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Réflexion sur le sida en Afrique
Lucien Molinié

S'il s'est insurgé souvent contre des hommes - scribes ou pharisiens - jamais Jésus ne s'est fâché contre une femme et il admirait les enfants. Si l'on en croit Lucien Molinié, un pharmacien longtemps très engagé au C.C.F.D., en même temps qu'on soigne les corps, il conviendrait de retrouver le regard de Jésus là où le sida fait des ravages.

Lucien Molinié est membre de l'équipe animatrice "Dieu maintenant".

(1) Commentaires et débats



Le préservatif ou la mort ?

Six lignes dans un ouvrage de 270 pages marquent un tournant très important dans l'attitude de l'Eglise catholique à propos de l'utilisation du préservatif pour la prévention du SIDA.

Alors que son prédécesseur, Jean-Paul II et Benoît XVI lui-même dans un entretien avec des journalistes dans l'avion qui, en 2009, l'amenait au Cameroun, avaient clairement fermé la porte à toute évolution dans ce domaine, il faut constater qu'une large brèche est aujourd'hui ouverte dans la discipline de l'Eglise.

Bien que Benoît XVI ait tenu à souligner que cette ouverture ne concernait que des cas tout à fait exceptionnels, on peut penser que, sous la pression de la quasi unanimité des milieux scientifiques et d'une partie importante de l'opinion publique, le Vatican a enfin compris que pour de nombreuses populations du Sud notamment, l'alternative était dans certains cas : « le préservatif ou la mort ».

Il ne faut pas oublier que les médicaments dont nous disposons actuellement pour le traitement du SIDA, et notamment les tri-thérapies ne peuvent ni guérir la maladie, ni, surtout, en empêcher la diffusion.

Songeons que si en Europe, la pandémie semble marquer le pas, ce n'est pas le cas de certains pays d'Afrique australe où la prévalence du VIH est comprise entre 20 et 25 % de la population adulte, et plus élevée encore chez les femmes enceintes, sans qu'on observe un signe tangible de diminution.

L'objectif de ces quelques lignes n'est pas de parler du SIDA en général, ni d'aborder le thème très complexe des traitements, mais, très modestement, de s'attacher à éclairer deux problèmes sociaux, parmi d'autres, particulièrement graves, en Afrique sub-saharienne :
La situation sociale de la femme enceinte atteinte du SIDA en Afrique Noire.
Le drame des orphelins du VIH.

Le statut de la femme et le VIH.

Quelles peuvent être les réactions d'une femme africaine ou autre, enceinte, qui apprend qu'elle est séropositive au VIH, et ne peut relever que des seuls secours caritatifs ?

Elle se voit proposer un protocole de soins dont elle comprend qu'il a pour but de la sauver, elle d'abord, et aussi d'empêcher qu'elle transmette la maladie à son enfant. Dans un premier temps, la voilà soulagée.

Mais, pour protéger l'enfant qu'elle porte, elle devra se conformer aux prescriptions et se voit obligée, de ce fait, d'accepter que sa séropositivité soit connue de son entourage. Elle comprend que cela risque de changer le regard que les autres portent sur elle.

De plus elle prend conscience qu'en acceptant de reconnaître sa séropositivité, elle va indirectement désigner celui qui en porte la responsabilité. Elle a peur de son courroux et de la violence qui peut l'accompagner. Elle redoute de le voir s'éloigner d'elle, se tourner vers une ou plusieurs autres. En plus, elle prend conscience qu'on parle d'elle et de sa maladie dans le village et cela contribue à la marginaliser.
Elle craint d'être rejetée, méprisée, humiliée.
Elle sait que si elle n'accepte pas de se soigner, elle risque d'infecter son enfant. Aussi, doit-elle accepter ce qu'elle redoute. Son statut comme son amour et sa nature de mère le lui imposent.

Mais elle, qui l'a infectée ? Dans la plupart des cas, elle n'a aucun doute.
Quelles conséquences subira celui qui est à l'origine de son infection ?
Comment vont réagir les autres à son égard ? Comment réagira-t-il lui-même ?

Pour son enfant à venir, elle est prête à remettre en cause son statut social mais elle ressent durement que les traditions de son milieu la punissent beaucoup plus sévèrement qu'elles ne punissent celui qui est pourtant le principal responsable de la situation.

Dans la plupart des cas, elle acceptera de se prêter aux soins qui lui seront recommandés, en sachant que le responsable de son infection refusera de s'y soumettre et qu'il n'hésitera pas à fuir ses responsabilités en allant semer ailleurs les germes de son infection. Alors, elle réalise qu'elle, qui n'a rien à se reprocher, va payer le prix fort pour l'infidélité passée de l'homme à qui elle faisait confiance.

Du point de vue de l'éthique, limiter l'action caritative aux seuls soins médicaux prodigués à la mère n'est pas satisfaisant. Il faudrait tenter de faire face aux traumatismes d'ordre psychologique qui agressent la femme dans sa vie quotidienne.

Soigner la future mère infectée est une nécessité pour son enfant et pour elle, mais ce serait une grave injustice d'oublier qu'avant d'être mère, c'est en tant que femme qu'elle a été infectée.

Le drame des enfants du SIDA

On estime aujourd'hui à plus de 14 millions le nombre d'enfants qui, dans le monde, ont perdu au moins un de leurs parents du fait du SIDA.
80% de ces enfants vivent en Afrique subsaharienne, mais ils sont également nombreux dans d'autres régions, notamment en Asie du Sud-Est et en Europe de l'Est. Tant que le nombre d'adultes qui meurent du SIDA ne diminuera pas de façon significative, un grand nombre d'enfants seront privés des soins et de l'amour de leurs parents.

La solidarité familiale et villageoise, très présente dans les pays du sud et, particulièrement en Afrique, ne pourra certainement pas faire face à l'afflux de jeunes orphelins que les structures traditionnelles existantes ne pourront absorber. En Afrique du Sud, par exemple, on estime que 1,5 million d'enfants seront dans les prochaines années orphelins en raison du SIDA.

Il semble important que les différents programmes que des ONG, des états ou des particuliers seront amenées à entreprendre ou à soutenir ne soient pas axés uniquement vers les enfants victimes indirectes du SIDA, mais également vers d'autres orphelins dont les parents sont morts d'autres maladies, notamment du paludisme ; en effet, agir exclusivement en faveur des enfants victimes des conséquences du SIDA aurait pour effet de stigmatiser encore plus ceux qui sont touchés par cette maladie, alimentant ainsi la discrimination, voire la ségrégation à leur égard, ce qui malheureusement est la règle un peu partout.

On ne doit pas oublier que la vulnérabilité des orphelins du SIDA commence souvent bien avant le décès de leurs parents. Songeons à la manière dont des enfants peuvent vivre la souffrance, l'évolution de l'état et parfois la déchéance de leurs parents dont ils sont souvent seuls à en assumer les soins.

Bien entendu, il faut ajouter à cela les difficultés économiques dues à la perte d'un travail. Des enfants prennent alors le relais de leur père ou de leur mère, ce qui entraîne l'abandon provisoire ou définitif de l'école: au Kenya, 52 % des enfants orphelins du SIDA ont ainsi abandonné leurs études.

Nous avons vu qu'avant même le décès de leurs parents, les enfants sont profondément perturbés. Ils ont besoin d'un soutien psychologique et matériel que l'environnement devrait pouvoir leur apporter conformément à la tradition africaine, mais, dans les villages ou quartiers où la proportion de sujets séropositifs est importante, cette solidarité peut être débordée et il convient d'apporter une aide adaptée à ceux qui acceptent, malgré la peur, de prendre des responsabilités en faveur des malades et de leur famille : soins, accueil des plus jeunes enfants, culture des terres, entretien du bétail, démarches administratives...

Après le décès des parents ou lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité d'assurer la charge de leurs enfants, il faut savoir que l'orphelinat, quand il existe, parfois nécessaire pendant un temps limité, est une des pires solutions. Il est très important de pas couper les enfants du milieu auquel ils étaient habitués. Maintenir les liens de famille, de quartier ou de voisinage est tout à fait essentiel.

La solution la plus humaine est souvent d'accueillir les petits orphelins dans des familles élargies proches, quelles soient naturelles ou volontaires. Aider ces familles avec le maximum de moyens communautaires, à persévérer dans leur décision (accès privilégié au microcrédit, prise en charge des soins de santé et des frais de scolarité, éventuellement aide alimentaire).

Il faut encore défendre les droits des enfants sur les terres de leurs parents, accompagner sur le terrain ceux qui souhaiteraient exploiter eux-mêmes ces terres ou entretenir le troupeau, ce qui leur évitera de devenir des assistés.

Une initiative heureuse : la création et l'organisation de structures du type «Villages d'enfants», où les enfants dont les parents sont morts ou non du SIDA vivent en familles assez autonomes, sous l'autorité d'un adulte ou parfois d'un adolescent très responsabilisé.

Un accompagnement extérieur semble toujours souhaitable. Bien entendu, les enfants seront incités à fréquenter, si leur santé leur permet, l'école du village ou du quartier.

Il est très essentiel que les liens familiaux soient maintenus. Il ne faudrait jamais séparer les enfants d'une même fratrie, sauf cas de force majeure. Sur le plan éducatif, le maximum devra être fait pour renforcer la capacité des enfants à satisfaire leurs propres besoins. Enfin, la mise en place de « groupes de paroles » parmi les enfants pourra se révéler utile, ainsi qu'un suivi médical et médico-psychologique.

Des enfants qui ne trouvent pas de structures d'accueil où ils puissent s'épanouir seront tentés de rejoindre les bandes de la rue, animées souvent par des adolescents et prêtes à tous les mauvais coups.

Lucien Molinié

Sculptures de Pierre de Grauw