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Odilon Redon
Le Christ du silence



Odilon Redon,
Le Christ du silence
vers 1896 , pastel, 58 x 47 cm,
Musée du Petit Palais, Paris.

Odilon Redon (1840-1916) est en France un des peintres principaux du courant symboliste qui s’impose autour des années 1890 dans toute l’Europe. Il a fait du pastel un des moyens privilégiés de sa recherche plastique fondée sur la couleur qui dessine les formes.


Les yeux baissés, un homme dont on ne voit que le torse et le visage, porte la main droite à sa bouche comme pour s’imposer ou nous imposer le silence. Sa tête est recouverte d’un linge blanc et entourée d’un halo lumineux. Et l’image, comme le personnage lui-même, est étonnamment silencieuse. Le nimbe, l’attitude, le voile renvoient à la figuration de Jésus, le Christ. Le personnage est d’une étrange et hiératique sérénité, d’un minimalisme que contredit uniquement le somptueux et suggestif usage de la couleur.

À rebours de la grande peinture d’histoire qui raconte une anecdote, qu’elle soit religieuse ou non, la composition du tableau donne à voir non une scène, mais une simple présence, ou une apparition, sur un fond coloré. Odilon Redon, dans ses écrits souvent fragmentaires tels sa curieuse autobiographie A soi-même, explique qu’il ressent au fil de son existence le sentiment de ne jamais coïncider avec l’ensemble de l’histoire de la peinture, ancienne et plus récente. Aux Impressionnistes, ses presque contemporains - Monet est né comme Redon en 1840 - le peintre reproche d’être « bas de plafond », sans doute parce qu’ils ne cherchent qu’à figurer l’apparence du monde sensible, ce qui lui paraît insuffisant. Par rapport à la grande peinture de XVe au XIXe siècle, Odilon Redon se montre en net retrait, ou plutôt il fait un pas de côté. Il refuse, dans notre cas, le grand format, la prestigieuse peinture à l’huile, la multiplicité des personnages. Il renonce même globalement à la doctrine de l’ut pictura poesis, qui a fondé à l’âge classique la création picturale sur le modèle de la littérature. Le principe de la création picturale est pour Odilon Redon à chercher davantage du côté de la musique, mais d’une musique elle-même renouvelée puisqu’elle devient une porte ouverte sur le silence. De ce point de vue, Odilon Redon anticipe sur notre XXe siècle (les 4 Minutes 33 de silence de John Cage) comme il annonce aussi les Surréalistes dans sa façon de privilégier le monde des rêves et de l’irrationnel.

Redon nourrit l’ambition générale de « mettre la logique du visible au service de l’invisible ». C’est l’univers intérieur derrière les lèvres fermées et les yeux clos que valorise le peintre, le monde du rêve et de l’indéterminé, voire de l’inconscient, que suggère l’étonnante fusion des couleurs. Que voyons-nous, que découvrons-nous vraiment en fermant les yeux, en accueillant le vide, en écoutant le silence ? A la peinture discours ou réponse succède, avec Odilon Redon, la peinture question, l’œuvre ouverte à toutes nos inventions personnelles.

Paul-Louis Rinuy

Pour contempler d’autres œuvres d'Odilon Redon :
https://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-redon.php