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6ème dimanche de pâques

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 14, 15-21

A l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : " Si vous m'aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c'est l'Esprit de vérité. Le monde est incapable de le recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure auprès de vous, et qu'il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D'ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c'est celui-là qui m'aime ; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui."

« L’homme en procès »
Michel Jondot

« Vous me verrez vivant »
Christine Fontaine

Par-delà toute morale
Michel Jondot


« L’homme en procès »

D’un procès à un autre

Le sentiment d’être en faute semble indéracinable. Tous les hommes, peut-être, éprouvent d’une façon ou d’une autre, à un degré ou à un autre, un sentiment de malaise lorsqu’ils tentent de se juger. On connaît le célèbre roman de Kafka. Le héros se trouve, à son réveil, dans les mains de la justice, incapable de savoir de quoi il est inculpé et incapable de se justifier. Les appareils judiciaires sont tellement complexes qu’on a toujours l’impression qu’on a à se défendre comme si nous étions mis en « procès ».

Les paroles que nous réentendons aujourd’hui ont été prononcées par Jésus au moment où il allait être lui-même conduit au tribunal. Il apparaîtra, au milieu de l’interrogatoire chez Pilate, comme la figure de notre condition humaine : « Ecce homo. » A la fois innocent et condamné (« Je ne vois aucun motif de condamnation… Qu’il soit mis à mort ! ») Par-delà la sentence qui le conduit à la croix, est affirmée l’innocence que reconnaît le larron : « Pour nous c’est justice…mais lui n’a rien fait de mal. » La pâque est le passage de la mort à la vie. Elle est également sortie de la faute qui est une image de la mort. « Voici l’homme ». Grâce à Jésus, qu’il soit innocent ou délinquant, l’homme est avant tout gracié. En ce sens Luther a raison : l’homme est à la fois pécheur et juste, « simul peccator et justus ».

Le procès de Jésus est accompagné d’un autre. Le mot « Défenseur » ou avocat que Jésus promet d’envoyer, évoque la situation de l’inculpé devant ses juges. Nous sommes face à Celui qui « viendra juger les vivants et les morts ». Peut-être devant lui méritons-nous condamnation mais « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur ». Ce procès qui nous met devant le Père, en effet, est tout autre que celui qui a mis Jésus devant Caïphe et Pilate. Au milieu des nations humaines dont les lois font des justes et des délinquants, l’Évangile nous fait vivre dans une autre société où les délinquants ont droit de cité ; par-delà les fautes, grâce à l’Esprit qui prend notre défense, qui que nous soyons « nous pouvons nous tenir avec assurance devant Dieu ».

Une loi nouvelle

Tout ceci, bien sûr, suppose qu’au milieu des sociétés humaines qui condamnent nous acceptions les lois du Royaume où chacun est gracié. « Vous garderez mes commandements » ; dans ce même discours où il promet un avocat, Jésus parle d’un « loi nouvelle » : « aimez-vous les uns les autres. » En s’y soumettant nous devenons, à en croire Jésus, les familiers de Dieu. Face à Lui nous ne sommes plus des accusés : notre juge est notre Père. « Je ne vous laisserai pas orphelins… Celui qui reçoit mes commandements sera aimé de mon Père. »

D’un monde à l’autre, la frontière est aisée à franchir. Il suffit de regarder nos proches. Ils ont peut-être, à première vue, des torts à notre égard ou nous avons peut-être des reproches à nous faire à leur sujet. Trouvons le chemin qui nous conduit vers eux en oubliant les fautes des autres ou de nous-mêmes. Louis Massignon, un mystique du siècle dernier, disait qu’en chaque personne humaine se trouvait ce qu’il appelait « un point vierge » c’est- à dire ce qui en elle est l’objet de l’amour du Père. Si nos proches méritent nos accusations ou, au contraire, si nous sommes en dette vis-à-vis d’eux, prenons conscience de ce qui en lui reste nécessairement digne d’être admiré.

De la société où nous vivons à celle où nous conduit Jésus, le chemin est sans cesse à tracer. Nous avons à le chercher en ces temps d’élection. Qui, lors des prochaines législatives, sera le mieux capable de favoriser la paix sociale ? Il y avait quelque chose d’attristant, lors de la campagne présidentielle, de voir certains candidats se condamner mutuellement sans pitié. On peut aussi regretter les promesses de certains d’exercer une justice impitoyable. Certes, on comprend qu’il faille assurer la sécurité des citoyens mais on ne peut admettre que la dignité des coupables soit bafouée. Jésus affirme qu’on le rencontre en aidant les prisonniers : « J’étais en prison et vous m’avez visité. »

De l’Église au Royaume le chemin est indiqué mais le voyage est inachevé. Elle a sans doute raison de reconnaître ses manquements mais elle est invitée à se réjouir de ses faiblesses. Elle aussi, comme le reste du monde, mérite d’être sauvée ; lorsqu’elle reconnaît ses fautes, elle se doit de reconnaître à la fois son péché et la sainteté qui ne vient pas d’elle mais de celui qui envoie au monde un Défenseur. Toute repentance devrait s’accompagner d’une véritable action de grâces. Le Pape Jean XXIII, dans une homélie du jour de Pâques, disait à peu près ceci : « Pour un pape, le temps de Pâques est particulièrement beau. Il lui rappelle que, lui aussi, est un pécheur pardonné. »

Christ est ressuscité. Le péché et la mort sont dépassés. Que chacun, en s’interrogeant, quelle que soit sa vie, se réjouisse. En venir à la joie, par-delà nos fautes, est une victoire.

« Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. » Bernanos « Le journal d’un curé de campagne ».

Michel Jondot


« Vous me verrez vivant »

La vision

« D’ici peu de temps le monde ne me verra plus » dit Jésus.
Jusqu’à ce jour tout le monde pouvait le voir. Ils sont innombrables ceux qui, vivant en Palestine à l’époque de Jésus, l’ont rencontré, entendu et vu.

A Nazareth, pendant trente ans, Jésus menait une vie cachée mais tout le village le connaissait bien : c’était le fils du charpentier. Pendant les trois ans de sa vie publique, Jésus n’a pas caché qui il était. Des foules l’ont entouré, elles ont vu Jésus. Certains ont été guéris dans leur corps, leur cœur ou leur esprit. Les pharisiens et scribes le connaissaient aussi. Et, lorsqu’il était sur les routes, entouré de ses disciples, il ne passait pas inaperçu. Des centaines, des milliers d’hommes et de femmes ont vu Jésus.

« D’ici peu de temps le monde ne me verra plus, dit Jésus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez vous aussi. » D’ici peu de temps, un tri va se faire entre tous ceux qui ont vu Jésus. Seuls les disciples le verront vivant, pour tous les autres, Jésus sera mort et enterré. « D’ici peu de temps, dit Jésus, le monde ne me verra plus, le monde va m’enterrer, à peine serai-je un vestige du passé, un vestige dépassé, périmé. » Le monde est incapable de voir Jésus, il est trop occupé, trop préoccupé de lui-même, trop enfermé pour le recevoir. Le monde, en vérité, ne l’a jamais vu.

L’aveuglement

Ils venaient à Jésus, en grand nombre, durant sa vie publique. Mais que voulaient-ils, que désiraient-ils en venant voir Jésus ? Les uns étaient malades et désiraient la guérison. Ils obtenaient ce qu’ils voulaient et repartaient satisfaits… ils n’avaient pas vu celui qui les avaient guéris. Ce qu’ils attendaient, l’objet de leur attente, leur bouchait la vue. Ils étaient nombreux à être guéris par Jésus mais combien sont demeurés lorsqu’ils n’avaient – à vue humaine – plus rien à attendre de lui ? Des foules voulaient la guérison mais elles ne voulaient pas voir Jésus. Elles ne l’ont jamais vu.

« Si vous m’aimez, dit Jésus, vous resterez fidèles à mes commandements. » Le monde n’aimait pas Jésus. Il aimait la santé, les miracles, l’exceptionnel. A la place des miracles et de l’extraordinaire, Jésus ne laisse plus voir que le visage d’un homme de douleuralors tout « le monde » l’abandonne.

« Si vous m’aimez, dit Jésus, vous resterez fidèles à mes commandements. Moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre défenseur qui sera toujours avec vous : c’est l’Esprit de Vérité. » L’heure vient où les apôtres n’auront plus d’autres raisons de suivre Jésus que l’amitié qui les tient réunis, l'amour qu'ils ont pour le Maître. En les laissant orphelins, en disparaissant à leur regard, Jésus fait passer ses disciples par un dépouillement total. Ils n’ont plus rien à voir de lui. Seul demeure ce lien de respect et d’amitié profonde, cet amour qui se révèle dans la tristesse et va ressurgir dans la joie !

Le regard du cœur

« Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous », avait promis Jésus. Et il a tenu sa promesse. Après la résurrection seuls ceux qui étaient venus à Jésus pour lui-même, seuls ceux qui aimaient Jésus le voient et le reconnaissent ; ils voient avec le cœur. Leur cœur est purifié de tout attachement charnel, de tout intérêt personnel. Ils sont introduits et maintenus au cœur du mystère de Dieu. « En ces jours-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. » En ces jours-là, ils reconnaissent ce qui était invisible en Jésus, le mystère qui l’habitait. Ils voient qu’ils sont bien-aimés de Dieu. Ils aiment Dieu pour Dieu. Ils reconnaissent Dieu vivant au milieu d’eux.

Nous ne voyons plus Jésus marchant sur nos routes humaines. Nous désirons le suivre. Mais, souvent, notre regard est aveuglé. Comme les foules, nous allons vers Dieu pour en obtenir un avantage personnel, nous n’allons pas à lui pour lui. Si ce que nous demandons n’est pas obtenu nous prétendons que Dieu nous a laissés orphelins. Nous oublions de lever les yeux vers le Père, vers la source de tout Amour. L’Esprit nous est donné pour nous ouvrir les yeux, pour nous ouvrir le cœur. L’Esprit nous enseigne à aimer Dieu pour Dieu, à recevoir par surcroît tout le reste et – dans le même mouvement – à aimer tous les autres pour eux-mêmes.

Christine Fontaine


Par-delà toute morale

Pas de société sans justice

Le mot « repentance » est à la mode depuis quelques années. Prenant conscience de la passivité de l'Eglise au temps du génocide nazi, les évêques de France regrettaient publiquement à Drancy le silence de leurs prédécesseurs pendant les années 40. Devant les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, ils se devaient de parler et de plaider «coupable» devant le tribunal de l'histoire.

On parle aussi du tribunal de la conscience. Quand on a transgressé des interdits, grand est le risque de se condamner soi-même et de passer sa vie dans la mauvaise conscience : « Je ne me pardonnerai jamais d'avoir commis telle ou telle faute », dit-on parfois.

Aucune société ne peut vivre sans tribunal ; on ne peut vivre en société sans que les rapports entre les uns et les autres soient réglés par la loi et sans que fonctionne un appareil judiciaire chargé de sanctionner les infractions.

Un autre procès

C'est au moment de passer devant un tribunal de ce genre que Jésus prononce le texte qu'on vient de lire et c'est à la lumière de ce procès qu'il faut comprendre les paroles qu'on vient d'entendre. L'Evangile de ce jour montre l'endroit de ce que les débats devant Caïphe ou Pilate sont l'envers. Les mots qu'il prononce sont situés « au moment où Jésus passait de ce monde à son Père », à l'heure qui suit son dernier repas et qui précède l'arrestation au jardin de Géthsémani. Très bientôt Jésus sera face à ses juges, Anne, d'abord, le beau-père de Caïphe qui était grand-prêtre cette année-là, Pilate ensuite, au prétoire, le tribunal du procurateur romain. Aucun témoin à décharge ; nul pour présenter sa défense. L'innocent tombera sous le coup de la loi : « nous avons une loi et d'après cette loi, il doit mourir ».

Ce procès fait contraste avec les propos que Jésus prononce devant ses amis. Une loi - une loi nouvelle, mais une loi tout de même - est indiquée ; elle encadre le texte; on la trouve dès les premiers mots et elle ressurgit à la fin. « Vous resterez fidèles à mes commandements » : ainsi commence le passage que l'Eglise nous donne à méditer. A la dernière ligne, on fait allusion à «celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle ». Alors que Jésus est sans défense face à ceux qui vont le condamner, il promet un avocat à ceux qui se soumettent à sa loi : «avocat» ou «défenseur», c'est le sens du mot Paraclet qu'on trouve souvent dans les traductions. Le Maître se trouve seul par rapport à ses accusateurs. Les sujets du véritable procès annoncé seront au contraire accompagnés : « Je ne vous laisserai pas comme des orphelins... je reviens vers vous ». Au prétoire la loi conduit à la mort. A l'autre procès qu'on devine en filigrane aujourd'hui, les «commandements» conduisent à la vie : «...vous vivrez aussi » ; la promesse est claire. Au procès de Jésus, la loi met en présence des juges qui condamnent. Où conduisent les commandements dont il est ici question ? Ils mènent à celui que Jésus nomme «Père»: «Celui qui a reçu mes commandements sera aimé de mon Père ».

Une autre loi

Cette expression juridique du discours de Jésus doit nous aider à comprendre le mystère pascal que la liturgie continue à nous faire vivre. Il en va de la loi comme il en va de la mort. La vie humaine ne peut être pensée si l'on fait l'économie de la mort. La Résurrection de Jésus laisse entrevoir que par-delà ce noir passage un jour nouveau se profile aux regards du croyant. De même, la vie en société ne peut être pensée si l'on fait l'économie de la loi ; sans loi nous nous dévorerions. Vivre avec la loi c'est aussi vivre avec la faute qui est une figure de la mort. Certes la loi fait vivre mais pour rester « la loi » elle conduit à la condamnation. Elle ne conduit pas toujours le coupable au tribunal mais elle fait vivre dans la culpabilité. Le procès de Jésus nous montre le passage à une autre manière de vivre la loi. Par-delà toutes les raisons que nous avons de nous accuser ou d'accuser ceux qui nous offensent ou nous font peur, nous avons avec la loi de Jésus, la loi d'amour, la possibilité de nous réconcilier avec nous-mêmes ou avec autrui.

Cette force s'appelle « Esprit » ; l'Esprit de vérité. « Vérité » : encore un mot qui nous renvoie devant Pilate. « Qu'est-ce que la vérité ? » demande le gouverneur romain à Jésus. La vérité tient dans le fait de s'entendre. L'esprit est faussé quand il n'est pas capable d'entrer dans la cohérence de l'autre. Autrement dit, la vérité va avec l'amour. L'Esprit est cette force qui permet, en Dieu, que le Père et le Fils s'entendent. La mort de Jésus, au terme de son procès, est le don de ce lien qui nous fait entrer en société avec Dieu. Même si les lois humaines nous condamnent, même si « notre coeur nous condamne », même si nous méritons le châtiment, dans la société des hommes, nous croyons que rien ne peut nous séparer de la société de Dieu. Pâques nous conduit à croire que par-delà toutes les morales, par-delà tous les échecs, par-delà tous les motifs de repentance, l'Esprit, en nous, permet de reconnaître que non seulement nous sommes aimés mais que la Pâques du Christ nous rend, à chaque instant, capables d'aimer à notre tour.

Michel Jondot