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28ème dimanche

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 17, 11-19

Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » En les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »

En cours de route, ils furent purifiés. L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c'était un Samaritain. Alors Jésus demanda : « Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n'y a que cet étranger ! » Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. »

Ta foi t'a sauvé
Christine Fontaine

Des frontières à franchir
Michel Jondot

Fraternels par le fond
Michel Jondot


Ta foi t'a sauvé


La foi qui ne sauve pas

C'était un Samaritain... Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. » Telles sont les dernières paroles de Jésus dans cet Évangile.

Pourtant ils étaient dix au départ. Lépreux, ils étaient exclus de la société des hommes. Tous font appel à Jésus, en l'appelant « Maître », pour être guéris et pouvoir enfin vivre. Car cette maladie qui, non seulement les atteint dans la chair, mais les met hors de la société des hommes (elle les empêche d'entrer dans un village), vraiment n'est pas une vie. Ces dix hommes demandent à Jésus une guérison impossible à vue humaine. Ils mettent leur confiance en Jésus. Pourtant ils n'ont pas la foi qui sauve puisque c'est à un seul que Jésus déclarera : « ta foi t'a sauvé ».

En les voyant, Jésus leur dit : « Allez-vous montrer aux prêtres. » Et ils partent sans être guéris ! Ils partent sur la foi en la parole de Jésus. Il faut que leur foi soit bien grande pour obéir à ce « Maître » sans avoir obtenu ce qu'il lui demandait. En vérité, ils ont eu raison d'agir ainsi puisque, en cours de toute, tous les dix furent guéris. Pourtant neuf d'entre eux n'ont pas la foi qui sauve puisque c'est à un seul que Jésus déclarera : « ta foi t'a sauvé ».

On peut donc avoir la foi, on peut même être guéri grâce à la confiance faite à la parole de Jésus, et pour autant ne pas être sauvé par la foi ! Mais qu'est-ce qui manque à la foi de ces neuf autres pour obtenir le salut ?

La foi qui sauve

Lorsque Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres », les dix précèdent Jésus sur la route qui mène vers le Temple à Jérusalem, là où l'on trouve les prêtres. Excepté au Samaritain qui est revenu, il ne manque aux autres ni la Loi, ni les prophètes, ni la reconnaissance du Dieu unique, ni la foi en sa présence au milieu d'eux dans le Saint des Saints. Exclus du peuple par la maladie, ils font néanmoins partie du peuple de Dieu par la foi. Alors que leur manque-t-il pour obtenir le salut ?

Une seule chose leur manque : de revenir sur leurs pas. Ils n'ont pas fait demi tour concrètement, charnellement, pour retourner vers la source d'où leur étaient venues la santé et la vie. Un seul est revenu « en glorifiant Dieu à pleine voix ». Un seul « se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. » Là est toute la différence dans la démarche de foi.

Pour ce dernier seulement la foi a pris chair : elle s'est incarnée dans son propre corps. Il est poussé à reconnaître la source d'où lui vient tout don et à y retourner. Il est poussé à marcher, concrètement, charnellement, vers Jésus, à rendre grâce et à chanter à pleine voix Dieu qui lui a redonné vie humaine. Un homme n'est pas un pur esprit, il est corps et parole, charnel et spirituel. La foi nous sauve lorsque par notre corps et nos paroles, par notre chair autant que par notre esprit nous pouvons rendre gloire à Dieu qui nous donne la Vie. Nous découvrons alors que Dieu est là, dans le plus concret de notre histoire terrestre et que nous ne le savions pas. Alors nous pouvons aller et venir, vivre simplement, en demeurant à la Source d'où procède toute Vie : « Relève-toi et va, dit Jésus : ta foi t'a sauvé ».

Tant que nous n'avons pas fait cette expérience, nous pouvons bien avoir la foi mais elle demeure - pour les neuf dixièmes - encore bien intellectuelle et impuissante à nous donner le salut ! Autrement dit, qu'est-ce que la foi ? C'est faire l'expérience de la résurrection dans sa propre chair. Ne nous dit-on pas que le baptême, sacrement de la foi, nous fait ressusciter avec Jésus ?

La nécessaire gratitude

Nous pouvons croire tout ce que l'Église nous demande, nous pouvons même avoir été témoin de miracles (à Lourdes ou ailleurs), nous pouvons fréquenter les sacrements régulièrement, tant que nous ne faisons pas l'expérience du don de Dieu concrètement dans notre existence charnelle, nous sommes arrêtés dans la Voie du salut. Et cette expérience s'exprime par une gratitude qui nous permet d'avancer dans la Vie, par-delà malheurs et bonheurs, en reconnaissant toujours et partout que « Tout est grâce ».

Par combien de souffrances et de déprises nous faut-il passer pour en venir à reconnaître que Dieu est là où nous sommes, lié à nous dans le plus concret de notre existence! Par combien de souffrances et de déprises nous faut-il passer pour faire l'expérience que - contrairement à bien des apparences - Dieu ne nous a pas abandonnés ! La gratitude envers Dieu qui se donne nous est absolument nécessaire pour être sauvés, c'est-à-dire concrètement ne plus être perdus !

« Pour rendre gloire à Dieu, il n'y a que cet étranger ! » s'exclame Jésus. Peut-être nous faut-il rencontrer des étrangers à la foi chrétienne, de ces hommes et de ces femmes capables de rendre gloire à Dieu en toutes circonstances, pour trouver le chemin de la foi qui sauve ! Gardons-nous bien de les mépriser : ils sont souvent les témoins, parmi nous, du Mystère qui passe par nous et nous dépasse ! Pour leur présence parmi nous, rendons à Dieu toute grâce !

Christine Fontaine


Des frontières à franchir

D’un pays à l’autre

Les frontières posent des problèmes à de nombreux pays. En Europe il faut se protéger des immigrés ou des réfugiés qui veulent nous rejoindre. En Terre Sainte les Palestiniens résistent contre un peuple qui vient coloniser les quelques territoires qui leur sont concédés et les Israéliens dressent des murs par peur d’être dérangés. Ce faisant ils imitent les Etats-Unis qui s’efforcent de refouler les Mexicains qui les entourent. En France, on n’est pas près d’oublier le mal qu’il a fallu pour se protéger des voisins allemands.

Jésus a su ce que c’était que de vivre avec ses voisins : l’Evangile de ce jour nous le rappelle. En marchant vers Jérusalem, il traversait, nous dit-on « la région située entre la Samarie et la Galilée ». Entre les Samaritains et les Juifs le voisinage était difficile. Les premiers étaient considérés comme impurs par les seconds. Hors des pays juifs proprement dits, les invasions d’Assyrie et de Perse avaient altéré la foi et les façons de vivre que scribes et pharisiens s’efforçaient de maintenir. Entre les uns et les autres la cohabitation était impossible. On se rappelle l’étonnement de la Samaritaine : « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire ! » Il y a quelque chose de provocateur lorsque Jésus valorise, dans une parabole bien connue, le Samaritain qui porte secours à un blessé.

Etrangers dans leur pays

Cette manière de vivre à la limite pourrait suffire pour méditer. Mais il y a plus à entendre. Le récit nous montre d’autres frontières. Entre ces lépreux qui s’avancent vers Jésus et le reste de la population, la séparation est plus grande que celle qui oppose deux régions. La mise à l’écart de ce genre de malades n’était pas une mesure prophylactique. On voyait dans ce mal une condamnation de Dieu. Il n’était pas question de se présenter à un médecin. Le devoir d’un lépreux était de se présenter au prêtre qui, constatant le mal, le déclarait impur. Il avait alors à se soumettre aux interdits qu’on trouvait dans la Bible dont le premier consistait à vivre en-dehors de la société. En réalité, ce qu’on désignait comme lèpre n’était souvent qu’une maladie de peau dont on pouvait guérir. Dans ce cas on retournait auprès du prêtre pour qu’il constate l’intervention de Dieu et qu’ainsi il puisse retourner vivre dans sa patrie. « Allez vous montrer aux prêtres ! » : la demande de Jésus va de soi. Ils s’en vont vers le Temple d’une part pour retrouver droit de cité et d’autre part pour rendre gloire à Dieu au Temple où ils trouveront le prêtre.

Le pays de Dieu

Une autre frontière est encore à considérer. Un des lépreux, « voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâces ». On a coutume de comprendre qu’il est seul à dire merci. Nulle part, dans l’Evangile, on ne voit Jésus attendre une marque de gratitude de la part de ceux qu’il guérit. Tous auraient pu, comme ce Samaritain, reconnaître que c’est en retournant à Jésus, et non pas au Temple, qu’on rend vraiment gloire à Dieu. Jésus dira bientôt qu’on peut détruire le Temple. Il laissait entendre qu’il était le nouveau Temple. Ce Samaritain guéri franchissait une frontière qui ne séparait pas un pays et un autre mais un temps et un autre. Il passait d’une Alliance ancienne à une Alliance nouvelle.

D'un monde à l'autre

Ainsi l’Evangile de ce jour nous oriente en des directions diverses. Aucune d’entre elles n’est à négliger.

Bien sûr, nous ne pouvons être d’accord avec nos contemporains qui demandent qu’on renvoie les immigrés clandestins dans leurs pays. Nous ne pouvons pas non plus nous résigner à fermer nos frontières aux réfugiés qui n’ont plus de terre où mettre les pieds. On entend dire qu’il faut bien tenir compte des impératifs économiques. Les hommes et les femmes de bonne volonté écartent cet argument. Il est inhumain de se plier aux exigences économiques en écartant les invitations éthiques. Il est difficile aux chrétiens de se boucher les oreilles. Une des dernières paroles de Jésus traverse les siècles et trouve, en notre siècle, une brûlante actualité : « J’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli.nbsp;» Oui, ces problèmes sont difficiles. Encore faut-il les aborder avec une certaine largeur de vue. Une fois guéris, les neufs lépreux se sont repliés sur leur identité nationale. Ils n’ont pas vu plus loin que leur temple : c’était dommage.

Entre nous les frontières sont nombreuses. N’oublions pas ceux qui sont dans les hôpitaux ou les prisons. Soyons conscients des écarts que creusent les conditions sociales. Entre membres d’une même famille ou entre amis, il arrive qu’on devienne étrangers après avoir pourtant connu des années d’amitié ou d’amour. La cause en est souvent dans une offense subie : le pardon est alors le franchissement d’une frontière.

Enfin nous avons à devenir de plus en plus conscients de la patrie où le baptême nous a fait entrer. Un lépreux avait perçu que le monde ne tournait pas autour du Temple de Jérusalem ; il est revenu sur ses pas pour découvrir que Dieu était sur son chemin. Au milieu des hommes, nous avons à passer d’un monde à un autre. Nous partageons le sort de nos contemporains mais sans les quitter nous avons à passer dans l’univers de Dieu. Les croyants affirment que leur mort est comme une frontière, un passage dans un univers tout autre. Mais l’Au-delà qui nous attend est déjà ici-bas. Le passage est à faire chaque jour. A chacun d’inventer, à chaque instant, le pas à faire.

Michel Jondot


Fraternels par le fond

Compagnons d’infortune

Pendant les années de résistance au nazisme, des hommes faisaient une expérience de compagnonnage assez exceptionnelle ; ils vivaient au coude-à-coude sans se soucier des appartenances religieuses des uns ou des autres. Au lendemain de la Libération, le poète René Char faisait cette réflexion : « Le croyant va retrouver son Eglise, pour notre dommage. Il ne sera plus fraternel par le fond ».

L’Evangile de ce jour nous met en face d’une situation de ce genre. Dix hommes sont liés par une misère dont ils voudraient bien être libérés. Ils sont à distance de toute vie sociale mais animés d’un même désir de vivre, tellement unis les uns aux autres que pour tenter de se faire entendre ils crient d’une seule voix : « Jésus, maître, prends pitié de nous ».

Purifiés ou guéris ?

Arrive pour eux le moment de leur libération qui est aussi celui de leur séparation. Neuf d’entre eux étaient fidèles à la loi de Moïse. La lèpre qui les affligeait n’était pas seulement une maladie qui rongeait leur corps. Elle était une « impureté ». Autrement dit, ils n’avaient plus leur place ni au Temple ni à la synagogue. Retrouver la pureté qui leur permettrait d’avoir leur place dans leur communauté, supposait non seulement la guérison mais la constatation officielle par un prêtre dûment mandaté.

Jésus, en bon juif, sait bien tout cela. Il leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres ! ». Chemin faisant, ils sont transformés mais la transformation n’a pas les mêmes effets chez les uns et les autres. Remarquez bien la différence de vocabulaire. « En route, ils furent purifiés » : telle est la conscience que les disciples de Moïse ont de ce qui leur arrive. Le dixième est Samaritain et les Samaritains n’ont rien à voir avec les Juifs. Celui-là ne se considère pas comme plus pur mais comme « guéri ». Il n’a pas besoin de rejoindre une communauté religieuse mais il ne manque pas de faire le geste de fraternité qui le rapproche de celui qu’il considérait comme un maître. Au départ, comme ses compagnons d’infortune, il tente une rencontre mais il se tient à distance. Une fois guéri, il s’empresse de rejoindre celui vers lequel désormais il peut se rapprocher. Le voilà aux pieds de Jésus, la face contre terre. Belle proximité ! La situation illustre à la perfection la prise de conscience de René Char. Les juifs ont bien rejoint leur Temple et leur synagogue mais en se coupant du Samaritain et en maintenant l’écart avec ce Jésus qui fraternellement avait entendu leur appel. C’est dommage et Jésus s’étonne : « Et les neuf autres, où sont-ils ? ».

Qu’est-ce que croire ?

Le dernier mot du texte est étonnant : « Ta foi t’a sauvé ». On pourrait croire que les neuf juifs ont manifesté qu’ils étaient croyants. Ils se soumettent aux exigences de la Loi, ils se montrent au prêtre comme il se doit, ils rejoignent la communauté de ceux qui reconnaissent la Parole de Dieu à travers les textes de Moïse et des Prophètes.

Le Samaritain n’a tenu aucun propos religieux. Il n’a pas récité un psaume de louange. Il n’a pas même prononcé un seul mot et pourtant le « maître » dit qu’il le voit « rendre gloire à Dieu ». Qu’est- ce que croire ? Qu’est-ce que rendre gloire à Dieu ?

A coup sûr, il ne suffit pas d’appartenir à une religion pour croire. Il ne suffit pas de poser les actes qui rendent visibles notre appartenance : la pratique dominicale et la fréquentation des sacrements... le denier du culte ! Jésus n’a pas craint d’appartenir à la religion juive ; il allait au Temple, il respectait le sabbat, il prenait la parole dans les synagogues. Il a tellement bien accepté la loi juive qu’il n’a pas fui la condamnation que celle-ci lui valait (« Nous avons une loi et d’après cette loi etc... ») Il se situait comme un vrai juif par rapport à ses interlocuteurs. Mais il a toujours refusé de considérer que la réalité spirituelle était enfermée dans le judaïsme. La foi est un mouvement qui partant d’un lieu bien précis ouvre un désir qui déborde les frontières. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si Luc situe l’épisode des lépreux à la frontière de « la Samarie et de la Galilée ». La foi que Jésus tente de faire naître est un mouvement que rien ne peut arrêter ; il met en route et lorsqu’une religion met des barrières et des interdits, le chrétien se méfie. « Relève-toi » dit le maître au Samaritain guéri. Relève-toi ! Avance ! Prends la route !

Va de l’avant mais pour aller où ? Précisément pour rejoindre celui dont il faut faire un frère. « Qu’est-ce que rendre gloire à Dieu ? » Le Samaritain du récit a rendu gloire à Dieu en abolissant les distances qui le séparaient de Jésus. On reconnaît Dieu dans la force qui nous permet de dépasser les incompréhensions, les conflits, les guerres. « Maître, apprends-nous à prier, à parler à Dieu » : vous vous souvenez de la réponse de Jésus : "Dites : 'Notre Père...pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons nous-mêmes'." Qu’est-ce que pardonner sinon transformer l’ennemi en frère ? Qu’est-ce que rendre gloire à Dieu C’est se laisser prendre par cette force qui nous rend fraternels par le fond.

Michel Jondot