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4ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
Mt 5, 1-12

Quand Jésus vit la foule, il gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent.
Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :

« Heureux les pauvres de coeur :le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
Heureux ceux qui pleurent :ils seront consolés !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice :ils seront rassasiés !
Heureux les miséricordieux :ils obtiendront miséricorde !
Heureux les coeurs purs :ils verront Dieu !
Heureux les artisans de paix :ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice :le Royaume des cieux est à eux !
Heureux serez-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Nouvelle homélie :
Ayons de l’ambition
Christine Fontaine

Autre homélie :
"Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse !"
Michel Jondot


Ayons de l’ambition

Le bonheur ni au ciel ni sur terre !

Il y eut un temps dans l’Église, nous dit-on, où ce texte des béatitudes fut utilisé pour faire taire la révolte des masses. On disait aux pauvres de se réjouir de ne rien posséder sur la terre puisque le royaume des cieux leur appartient. On laissait pleurer les malheureux : leurs larmes annonçaient un avenir de consolation éternelle. Quant aux doux, on pouvait leur faire violence, on pouvait même voler leur bout de terre, puisque Jésus leur promettait de recevoir la terre entière en héritage. On invitait les miséricordieux à continuer de pardonner à leurs bourreaux dans l’attente d’une récompense pour plus tard. Les cœurs purs, ceux qui n’ont pas le cœur bouché par l’avarice, verraient un jour le Bon Dieu ; alors de quoi pouvaient-ils se plaindre aujourd’hui ? Et quel honneur plus grand pour les artisans de paix que d’être appelés un jour Fils de Dieu.

Il y eut, paraît-il, ce temps où les béatitudes furent interprétées ainsi. Mais il y eut un autre jour où certains se sont levés et ont dénoncé cette religion « opium du peuple ». Cette religion où le peuple a le devoir de tout supporter aujourd’hui en vue d’un bonheur pour demain, dans le ciel. Ceux-là ont montré aux pauvres que le discours sur la Montagne était pain béni pour les exploiteurs, dont les Grands de ce monde et ceux de l’Église faisaient partie. Alors des foules d’exploités se sont levées ; elles ont refusé d’attendre sur cette terre un bonheur toujours promis pour plus tard. Elles se sont battues parfois avec violence pour que justice leur soit faite dès maintenant, pour que la terre soit partagée équitablement entre tous dès aujourd’hui. Elles y ont cru, elles ont combattu jusqu’au sang… et on ne peut pas dire que ce fut concluant… Aujourd’hui les riches le sont de plus en plus et la misère des autres s'aggrave de plus en plus. La plupart des exploités ne mettent certes plus leur espérance dans le ciel, mais ils ne la mettent pas d’avantage dans un avenir qui chanterait sur terre.

À quoi bon !

Nous sommes ainsi passé d’un désenchantement d’une religion qui faisaient miroiter le ciel pour faire supporter le malheur ici-bas à un désenchantement de l’existence humaine sur la terre. Nous connaissons les méfaits d’une religion opium du peuple : nous ne pouvons plus nous contenter de vivre en espérant un bonheur pour demain au ciel. Mais nous connaissons aussi les méfaits du stalinisme ou du nazisme qui prétendaient chacun à leur manière procurer le bonheur dès maintenant. Nous sommes désabusés, désenchantés, sans grand espoir ni pour aujourd’hui ni pour demain.

« Le démon de notre cœur, disait Bernanos, s’appelle ‘À quoi bon !’ » À quoi bon se battre pour un monde plus juste ? À quoi bon vouloir que la douceur l’emporte sur la violence ? À quoi bon lutter pour que la justice ne soit pas sans miséricorde ? À quoi bon ! Et, progressivement, nous limitons nos ambitions à un entre-soi qui seul semble être à notre portée pour connaître un tant soit peu de bonheur. L’entre-soi peut être un nationalisme exacerbé : on nous fait croire alors que le malheur vient des autres. Il peut être un repli sur son clan ou sa famille : seul compte le bonheur de nos proches. Il peut-être enfin un repli sur soi-même : mon propre bonheur d’abord, dès maintenant et avant tout ! Et c’est le culte de l’individualisme. Nous n’ambitionnons plus le ciel mais nous n’avons pas pour autant d’ambition collective pour la terre.

Pour sortir de cette impasse, peut-être les croyants ont-ils à retrouver l’espérance que leur ouvraient les béatitudes. À ceux qui pleurent, qui choisissent la douceur et le pardon, aux artisans de paix, Jésus promet un avenir de bonheur… mais il ne précise pas si cet avenir sera sur terre ou dans les cieux. Simplement, il conjugue les verbes au futur : « ils seront rassasiés, ils seront consolés, ils seront appelés fils de Dieu… » Jésus indique aussi à ses disciples que cela n’arrivera pas sans qu’on les insulte, les persécute ou qu’on dise faussement du mal contre eux. Les lendemains qui chantent ne seront pas sans souffrance sur cette terre mais, à en croire Jésus, cette souffrance elle-même est bonne. Elle vient du désir de vivre et de faire vivre qui a sa source dans les cieux, en Dieu.

Le bonheur au ciel et sur terre

Peut-être faut-il réapprendre à ambitionner le bonheur du ciel pour avoir quelque ambition pour cette terre… Peut-être faut-il accepter de combattre dès maintenant sans se laisser arrêter par les échecs pour découvrir que le bonheur du ciel est déjà sur la terre… Peut-être l’espérance du ciel est-elle nécessaire pour construire un projet collectif de bonheur ici-bas…

Saint Paul écrivait aux Corinthiens : « Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espoir en Christ, nous sommes les plus misérables de tous les hommes. » (1Co 15,19). Pas pour cette vie seulement ne signifie aucunement que notre espoir sera toujours déçu sur la terre. Paul s’adressait à ceux qui étaient déjà tentés comme nous de penser « À quoi bon ». Il leur disait de tenir bon et de croire – sans forcément voir - que leur travail n’est pas vain.

Les béatitudes invitent les croyants à demeurer dans l’espérance sur cette terre. « L'espérance, écrit encore Bernanos, est une vertu héroïque. On croit qu'il est facile d'espérer. Mais n'espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu'ils prennent faussement pour de l'espérance. L'espérance est un risque à courir, c'est même le risque des risques. L'espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu'un homme puisse remporter sur son âme. » C’est cette victoire que le Christ, dans les Béatitudes, nous invite à remporter.

Christine Fontaine

"Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse !"

L'entrée dans le langage

Les psychologues nous apprennent comment l'humanité entre dans le langage. Le nouveau-né qui vient au monde ne parlera pas tant que ses lèvres resteront collées au sein maternel ou au biberon qu'on lui met dans la bouche pour qu'il se taise. Il faudra un arrachement à ce qui le comble et apaise sa faim pour qu'il trouve peu à peu les mots qui lui permettront de se tourner vers un visage humain et qu'il puisse demander à autrui ce qui répond à ses besoins. A la satisfaction de la nourriture va alors s'ajouter la joie de la rencontre d'autrui. Et viendra dans la vie de cet enfant le temps de la maturité où le langage dans lequel il aura appris à se mouvoir lui permettra non seulement de demander mais d'entendre des appels ; viendra le temps où il sera capable d'entendre une demande d'amour à laquelle il sera devenu libre de répondre. Quand on parvient à ce point, la terre où l'on se meut prend toute sa saveur.

Avez-vous remarqué la façon dont est encadré ce texte des Béatitudes que nous connaissons par coeur ?
Quand Matthieu présente la scène et raconte la prise de parole de Jésus, il souligne le mouvement des lèvres : « ouvrant la bouche ». On en viendrait presque à croire qu'il va se mettre à manger. On a tort, selon moi, d'arrêter le discours sur la dernière phrase que la liturgie donne à entendre. Il faudrait y ajouter au moins les quelques mots qui suivent les propos que nous avons entendus. Poursuivant le discours qu'on voit s'amorcer ici  le sermon sur la montagne, comme on dit  Jésus précise : « vous êtes le sel de la terre ».

Parler et demander

Comment mieux s'y prendre pour exprimer la béatitude que Jésus est en train de vivre ? La terre a de la saveur, la terre a du goût, elle respire le bonheur pour Jésus, parce que dans l'Evangile de Matthieu, il entre dans la vie où l'on parle vraiment, « la vie publique » ; il a sous les yeux les attentes des foules : « il vit toute la foule qui le suivait ». Jésus a quitté le désert voici peu ; il a choisi à peine quatre disciples et le voilà lancé; il traverse quelques villages et il rencontre les attentes des malades et tous ceux dont la seule raison de vivre est d'implorer, de chercher la main qui répondra à leurs appels. Quand Jésus rencontrera des nantis, des gens satisfaits, enfermés dans leur bonne fortune et leur bonne conscience, les scribes, les pharisiens, tous les gens qui n'ont rien à demander parce qu'ils ne doivent rien à personne pas même à Dieu tant ils sont vertueux, on le sentira frémir d'indignation.

Pauvres gens, en effet ; ils passent à côté des Béatitudes et de la vie ceux qui n'ont rien à attendre. Heureux ces pauvres qu'il croise sur son chemin ; ils ont à recevoir. Heureux même ceux qui pleurent : ils sont à la recherche de ceux qui les sortiront de leur chagrin et trouveront les mots que l'on cherche à prononcer quand on se trouve devant un ami en deuil. Les pleurs, souvent, font naître l'amour. Heureux ceux qui échappent à la violence mais qui savent frapper à la bonne porte pour obtenir le droit à un gîte. Heureux ceux qui savent entendre leurs demandes plutôt que de laisser la violence s'instaurer pour demander justice ; autrement dit : « heureux les doux, ils possèderont la terre » ! Oui, heureux sont-ils ! Ils habitent le langage et pour eux la terre est plus humaine que celle de ce riche dont la porte reste close alors qu'il verrait s'épanouir un sourire s'il acceptait de répondre aux demandes de son voisin. Heureux sont-ils : mieux vaut parler que de donner des coups.

La parole victorieuse

« Heureux les artisans de paix : ils seront appelés Fils de Dieu.» «Fils de Dieu»: là est peut-être l'expression qui permet d'entrer dans l'intelligence complète et de ce texte et de l'Evangile en son ensemble. Cette page est le début du premier grand discours de Jésus. Il faut attendre la fin de l'histoire pour en comprendre le sel. Juste avant d'entrer dans Jérusalem pour y être arrêté et prendre la dernière place, celle du pauvre, Jésus prononce un dernier discours que vous connaissez par cSur : « J'avais faim... » Jésus est la parole qui prend chair ; Dieu se manifeste partout où la chair fait appel à autrui. Entrer dans le travail de la parole où l'on cherche à s'entendre, à s'appeler et se répondre, partout où l'on parle en vérité, on devient « fils de Dieu », on reçoit l'héritage de Dieu : « venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume.»

A travers la succession des siècles la parole a circulé, arrachant l'humanité à la sauvagerie ; elle a parfois été violentée, elle l'est encore et beaucoup auront souffert dans leur chair pour qu'elle triomphe. Mais la parole sera victorieuse ; elle transforme les hommes au point d'en faire les héritiers de Dieu ; elle fait les saints, tous les saints. Elle est là parmi nous à la fois comme une invitation et une promesse, invitation à la joie et promesse de joie et de victoire : « réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse ».

Michel Jondot