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32ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 12, 38-47

Dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d'honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. »

Jésus s'était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait la foule déposer de l'argent dans le tronc. Beaucoup de gens riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s'avança et déposa deux piécettes. Jésus s'adressa à ses disciples : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre. »

Un certain regard
Michel Jondot

Des voleurs honnêtes
Christine Fontaine

Des yeux pour voir
Michel Jondot


Un certain regard

Le temps de l’inquiétude

L’Eglise de France est-elle en voie de disparition ?

Certes, malgré des pages très sombres de son histoire, on peut être fier de son passé. Elle compte des saints, des artistes nourris de l’Ecriture ; des intellectuels ont su adapter l’Evangile à la morale et à la pensée de leurs temps. Ils ont enrichi la culture de l’Occident. De nombreuses églises, dispersées dans tous les pays, témoignent de la foi de nos pères.

On dit d’elle qu’elle est le corps du Christ. Les récentes révélations de pédophilie manifestent que ce corps est bien malade. On dit encore qu’elle est le nouveau Temple : hélas, le nouveau Temple se vide.

Faut-il désespérer ? Quel regard porter sur la situation ?

Ecce homo

L’Evangile de ce jour parle de Jésus. Le voilà corporellement dans le Temple de Jérusalem et il ouvre les yeux : « Jésus était assis dans le Temple, en face de la salle du Trésor » et il regardait la foule. C’est de son regard qu’il est question, d’un bout à l’autre du texte de ce jour. Il sait bien ce que cachent les beaux vêtements des scribes, le clergé de cette époque : ces hommes sont corrompus malgré les grands airs qu’ils se donnent, les honneurs qu’ils attendent et le respect qu’on leur porte.

Le Temple suscite l’admiration. Il était superbement orné, nous dit St Luc et on se complaisait à en contempler les murs. Ce ne sont pas les pierres que regarde Jésus mais ceux et celles qui habitent les lieux : ils entrent et sortent. Au passage, ils s’arrêtent devant le lieu appelé « Le Trésor », où ils sont sollicités pour contribuer aux frais d’entretien du Temple. Beaucoup sont généreux : « des riches mettaient de grosses sommes. » Mais c’est « une pauvre veuve » qui retient le regard de Jésus.

Ses réactions sont étonnantes. Il ne reproche pas aux riches d’abandonner cette pauvre femme à son sort. Il ne s’apitoie pas sur elle : il l’admire ! « Il appela ses disciples : Amen, je vous le dis, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » A ses yeux, en effet, cette femme est une belle figure de cette humanité qu’il est venu épouser. Il se reconnaît en elle : elle est pour lui comme un miroir. Ses amis le comprendront lorsque, plus tard, après la Résurrection ils se souviendront qu’au moment où il était lui-même dépouillé de tout, on en appela au regard des foules en leur disant : « Regardez l’Homme ; Ecce Homo. »

Le miroir de la pauvreté

« Riches ou pauvres, a écrit le chrétien Bernanos, regardez-vous donc plutôt dans la pauvreté comme dans un miroir car elle est l’image de votre déception fondamentale, elle garde ici-bas la place du Paradis perdu, elle est le vide de vos cœurs, de vos mains. »

La pauvreté dont parle ici le romancier, en effet, est cette dépossession dans laquelle s’était retrouvé le premier couple lorsqu’il fut chassé de l’Eden, écarté de ce qui le comblait, vidé mais non désespéré. L’avenir leur était promis. Au lieu même de ce vide dans lequel ils se sont retrouvés, Dieu appellerait encore. Malheureusement tout au cours des siècles on ne cesse de convoiter ce qui pourrait nous combler. De la sorte, nous nous cachons la vérité de notre condition. Puisque le Verbe de Dieu s’est fait chair pour assumer cette pauvreté fondamentale, n’ayons plus peur.

Le Temple de Jérusalem ne manquait pas de grandeur. Sa chute était inévitable puisque sa richesse cachait autant la vérité de Dieu que la vérité de l’homme. L’Eglise, nouveau Temple, a jailli par-delà cette pauvreté. Les siècles ont fait d’elle, hier, une puissance politique. Elle essaie aujourd’hui désespérément d’imposer sa morale. Certes, il est triste de la voir s’appauvrir ; Jésus lui-même était triste en entrant dans la ville du Temple : « Voyant Jérusalem il pleura. » Mais, plutôt que d’espérer retrouver son prestige, souvenons-nous des promesses de Jésus : « Le ciel et la terre peuvent bien s’écrouler, mes paroles ne disparaitront pas. » Ces paroles sont un appel et une promesse : efforçons-nous de les entendre.

Rappelons enfin les paroles de Paul aux premières Communautés de Corinthe : « Le temple de Dieu est sacré et ce Temple c’est vous. » Quoi qu’il en soit de l’avenir d’une Institution, reconnaissons la vérité fondamentale de notre condition et apprenons à en vivre.

Michel Jondot


Des voleurs honnêtes

La justice des hommes

Les lois de nos sociétés humaines nous ont appris à considérer que nous sommes honnêtes – si nous ne prenons pas le bien d’autrui. Celui qui se contente de ce qu’il possède – quel que soit le montant et la nature de sa fortune – n’est pas un voleur. C’est la loi dans nos sociétés.

Les scribes dont parle Jésus ne peuvent pas être considérés, selon nos lois humaines, comme des voleurs. Cependant Jésus les traite bien ainsi : « Ils dévorent les biens des veuves », déclare-il.

Les scribes de l’Evangile agissent en toute bonne conscience. Ils sont convaincus d’être des gens honnêtes. Sûrement aucun d’eux n’irait voler dans la bourse d’une pauvre veuve. Une telle pensée ne peut leur venir à l’esprit. Les scribes de l’Evangile dévorent les biens de veuves en toute honnêteté. Ce sont des voleurs honnêtes.

Convaincus d’être honorables ils considèrent comme normal d’être honorés. Ils verraient d’un mauvais œil de ne pas être reconnus comme profondément respectables ces « passants honnêtes » dont Brassens chantait « le regard oblique ». Ils portent tous les signes de cette dignité qui leur est due. Ils considéraient qu’on leur volerait la place d’honneur si on ne la leur accordait pas dans les dîners. Les scribes de l’Evangile ne sont pas des voleurs et n’entendent pas être dépouillés.

L’injustice

Les scribes, dans le peuple juif, étaient chargés d’aider les croyants à pratiquer la loi que Dieu avait donnée. On venait les consulter lorsqu’on hésitait sur telle décision à prendre. Ils étaient au service du peuple pour aider à discerner ce que Dieu voulait. Dieu avait donné sa loi gratuitement au peuple pour le guider à travers les difficultés de la vie. Et parce que Dieu avait agi gratuitement il était strictement interdit à ceux qui faisaient connaître cette loi – scribes et docteurs de la loi – de se faire payer pour ce service rendu. L’interdit était si fort qu’il eût été sacrilège de le violer. Ces scribes dont parle Jésus se contentent simplement de le contourner. Ce sont des voleurs, déclare Jésus, ils volent l’honneur qui revient à Dieu. Ils tiennent à sortir en robe solennelle, ils aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners. Ils trouvent bienséant d’être honorés par tous puisqu’ils font l’honneur à tous de leur communiquer les Ecritures ! Au lieu de rapporter tout honneur et toute gloire à Dieu qui fit don de sa loi, ils s’en arrogent le prestige !

Les scribes ne se contentent pas de voler la gloire qui revient à Dieu, ils volent aussi le peuple : ils ne se font pas payer leurs services mais ils savent faire comprendre au peule – et aux pauvres dans le peuple - qu’il serait malséant de ne pas honorer leurs services en leur faisant des dons. Les scribes dont parle Jésus sont doublement voleurs.

La justice de Dieu

Jésus s’étant assis dans le Temple vit une pauvre femme mettre dans le tronc tout ce qu’elle avait pour vivre.

Cette pauvre femme trouve normal de tous donner pour Dieu, pour le service du Temple. Les scribes et les docteurs de la loi trouvent normal de tout recevoir. « Ils seront d’autant plus sévèrement condamnés ! »

Comme les scribes dont parle Jésus dans cet évangile, nous agissons souvent comme des voleurs honnêtes ! Lorsque nous avons une quelconque nous considérons comme un dû d’être honorés comme il convient. Nous oublions que cette compétence nous a été donnée par Dieu et l’honneur doit lui être rendu : nous volons la gloire qui revient à Dieu.

Lorsque nous avons le privilège d’avoir un emploi et un salaire qui correspond à nos services et nos compétences, nous trouvons que c’est justice. Réjouissons-nous, bien sûr. Mais la justice doit dépasser celle des scribes. Il est une façon d’user de l’argent, le Pape François ne cesse de le montrer, qui est une insulte à l’Evangile. Jésus conduit, en ce temps de mondialisation, à inventer une justice où la vie et la dignité de chacun soient honorées. Ceci pour la plus grande gloire de Dieu.

Christine Fontaine

Des yeux pour voir

Le danger des images

L’esprit de nos contemporains est plus rempli d’images que d’idées. Nous sommes saturés par la télévision ; chaque Français y consacre chaque jour un nombre d’heures impressionnant. Dans les rues de nos villes les regards sont retenus par mille publicités dans un intérêt commercial évident.

Jésus vivait dans une civilisation moins agressive à ce point-de-vue ; ce qui ne l’empêchait pas d’être agacé devant l’accoutrement de certains personnages qui voulaient en mettre plein la vue. Avec un mélange d’humour et de méfiance, il parlait de ces scribes, par exemple, qui s’habillaient de façon ostentatoire, non pour des raisons religieuses mais par intérêt personnel ; il s’agissait d’attirer les regards, d’affirmer sa position sociale, d’imposer le respect, de se complaire dans les salutations flatteuses à leur égard sur la place publique. A la synagogue, lors des célébrations du sabbat ou lors des repas officiels ils s’imposaient aux yeux de tous pour offrir une image d’eux-mêmes aussi flatteuse que possible. S’ils n’avaient été que ridicules, Jésus aurait eu pitié d’eux ; en réalité il les considérait aussi dangereux que des loups féroces : « Ils dévorent le bien des veuves ! ».

Jésus savait regarder. Il ne se laissait pas fasciner par ceux qui s’imposaient de la sorte. Il ne manquait pas de déceler l’originalité de chacun en particulier parmi les plus humbles, les plus cachés. S’il perçoit le danger qui menace les veuves c’est qu’il ne manque pas l’occasion de les observer. Juste après avoir rapporté les propos de Jésus sur ces personnages « en robes solennelles », Marc nous montre Jésus en situation d’observateur. Le voici dans le temple, assis, et il regarde la foule passer devant le tronc où l’on mettait de l’argent. Il n’était pas difficile de remarquer les personnes fortunées étaler leur générosité. Mais peu sans doute étaient capables de repérer, comme Jésus l’a fait, l’effacement de cette veuve qui ne puise pas dans ses richesses pour tirer les deux piécettes qu’elle dépose dans le Temple. L’évangéliste a cette formule mystérieuse ; elle a pris sur ce qu’elle n’avait pas, « elle a pris sur son indigence ». Belle manière de dire que l’acte de donner, le fait de donner est plus vital que l’objet que l’on donne. Aura-t-elle demain de quoi se mettre quelque chose sous la dent ? Là n’est pas la question qui lui est posée. Elle est invitée à donner : elle répond et, ce faisant, s’inscrit, sans doute inconsciemment, dans la cohérence de Jésus.

Jésus sous le regard des foules

C’est bien la cohérence de Jésus que ce texte nous prépare à comprendre. Marc écrit ces quelques phrases peu avant de nous introduire dans cette fameuse Semaine qui donne son sens à l’existence de quiconque se veut disciple de l’Evangile. A l’issue d’un procès bâclé, le Maître sera, à l’opposé de ces scribes en parures luxueuses, dépouillé de ses vêtements. Contrairement à ces notables que la foule salue chapeau bas, Jésus sera hué par la racaille, méprisé par tous. Les scribes sont au premier rang dans les synagogues et les rencontres officielles ; Jésus, pour sa part, se trouve, comme il l’avait dit « à la dernière place ».

Dans ce contexte, on comprend un peu mieux le sens de la phrase mystérieuse concernant la veuve dont on dit qu’elle donnait de son indigence ; elle donnait à partir de ce qu’elle n’avait pas : ce qui semble contradictoire ! En réalité Jésus est beaucoup plus indigent que la femme à l’obole modeste ; il n’a pas même un sou, pas même une poche pour en tirer la moindre piécette. Jésus n’a vraiment rien à donner mais il manifeste le don à l’état pur. Autre chose l’objet qu’on donne, autre chose l’acte de donner. En Jésus ne reste plus que l’acte de donner, le don à l’état pur mais aussi – et cela échappe au regard de la foule  – l’acte de donner à la multitude, de donner et de pardonner. Pour celui qui ne se laisse pas fasciner par les images, celui qui laisse la foi éclairer son regard, la réalité de la vie – qui est aussi la réalité de Dieu révélée en Jésus – est le lieu où tout se donne et où tout est donné et pardonné. La seule réalité, dans la vie, est ce qu’on appelle la grâce. Le reste n’est que du spectacle.

Ouvrons les yeux

Souhaitons que cet Evangile nous ouvre un peu les yeux. Qu’il nous rende lucides sur ce que nous considérons comme des réussites humaines. La vraie vie n’est pas celle qui peut s’étaler et susciter l’admiration ; elle n’est pas à contempler chez les puissants que les foules applaudissent. Je m’empresse de préciser que parmi ceux qu’on appelle les grands, il peut y avoir cette lucidité dont je parle : on peut avoir de lourdes responsabilités et n’être pas dupes des apparences. Mais reconnaissons que la beauté de toute vie tient au fait qu’elle est donnée et qu’elle est à recevoir. Reconnaissons-le, si nous sommes croyants là où la vie circule, fût-ce dans des conditions difficiles, le don qui est là et il appelle la reconnaissance : elle manifeste la générosité de Dieu aux jours de la croix et de la Résurrection.

Souhaitons que cet Evangile nous ouvre aussi les yeux sur nous-mêmes. Il est légitime d’être fiers de ses réussites humaines mais il est dangereux de s’y complaire. Là n’est pas la beauté de nos existences. On peut comprendre aussi qu’à certaines heures de sa vie, on soit déçu par ses échecs ou par ses fautes. On peut comprendre mais il est dangereux de se complaire dans les regrets. Toute limitée qu’elle soit, la vie est là : ouvrons les mains pour la recevoir et rendons grâces !

Michel Jondot