons l’impression d’être dévorés ou si nous risquons de l’être, n’ayons pas peur. Etre dévoré par les autres, c’est peut-être le mystère même de Dieu qui se donne en nourriture, le mystère de l’Eucharistie et celui de l’Amour. Aux heures d’épuisement puissions-nous nous en souvenir !

Christine Fontaine

« Il est grand le mystère de la foi »

Semer la mort ou accueillir la vie ?

Nous entrons dans une semaine marquée par un anniversaire sinistre qui donne à réfléchir après la lecture de ce texte de Saint-Jean. Voici 440 ans, le 24 août exactement, 3000 chrétiens se massacraient dans les rues de Paris ; des milliers et des milliers d’autres – on ne sait pas le chiffre exact – s’entretuaient dans le reste de la France. Le massacre de la Saint-Barthélemy opposait catholiques et protestants dans notre pays. Les raisons étaient politiques mais les sources de l’hostilité entre catholiques et protestants étaient théologiques. En particulier l’interprétation du texte que nous venons de lire créait de graves querelles non encore surmontées. Comment comprendre ce lien entre le pain qu’on mange lors de l’Eucharistie et la chair du Christ mis en croix ? Quel rapport entre le vin sur l’autel et le sang de Jésus versé comme celui de l’agneau que les musulmans égorgeront ces jours-ci pour fêter l’Aïd ?

Ces questions ne sont pas vaines mais le contraste est impressionnant. Le verbe « vivre » revient à plusieurs reprises sur les lèvres de jésus : « il vivra éternellement » ; « Je vis par le Père ». Il ne s’agit pas de n’importe quelle vie mais d’une vie éternelle : « Celui qui mange ce pain vivra éternellement… Je le ressusciterai au dernier jour ». Saint Jean, en nous rapportant ces propos, souligne les réactions de ceux qui l’entendent, à Capharnaüm. Juste après le texte que la liturgie nous propose aujourd’hui, l’Evangéliste ajoute les commentaires des disciples eux-mêmes : « Elle est dure cette parole, qui peut l’écouter ? »; ces réactions sont plus humaines, avouons-le, que celles du 24 août 1572. Pour défendre cette vie promise, nos églises en sont venues à semer la mort d’une façon sauvage. Il est sans doute plus difficile de comprendre les réactions des chrétiens que celles des auditeurs de Jésus en Galilée.

Croire plutôt que savoir

Comment en sommes venus là ? Il est important de se poser la question.

Ce qui est en cause, c’est la manière de se situer par rapport à la vérité évangélique. En réfléchissant, souvent avec génie et même avec sainteté et toujours avec souci de fidélité, on s’est efforcé de retraduire les propos de Jésus et des Ecritures Saintes pour les rendre accessibles, selon les siècles, à l’ensemble des baptisés. Aux phrases de Jésus se sont ajoutés des textes qui se sont transformés en dogmes. La tentation était grande de confondre la façon d’adhérer à une vérité d’ordre dogmatique et la façon de recevoir les théorèmes de la géométrie euclidienne. Une vérité évangélique ne se réduit pas à un savoir mais elle suscite la foi et c’est tout autre chose. Luther et les autres réformateurs avaient peut-être raison d’interroger l’Eglise officielle. Ils avaient tort de s’attacher à leurs formules comme un professeur de mathématiques. L’Eglise officielle avait peut-être raison de défendre la présence réelle et de forger le terme de transsubstantiation. Elle avait tort de prétendre avoir le dernier mot. Une vérité évangélique n’entraîne pas un savoir définitif – comment prétendre avoir connaissance absolue sur ce qui touche au mystère de Dieu ? La vérité évangélique appelle la foi et celle-ci ne se réduit pas à un savoir.

Mais alors, qu’est-ce que la foi ?

L’Eucharistie, appel du Père

La foi a une histoire : elle remonte à Abraham. La Genèse nous le montre comme un homme de son temps, soumis à des coutumes qui aujourd’hui peuvent paraître choquantes. Il n’hésite pas à faire un enfant à sa servante. Il n’a rien d’héroïque mais il a conscience que ses paroles ou ses actes sont réponse à un Autre. « Appeler » et « Répondre », adhérer à la volonté d’un Autre qui échappe, tel est le mouvement de la foi. Autour de Jésus – un petit groupe d’hommes et de femmes a fini par le percevoir – l’invitation venue d’un Autre qu’il nomme « Père » se manifeste au milieu des villes, au milieu des champs de blé, au milieu même de la mort. Sa mort elle-même est un grand cri, comme un écho du Père qu’il appelle et qui appelle. L’Eucharistie – l’Eglise l’affirme – maintient, par-delà les siècles, cette sollicitation de Dieu venue du fond des âges. L’écouter et y répondre forgent l’acte de croire et l’invitation se maintient grâce aux sacrements, en particulier grâce à l’Eucharistie, du moins dans la cohérence chrétienne ; l’appel s’est manifesté en Jésus ; il se manifeste encore en même temps et dans le même mouvement dans la présence de l’autre. La vue de celui-ci est parole de Dieu venue d’en-haut. « Heureux ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre ! » Face à l’autre qui me côtoie, je ne suis pas en position du Maître qui délivre une vérité mais de serviteur prêt à répondre à ses attentes. Quand il en va autrement, on peut redouter un nouveau massacre de la St Barthélemy.

Le pain et le vin de l’Eucharistie dont parle Jésus, sont pris, dès les premiers mots du discours, dans ce mouvement entre le Père dont il se réclame et la foule invitée à répondre et à suivre, c’est-à- dire invitée à croire. « C’est mon Père qui vous donne le pain qui vient du ciel… Ils lui dirent alors : ‘Seigneur donne-nous toujours de ce pain-là’. » Jésus leur répondit : « Moi je suis le pain de vie ».

« Il est grand le mystère de la foi ». Pain et vin nous tournent, en effet, vers le Père ; on en prend conscience lors de chaque célébration lorsque nous récitons la prière que Jésus nous a apprise. Là est le mystère de la foi. Tournons-nous vers le Père et en approchant de l’autel pour communier, pesons bien notre réponse. On nous dira « Le Corps du Christ ». Nous disons « Amen ! » Le mot ne signifie pas « c’est vrai ». Le mot signifie, en hébreu, « je crois » !

Michel Jondot