Avec tous ceux qui aiment
Pour quelqu’un en fin de vie, qui a vécu de multiples expériences, comme tous ceux de ma génération, je ne sais pas si je fais partie de l’Eglise ; je sais que
j’appartiens à une communauté d’hommes, de femmes, de tous âges, de tous milieux, qui croient que Jésus nous a révélé l’Amour du Dieu créateur et nous a
proposé d’aimer comme Lui et Dieu nous aimaient.
Je sais aussi qu’il y a près de moi, autour de moi, ou loin de moi, des hommes, des femmes qui ne partagent pas cette foi en Jésus mais qui jouent
le même jeu d’amour fraternel pour les autres quels qu’ils soient. Ils croient parfois en Allah, en Vishnou ou en rien, comme le chantait Jean Ferrat,
mais, simplement, ils aiment et accomplissent des gestes de solidarité, de fraternité, d’amour. Ils forment une communauté sans le savoir et je me sens
tout proche d’eux comme ils se sentent, et me le disent, proches de moi. L’Esprit souffle où il veut et si je le leur dis, ils sourient ou,
comme la vieille Zorah, me disent : « Tu n’es pas loin d’Allah ! » ou encore, comme ce vieux militant C.G.T. : « Pourquoi tu prends pas ta carte ? ».
Au soir - au Grand Soir - de ma vie, je sais que j’appartiens à ces deux communautés ; je n’ai probablement converti personne à croire au Christ,
à croire en Dieu… je ne les ai convertis à rien. Nous nous sommes aimés et nous avons aimé, ce qui nous a conduits à être à l’écoute des autres. Ainsi ils m’ont
appris à aimer gratuitement, sans en attendre une récompense dans cette vie ou dans l’Autre en laquelle je crois. Je crois que dans cet autre Espace-Temps où j’entrerai,
j’y serai avec des hommes et des femmes comme eux, comme elles. Et si c’était... l’Eglise.
L’Eglise… ma famille !
L’Eglise, c’est aussi pour moi cette communauté de personnes baptisées, se disant croyantes en un Dieu trinitaire et particulièrement en Jésus-Christ,
fréquentant plus ou moins les églises au rythme des fêtes ou des dimanches et s’efforçant de suivre avec d’inégales fidélités les commandements de Dieu et
de l’Eglise… Cette Eglise, c’est… ma famille.
Il y a les autres avec qui je me sens bien, ces hommes, ces femmes, ces jeunes qui disent ne croire en rien ou presque, qui ont quitté l’Eglise ou ne l’ont
jamais connue mais qui, chaque jour, font des gestes simples d’amour, de solidarité, de fraternité. Comme cette vieille dame qui, malgré ses grosses jambes
lourdes, monte chaque jour le journal ou un bol de soupe au vieil homme de l’étage au-dessus. Comme Marc, le vieux clochard ivrogne, à la sortie de la messe
qui m’a refusé un billet de 5 euros parce que des pièces, c’est plus facile à partager avec le copain malade et qui n’a pas pu venir… Pour moi, ceux-là ce sont... mes amis.
La différence est d’importance : la famille, je ne l’ai pas choisie mais elle m’est imposée par une communauté de croyance en Jésus-Christ. Les amis,
contrairement à la famille, on les choisit.
Dans l’Eglise, il y a des hommes et des femmes qui sont non seulement des parents aussi proches que mon père ou ma mère mais aussi des amis : Varillon, Madeleine
Delbrel et tant d’autres… dont le nom t’est sûrement inconnu… il y a toi qui me lis aujourd’hui et ceux que je rencontrerai demain. Il y a ces hommes, ces femmes,
avec qui, chaque dimanche, au cours de l’office, nous nous souhaitons la paix du Christ et qui, au fur et à mesure, me sourient chaque fois davantage. Ils sont
tous mes frères et mes amis. Mais il y a aussi les autres membres de la famille, ce vieil oncle égoïste et ronchon, cette cousine à la cuisse légère, le beau-frère
Front National qui reçoit la communion à genoux… sans oublier, les parents haut-placés, évêques, cardinaux et même pape….On ne se fréquente guère mais on reste
parents… on pourrait dire « hélas »!
Les amis, personne ne me les a imposés et, malgré nos différences, je me sens bien avec eux car, au-delà de ces différences, il y a des valeurs que nous avons
en commun telles que l’amitié, la solidarité, la certitude que chacun d’entre nous a une grande valeur pour les autres. Certains connaissent l’Eglise et l’ont
abandonnée… à moins que ce ne soit l’Eglise qui les ait abandonnés ; d’autres en connaissent une autre ou un autre Dieu ; d’autres sont trop malheureux, trop
drogués ou trop seuls pour se poser la question. Je leur appartiens aussi comme ils m’appartiennent.
Et, pour moi, tous, familles et amis sont mon Eglise, l’Eglise de tous les hommes pour lesquels est venu, un jour du Temps, dans un pays du Monde, Jésus-Christ.
Comme dans l’armée ou en médecine !
A côté des dirigeants politiques, il y a des dirigeants dans tous les secteurs de la vie, soit désignés par les dirigeants politiques, soit issus de concours,
examens, etc. Le secteur religieux n’y échappe pas avec ses diacres, ses prêtres, ses évêques et un gouvernement central qui, lui, n’est pas à l’échelon national
mais mondial. Je voudrais comparer le fonctionnement de l’Eglise avec deux autres institutions que je connais bien : l’armée et la médecine.
L’armée : il y a d’un côté le général De La Bollardière, héros de la guerre 1939-1945, certainement un des officiers les plus décorés de France, qui refuse
de se battre contre les Algériens et est sanctionné de 80 jours d’arrêt de forteresse avant d’être rayé des cadres… et il y a le général Salan et les autres qui ont
torturé à Alger et ailleurs ; il y a eu Pétain et de Gaulle... J’ai été aux côtés des uns, je me suis battu contre les autres.
La médecine, si l’on en croit le serment d’Hippocrate, serait composée de saints hommes et les 365 jours du calendrier ne devraient pas leur suffire. Je ne m’étendrai
pas sur les erreurs médicales mortelles et inadmissibles, les dépassements d’honoraires, les refus de soigner les C.M.U. (Couverture Médicale Universelle, pour
les pauvres et remboursé à un faible tarif). Mieux vaut arrêter l’énumération...
L’Eglise institutionnelle est de la même nature : il y a eu des gens dont le nom ne te dit peut-être rien mais qui parlent pour moi tels que Saliège,
Théas, Yves de Montcheuil fusillé au Vercors par les S.S. Il y a eu Zundel, Varillon, Helder Camara, Roméro, Jarland abattu au Chili et tant d’autres. En face
il y a tous ces dirigeants, enfermés dans leur propre vérité, incapables d’entendre les cris de souffrance ou pensant les apaiser à force de bulles,
d’encycliques, plus préoccupés de condamner certains théologiens ou les prêtres au travail que les pédophiles en soutane. C’est vrai, ils font partie de la
famille comme le vieil oncle égoïste ou la cousine à la cuisse légère. Je ne les fréquente pas mais je me sens libre de dire ou d’écrire ce que je pense d’eux,
de leurs écrits, de leurs commandements. Ces dignitaires, haut ou bas placés, ne représentent qu’eux-mêmes et un fragment de cette
communauté diverse qu’est la chrétienté.
Qu’ils le veuillent ou non, le Christ nous a parlé d’Amour et de Liberté. Le brave Simon-Pierre était bien incapable de parler d’autre chose… Il a été choisi
par Jésus en personne mais ce n’était sûrement pas pour ses qualités théologiques : il y avait des scribes ou des pharisiens plus qualifiés pour cela ! Il a été
choisi pour sa foi et son ouverture à l’Esprit. Pour moi, rester fidèle à Pierre (ou à son successeur le pape), ce n’est pas dire des vérités éternelles
que l’on chercherait à imposer à tous. C’est croire en l’Amour de Dieu pour nous et accepter de lâcher nos certitudes devant un homme ou une femme dans la détresse.
Je te donne un exemple : pour moi l’avortement consiste à interrompre une vie humaine ; j’en suis convaincu non pas parce que la hiérarchie me le dit mais
parce que je le crois vraiment. Cependant j’ai pratiqué des avortements – avant même qu’ils soient légalisés - parce qu’il en allait de la vie d’une femme.
Que peut-on reprocher à ceux qui croient qu’on ne vit pas sans lois mais que l’Amour doit toujours l’emporter sur la Loi ? Que peut-on reprocher à ceux et celles qui
consciemment ou non restent fidèles à ce pauvre diable de Pierre, pêcheur des bords de Tibériade, qui n’avait rien d’un scribe et n’était expert ni en morale ni en théologie ?
Une curieuse invention
Qu’un homme par la grâce du vote de cardinaux réunis en conclave ait acquis l’infaillibilité en matière de morale m’a toujours paru une curieuse invention. Les cardinaux
enfermés dans le conclave ont voté : ils auraient été inspirés par l’Esprit Saint... mais alors pourquoi n’ont-ils pas tous voté pour le même ? Certains cardinaux
sont-ils sourds ou rebelles à l’Esprit ? Des esprits simples comme le mien se contentent de croire que ce sont des hommes qui votent, comme moi pour élire notre
président, avec leurs risques d’erreur et Dieu sait s’il y en eut… et s’il y en aura encore.
En 1870, je crois, on a découvert cette infaillibilité sur laquelle des théologiens discutaient depuis des siècles et je t’avoue simplement que cela me paraît
une invention humaine dépourvue de tout intérêt. Qu’un homme, pape ou non, entouré de spécialistes, donne son avis sur tel ou tel point de théologie, pourquoi pas ? Mais
si j’accepte volontiers qu’un pape ou un mitré quelconque dise qu’il n’est pas d’accord sur tel ou tel point de vie ou de morale, je n’accepte pas qu’il formule
son avis sous forme d’un interdit : que le Vatican estime que les méthodes contraceptives sont immorales, c’est son droit mais qu’il les interdise au nom de
sa propre conception est un abus et en tous cas un ordre auquel on n’a aucune raison de se plier. J’ai toujours été frappé par cette réaction de Jésus à propos
du Jugement : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons
chassé les démons ? En ton nom que nous avons fait bien des miracles ? Alors je leur dirai en face : Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi,
vous qui commettez l'iniquité. » (Mt 7, 22-23).
C’est à nous, fils de Dieu, que revient la décision dans nos choix de vie… En revanche, je n’ai pas davantage confiance en mes propres jugements et
je sais - ou crois savoir - combien on juge en fonction de son expérience, de son humeur du moment, de sa propre sensibilité. Mais cette fragilité
fait partie de notre humanité.
Un appel à la résistance
Pour ma part, je suis heureux le dimanche d’aller prier avec mes frères, d’échanger le souhait de paix, de communier à leurs côtés. Par ailleurs, je rends
grâce à Dieu que, l’âge venant, j’entends moins bien et ça m’évite de comprendre l’homélie et les consignes de l’évêque retransmises fidèlement par le curé.
D’ailleurs je dois avouer mon ennui devant une liturgie, immuable dans le temps sans que je comprenne pourquoi et pas toujours d’une clarté
aveuglante – pourquoi dois-je répondre au servant qui me dit fort aimablement : « Le Seigneur soit avec vous » cette formule que je n’ai
toujours pas compris : « et avec ton esprit » ? -. Combien d’épitres de St Paul ne sont pas d’une aveuglante clarté alors que des auteurs modernes seraient
tellement plus clairs et plus en rapport avec nos modes de vie... Alors pourquoi là encore continuer… ? Je comprends que beaucoup lâchent mais pour moi l’Eglise
demeure ma famille. Je râle mais j’y vais !
Cependant je constate, comme tant d’autres, que les églises se vident. Mais combien étions-nous dans la Résistance en 1942, 1943 ? Avec de grands discours, Travail,
Famille, Patrie, le gouvernement de Vichy avait fait des Français un peuple de lâches et de profiteurs de marché noir ; les mêmes foules sur le trottoir applaudissaient
avec le même enthousiasme Pétain en Avril 1944 et de Gaulle en Juin de la même année.
Le nombre n’est jamais une preuve ; en général les résistants – les vrais, ceux qui sont prêts à courir des risques voire à donner leur vie - ne sont
jamais nombreux. Au soir de ma vie, j’aimerais remercier ceux qui reprennent le flambeau de la résistance ! Tous ceux qui, à la suite de Jésus-Christ, acceptent
de donner leur vie pour que l’Amour commande !
Encore une fois en terminant, je me rends compte à quel point je suis un animal, non pas féroce ce qui n’existe pas, mais sauvage…On arrive à
les apprivoiser, c’est sûr, et les cavaliers, les dompteurs, tous ceux qui s’occupent d’eux dans la jungle, le savent bien… mais on n’en reste pas moins des
bêtes sauvages, incapables de se plier à des règles sinon en grognant et pour peu de temps. Primegarde, mon cheval, est comme moi… Quand il décide de faire un galop,
il le fait… c’est son idée… Je n’aime pas qu’un autre le monte et lui s’arrange pour se débarrasser d’un autre cavalier… ainsi va la Vie !
Yves Gaubert
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