Sauver la maison
Triste conformisme!
Les discours des hommes politiques sont souvent décevants ; on reconnaît très vite le parti ou la personnalité au nom de qui
ils s'expriment. Plutôt que de les entendre exprimer des idées neuves parce que personnelles, on les voit sombrer dans une
langue de bois qui ne relève pas l'espérance de leurs auditeurs.
Quelle morosité lorsqu'on se trouve devant un fonctionnaire très consciencieux. Il se conforme aux consignes de l'autorité
au nom de qui il agit ; il remplit dûment les formulaires qui conviennent : on n'a rien à lui reprocher.
On reste pourtant un peu sur sa faim ; quels soucis ou quelles joies cachent ce visage poli ? Quel désir l'anime ?
Une certaine façon d'agir « au nom d'un autre » gâche un peu la vie !
Triste morale
N'est-ce pas une évidence de ce genre qui fait parler Jésus ? Ses interlocuteurs n'ont-ils pas agi comme il le fallait :
« n'est-ce pas en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? »
Ils mettent en avant un comportement qui veut ressembler à celui de Jésus ! Mais agir « au nom de Jésus » ne consiste
pas à reproduire ce qu'il a fait. Vivre en son nom conduit à entrer dans le mystère de la parole. Au moment où Jésus parle,
vivre conduit à prêter l'oreille à celui qu'ils ont sous les yeux : « Tout homme qui écoute ce que je dis là ressemble à un
homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc ». Au début de l'Evangile de Jean, on nous dit que « la Parole » est venue
« planter sa tente » parmi nous. Dans le contexte d'aujourd'hui, Jésus parle de « Maison ». Dans les deux cas, il s'agit
d'un lieu à habiter. Lorsque la foule écoute ce que Jésus est en train de dire, elle « habite » la Parole.
On dira que cette attitude est bien passive ; c'est oublier que l'écoute conduit à l'action : « Celui qui écoute...
et qui met en pratique ». Mais la pratique est celle qui naît de l'écoute et non d'une prescription. Les disciples n'ont pas
reproduit ce que faisait Jésus ; ils ont prêté l'oreille aux attentes de l'entourage et ceci les a conduits bien loin. Simon,
sans doute, était au nombre des interlocuteurs du discours que la liturgie fait entendre aujourd'hui. Une fois son maître parti,
à force d'avoir prêté l'oreille aux propos de ceux qu'il rencontrait pour y déceler la volonté du Père, il n'a pas manqué d'affronter
les tempêtes et la Colère de Néron l'a conduit à la mort. Mais la parole était sauvée et l'Eglise pouvait naître ; la parole de
l'autre est le roc où se construit la maison de Dieu. C'est sans doute pourquoi, de Simon qu'il était, l'apôtre est devenu Pierre.
Les siècles ont passé et la parole est venue jusqu'à nous. Elle prend souvent des allures de préceptes et l'Eglise a élaboré
une morale. C'est inévitable ; l'ensemble des chrétiens ne pourrait se reconnaître si un certain comportement ne le distinguait
de la masse de ses contemporains. Mais la morale est humaine et le salut proposé par Jésus n'est pas le fruit d'une morale ;
en lisant l'Evangile, on ne le voit jamais attribuer des prix de vertu. En écoutant les propos de ce jour, on le voit se moquer
de ceux qui, comme lui, ont agi en bons prophètes ou ont fait des miracles en chassant les démons !
Joyeuse écoute
En réalité, l'important n'est pas la volonté de celui qui dit « Seigneur ! Seigneur ! » L'important consiste à
entendre la volonté du Père. Là, en effet, réside l'originalité chrétienne. Lorsqu'on prête attentivement l'oreille
aux appels d'un autre, lorsqu'on fait taire en nous le brouhaha intérieur et lorsqu'ainsi on découvre des appels auxquels
on peut répondre, à coup sûr on discerne la volonté du Père. Il ne s'agit pas de bien faire, mais de bien entendre et de bien répondre.
Si François d' Assise s'était contenté d'être un bon fils soumis, comme le veut la morale familiale, il n'aurait pas
entendu les blessures d'un monde que l'argent commençait à déchirer et la pauvreté aurait sans doute perdu sa saveur
évangélique. Si Vincent de Paul était demeuré le bon prêtre soumis à son roi très catholique, il n'aurait pas entendu
la détresse des mères abandonnant leurs enfants.
Les autorités catholiques ont peur aujourd'hui ; on reprend souvent les choses en mains et on condamne une certaine morale
familiale. On a peur que l'Evangile s'affadisse et on nous demande de promouvoir « une nouvelle évangélisation ».
Cette demande est à honorer, bien sûr. Mais il ne suffira pas qu'on en vienne à dire plus fort que jamais « Seigneur !
Seigneur ! ». Il conviendra surtout de prendre au sérieux les tout premiers mots prononcés par les Evêques du monde
entier lorsqu'au Concile Vatican II, ils ont abordé la Constitution sur la « Révélation ». Ils s'y affirment « religieusement
à l'écoute de la Parole de Dieu ». Rappelons-nous seulement que cette parole prend chair et que notre humanité
donne à entendre la volonté du Père qui est aux cieux ».
Vivant alors « en son nom », nous verrons sans doute l'univers changer de visage !
Michel Jondot