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30ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
Mt 22, 34-40

Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l'un d'entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve: «Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement?» Jésus lui répondit: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Tout ce qu'il y a dans l'Écriture -dans la Loi et les Prophètes- dépend de ces deux commandements.»

Une règle d’or
Christine Fontaine

Où donc est Dieu ?
Michel Jondot

Quand le prochain est un familier
Christine Fontaine


Une règle d’or

Des lois particulières et une règle universelle

Des lois particulières régissent la vie de chaque peuple ou de chaque groupe humain. Ces lois peuvent être différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, la peine de mort est aujourd’hui interdite dans certains États, autorisée dans d’autres. Les lois peuvent différer mais il est évident qu’aucune société humaine ne peut vivre sans elles. De même que personne ne peut conduire une voiture en ignorant le code de la route, de même nul d’entre nous ne peut se conduire dans une société donnée s’il en ignore ou en méprise ses lois.

Par-delà ces lois qui peuvent varier d’un pays ou d’une époque à l’autre, il existe une règle d’or universellement reconnue par toutes les cultures et toutes les religions depuis la nuit des temps : « Traite les autres comme tu voudrais être traité » ou « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ». Cette règle est à la base du concept moderne des droits de l’homme mais on la trouvait déjà dans la Grèce antique au 6ème siècle avant Jésus-Christ sous la forme de : « Ne fais pas à ton voisin ce que tu prendrais mal de lui. »
(1) On la trouve depuis le 4ème siècle avant Jésus-Christ dans le bouddhisme dans la formule : « Ne blesse pas les autres de manière que tu trouverais toi-même blessante »(2), ou dans l’hindouisme à la même époque : « Ceci est la somme du devoir ; ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent »(3).

La règle d’or pour les juifs

« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » demandent les pharisiens. Ils interrogent Jésus sur les préceptes de la Loi juive. Comme tout système législatif particulier il se différencie, par exemple, de celui de l’occupant romain. Jésus répond en énonçant la règle d’or pour son peuple : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il fait précéder ce commandement d’un autre qui, dit-il, lui est semblable : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. »

Qui a-t-il de différent entre les commandements que Jésus énonce et d’autres formulations comme par exemple celle que l’on peut trouver dans la Grèce antique ou la déclaration des droits de l’Homme ? Dans ces deux dernières instances, il s’agit de tenir compte des autres, de les respecter mais il n’est pas question de les aimer. Il n’est bien sûr pas interdit de le faire. La règle d’or rend l’amour possible mais absolument pas obligatoire. La réponse de Jésus rend l’amour – du prochain et de Dieu - non seulement souhaitable mais obligatoire. C’est un commandement et même le premier. Jésus n’oppose pas les impératifs de la Loi à un Amour qui serait hors-la-loi. L’amour fait partie de la Loi, il en est le ressort, la règle d’or.

Un piège

« En ce temps-là, les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve… » Celui qui utilise la Loi pour piéger un interlocuteur se met lui-même hors la Loi, dit Jésus en rappelant la règle d’Or de son peuple qui consiste aimer son prochain en parole et en vérité. À l’aimer d’un amour inépuisable puisqu’il trouve sa source en Dieu qui est Amour. Aux pharisiens qui voulaient prouver que Jésus ne connaissait pas ou ne respectait pas suffisamment la Loi juive, Jésus manifeste que ce sont eux qui vivent actuellement hors-la- loi !

Mais il serait tombé dans leur piège s’il avait déclaré qu’il y avait d’un côté l’amour de Dieu, de soi-même ou du prochain et de l’autre la Loi et ses impératifs. Les pharisiens l’auraient alors accusé de relativiser la Loi de Dieu et au bout du compte de la mépriser. Jésus se serait lui-même alors mis hors la Loi de son peuple et aurait pu, à juste titre, en être exclu. Jésus échappe au piège en faisant de l’amour un commandement, la règle d’or de son peuple d’où dépendent tous les autres préceptes.

La règle d’or en christianisme

Aujourd’hui dans l’Église on entend parfois les tenants de l’obéissance à ses lois s’opposer aux tenants de l’obéissance à l’amour par-delà toute loi. Les uns oublient que le premier commandement consiste à aimer. En christianisme, l’obéissance à l’amour fait partie intégrante de l’obéissance aux règles de vie qui définissent une société. Les autres oublient qu’un amour sans règles de vie commune risque d’être du pur sentimentalisme à moins qu’il ne devienne le règne de la confusion.

Dans la famille particulière que nous formons toute règle de vie doit conduire – c’est un impératif ! - à l’amour du prochain et il n’est pas d’amour effectif entre nous sans des règles de vie. La règle d’or consiste à ne jamais délier l’un de l’autre. Imaginons un homme qui désire intensément rejoindre celle qu’il aime à l’autre bout de la France. S’il veut arriver au plus vite et sans encombre, il a intérêt à suivre le code de la route
(4). Imaginons maintenant que cet homme ait trouvé sur son chemin un éboulement, un tremblement de terre ou une inondation. S’il s’obstine à vouloir passer sur cette route parce que les flèches indiquent que c’est la bonne direction, il sombrera dans le cataclysme. Pour arriver à l’amour qu’il espère trouver au bout du chemin il lui faudra faire un détour et peut-être même plusieurs. Le code de la route donne une direction générale mais le désir de rejoindre un prochain à aimer donne un esprit d’initiative pour chercher des chemins de traverses ! Quand cet amour a sa source en Dieu, il trouve des capacités d’invention inépuisables !

Christine Fontaine

1- Pittacos de Mytilène5 (640-568 av. J.C.) / Retour au texte
2- Udana-Varga 5:18 (environ 500 av. J.C.) / Retour au texte
3- Mahabharata (5:15:17) (environ 500 av. J.-C.) / Retour au texte
4- Reprise d'une homélie d'Antoine Delzant / Retour au texte


Où donc est Dieu ?

Qui donc est Dieu ?

Nous connaissons tous des hommes ou des femmes qui ont perdu la foi parce que leur prière n’a pas été exaucée. On avait supplié Dieu pour la guérison d’un proche, nous avions confiance à la possibilité du miracle et le ciel est resté sourd à nos appels. Il arrive souvent que cette déception se double d’un sentiment d’injustice. Pourquoi tel personnage au comportement douteux semble-t-il préservé alors que le malheur s’abat sur des justes irréprochables ? Qui donc est Dieu ? Où est Dieu que nous puissions nous tourner vers Lui pour nous faire entendre ?

De telles questions sont anciennes : elles sont au cœur du livre de Job. Celui-ci refuse les explications de ses amis venus l’entourer aux heures de grande détresse : non, sa misère n’est pas le prix d’un péché secret. A vue humaine, elle est injuste. En fin de compte, YHWH Dieu approuve les protestations de Job : « Lui seul a bien parlé de moi. » Job a compris, en effet, que YHWH ne pouvait être enfermé dans les images qu’on se faisait de Lui.

Pour antique qu’elle soit, cette question de Dieu a rejailli dans le monde juif à propos de la Shoah. Pourquoi Dieu est-il resté silencieux pendant qu’on exterminait le peuple avec qui il avait fait alliance ? Mais à quoi bon relancer la question à laquelle Job avait répondu ! Plutôt que d’interroger Dieu, écoutons son silence. Un philosophe juif, Hans Jonas, présente Dieu comme se mettant à l’écart de l’être de sa créature ; Il livre celle-ci aux lois du monde mises en place lors de la création , laissant l’homme libre d’orienter l’univers selon sa volonté. Dieu ne se sépare pas de sa création mais refuse de se confondre avec elle.

Nous, chrétiens, nous ne sommes pas loin d’une pareille conception. En Jésus, Dieu se dépouille de sa Seigneurie, prenant la forme d’esclave, livré sans résistance aux mains de ceux qui le persécutent. Mais en quittant ce monde, Jésus n’abolit pas la proximité du Père (« mon Père et votre Père ») et il laisse à ses amis le soin d’agir : « Vous ferez des choses plus grandes que les miennes ». Au fil de son existence sur les routes de Palestine, au hasard des circonstances, il prononce des paroles qui éclairent le mystère. « Qu’est-ce qui commande la vie que Dieu attend de l’humanité ? Quel est le grand commandement dans la loi ? » Telle est la question à laquelle Jésus est invité à répondre et qu’il convient de méditer.

L’amour ne se divise pas

La réponse de Jésus est trop connue pour nous surprendre. Pourtant elle bouleverse notre vision de Dieu et du monde sans que nous en prenions conscience. Quoi qu’on dise, notre façon d’entendre divise l’amour. On aurait d’un côté un maître souverain, dans les hauteurs, cause suprême de tout ce qui existe, qu’il convient de reconnaître, d’honorer, à qui il convient d’obéir et de se soumettre. D’un autre côté, au contraire, on aurait à faire face à la détresse d’un proche, tout entier dépendant du service que nous pouvons lui apporter pour le sauver. A la question du Docteur de la Loi, Jésus insiste pour dire qu’il n’est qu’une façon d’aimer : les deux commandements sont semblables. En réalité, la tentation, quand nous lisons le texte, est d’opposer une relation de dominé à dominant qui supplie qu’on lui fasse grâce. Ce serait l’amour dû à Dieu. Il ressemble à l’amour de l’enfant qui se tourne vers ses parents pour obtenir leurs faveurs. A cet amour impliquant domination s’oppose la maîtrise de celui qui, en pleine force, répond aux demandes d’un prochain plongé dans la détresse.

Une confusion malheureuse

Où donc est Dieu ? On a le malheur d’avoir confondu le compagnon qui fait alliance avec Abraham et la Cause première des philosophes, principe d’explication, cause des causes. La cause première est loin de nous ; celui qui fait alliance avec nous est au plus intime de chacun. Sans se confondre avec nous, autre que le monde où il nous rejoint, il agit lorsque nous nous laissons prendre à l’amour de l’autre. Aimer autrui est réponse au commandement de l’Autre : la tendresse qu’un autre nous exprime, l’appel de l’homme ou de la femme, l’appel d’un enfant, l’appel d’un peuple opprimé est la façon dont le Dieu de Jésus s’adresse à nous. Que nous en soyons conscients ou non, répondre à l’amour de celui ou celle qui nous tend les bras, répondre à la pitié du pauvre ou du malade, revient à se soumettre au commandement de celui que Jésus désigne comme « le Seigneur ton Dieu ».

Où est Dieu ? Il n’est pas loin de nous, autre que nous mais avec nous, Emmanuel ! Il nous appelle et nous pouvons l’appeler. Nous avons raison de supplier un miracle ou une guérison : c’est une façon d’affirmer qu’il n’est pas loin de nous. Mais c’est se leurrer que de penser qu’il peut réagir comme un principe provoquant un effet. C’est surtout oublier que les situations de détresse que nous traversons sont des appels à l’amour et que ces appels sauvent le monde.

Michel Jondot

Quand le prochain est un familier

Tu aimeras ton prochain

«Tu aimeras ton prochain comme toi-même» et, ce jour-là, le prochain de Jésus c’est le docteur de la Loi qui, au nom de tous les pharisiens réunis, lui pose une question.

Etre mis à l’épreuve, être mis en doute, être faussement accusé par un étranger, c’est toujours douloureux. Mais, ce jour-là, c’est un membre de sa propre famille, un membre du peuple de Dieu, qui se méfie de Jésus, cherche à le faire tomber, veut le discréditer ! Un docteur de la Loi, de cette loi que Dieu, avec tant d’amour, a donnée aux hommes pour les maintenir en alliance, cherche un motif pour condamner Jésus. Un docteur de la Loi, accompagné de plusieurs pharisiens, l’entourent. Jésus est entouré d’ennemis. Et ces ennemis font partie de sa propre famille. « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » Les pharisiens ont Jésus comme prochain et ils veulent le chasser de leur famille. Jésus se laisse approcher par les pharisiens et il les aime comme lui-même.

Tu l'aimeras comme toi-même !

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Nous avons parfois une manière d’aimer notre prochain qui consiste à refuser de voir le coup qu’il nous porte. Nous disons que nous n’avons pas d’ennemis. Nous préférons ne pas voir que l’autre nous fait mal ou qu’il agit mal plutôt que de recevoir le coup de plein fouet. Jésus est lucide. Il voit fort bien ce qui pousse ces hommes à l’interroger. Il sait qu’ils ne cherchent pas à être enseignés. Il connaît leur cœur et il voit qu’ils ne renonceront pas à le faire mourir. Ces prochains de Jésus sont des ennemis et il le sait.

C’est pour cette humanité marquée par la méfiance, la délation, l’accusation injustifiée, que Jésus vient. Il se fait proche de nous, notre prochain. Et, au milieu des hommes, il rencontre incompréhension, mépris, indifférence, haine, condamnation, exclusion. Mais cette pauvre humanité où Jésus ne rencontre bien souvent que des ennemis, est aimée, bien aimée du Père. Jésus nous le révèle.

Jésus aime le Seigneur son Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. Il est un seul cœur, une seule âme, un seul esprit avec son Père. Il ne fait qu’Un avec lui. Avec son Père, totalement uni à lui, il demeure dans l’Amour entouré de tant d’ennemis qu’il décèle. Jésus fils de Dieu se fait homme pour que les hommes puissent devenir fils de Dieu. Telle est la volonté du Père et la sienne. Il veut que ses prochains connaissent le Père comme il le connait. Il veut en faire d’autre «lui-même». De ses ennemis, Jésus veut faire ses frères. Il veut leur donner sa vie.

Tu l'aimeras comme Dieu l'aime

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même.»
Ce pharisien, ce docteur de la loi qui met Jésus à l’épreuve est bien aimé du Père. C’est pour le lui révéler que le Fils de Dieu s’est fait humain. Dieu déteste le pharisaïsme, l’hypocrisie, la délation et la méfiance. Il les décèle au cœur de chacun. Et Jésus en est toujours la première victime. Ils le touchent de plein fouet, d’autant plus que celui qui les commet est proche de lui. Dieu déteste le pharisaïsme parce qu’il aime les hommes: il a créé l’humanité pour qu’en elle l’Amour commande, et non pour que la haine nous plonge dans les ténèbres. Là où il n’y a pas d’Amour, Dieu met de l’Amour. Il aime ceux qui ne l’aiment pas. Il dure et il demeure entouré d’ennemis plutôt que d’abandonner cette humanité à sa propre bêtise.

Dieu est Amour et il ne peut se renier lui-même. Il ne peut qu’aimer, patienter, et par le Christ, endurer tous les coups que lui porte l’humanité. Par Jésus Christ, homme parmi les hommes, l’amour triomphe de la haine et de la mort. Par amour pour nous, il nous commande : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.»

Aime ton Dieu, dit Jésus au nom de son Père, aime l’Amour, au lieu de sans cesse le mettre à l’épreuve. Aime-le de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, chasse – ou plutôt laisse-moi chasser pour toi – toutes ces pensées malsaines. Laisse-moi te remplir d’amour, te remplir de la vie de Dieu. Et à ton tour, tu aimeras tes ennemis comme je les aime moi-même. Tu demeureras dans l’Amour au milieu des hommes qui te mettent à l’épreuve, tu seras lucide et tu repèreras l’ennemi. A ma suite tu en seras vainqueur!

Christine Fontaine