Pierre Whalon a 67 ans. Né à Newport, en Nouvelle-Angleterre, dans une famille nombreuse, catholique, d’un père américain, organiste et facteur d’orgue et d’une mère française, historienne d’art chinois, il est aujourd’hui évêque retraité de l’Église épiscopalienne (anglicans américains). Après avoir été pendant 17 ans, curé de paroisse notamment en Pennsylvanie et en Floride, puis pendant presque 18 ans évêque pour l’Europe, basé à Paris, dans sa seconde patrie, Il entame actuellement une nouvelle vie avec son épouse, musicienne, en Martinique.
Notre rencontre, qui est une amitié indéfectible, a eu lieu il y a plus de 53 ans, lorsque j’ai vécu dans sa famille, à Newport, pendant trois mois, et ceci grâce à l’amitié de nos mères. Notre amitié se traduit par nombre d’actions qui engagent notre foi.
Quel a été le chemin de ta foi ?
Mon père était facteur d’orgue et organiste dans une paroisse catholique de langue portugaise. Tous les dimanches et lors des grandes fêtes de mon enfance, je les ai passés à sa tribune. Messe en latin, homélie en portugais. Nous parlions presqu’uniquement le français, et ils m’ont scolarisé dans une école établie par les sœurs saint Joseph Cluny, où je devins bilingue. Puis j’allai dans un lycée de Bénédictins, et, déjà passionné, je fus encore plus passionné par le catéchisme. Mes professeurs étaient essentiellement des intellectuels Bénédictins à la retraite.
C’était juste après le Concile. Dans ce ferment qui suivit le Concile, il y eut plusieurs courants de pensée chez les moines. Le professeur Aelred Graham, avait écrit un livre remarquable : « Zen catholicism ». Il avait fait construire un jardin japonais de communication qui existe encore, et un évêque suédois à la retraite, Ansgar Knudsen, était mon professeur de philosophie. D’autres moines s’attaquaient à des expérimentations liturgiques : passer du latin à l’anglais. On m’a fait lire énormément Platon, St Augustin, et Sartre. En mai 1968, en pleins événements, je suis allé dans la famille de Jean-Michel, à Paris. Et ce fut ma rencontre avec la pensée communiste, et le marxisme-léninisme. Cela a accéléré mon désarroi théologique. J’ai passé ma terminale à Angers, et j’ai eu le bac.
Je m’intéressais passionnément à la physique, et j’ai entrepris des études de physique plusieurs années avant qu’une première crise spirituelle ne me pousse à les abandonner pour m’orienter vers la musique sacrée.
À cette période toutefois, je disais ne pas croire en Dieu. Lentement, jouer des œuvres de Bach, Franck, Messiaen, Jean Langlais, me remit dans le bain de l’Église.
Et voilà qu’un jour, dans mon appartement parisien, deux jeunes gens en en veste et cravates ont frappé à ma porte. Ils voulaient me parler de Jésus. C’est vrai que si chaque dimanche, j’assistais à la messe à la tribune de Jean Langlais, je n’entendais pas parler de Jésus.
J’entamais des discussions avec ces Témoins de Jéhovah. Ils m’ont déballé leur religion morne, leur version bornée du christianisme. Mais je me remémorais fort heureusement ce que les Bénédictins m’avaient appris de la Bible, dont je n’avais chez moi, alors, aucun exemplaire.
Leur technique pour me convertir, car ils flairaient la conversion, était maladroite, et je relisais l’évangile, notamment dans le métro pour prendre mon travail dans un cercle de jeu. Ils disposaient d’une traduction très faible. Ils revinrent avec un de leur ministres. Celui-ci a gardé le silence jusqu’à ce que nous abordions l’enfer dont ils ne croient pas à l’existence. Il m’a dit que cela était une invention de ma bible catholique romaine corrompue.
Alors, j’ai posé mon doigt sur le dernier chapitre d’Isaïe, en lui disant avec innocence : « Ceci est dans votre Bible. » Ils se sont levés pour ne plus jamais revenir. De toute évidence, ils croyaient avoir rencontré un démon. Mais je me suis plus encore replongé dans la Bible.
Un jour, je relus le récit de la fuite du roi David, devant la fureur de son fils Absalom. Le prêtre Abiathar voulut donner au roi l’arche de l’alliance, mais le roi la refusa en disant : « Si Dieu le veut, il me fera revenir à Jérusalem. »
C’est alors que j’ai prié la prière la plus abjecte : « Moi, aussi, je veux revenir ! ».
C’est le moment charnière dans ma vie de fidèle. Je ne puis expliquer comment, mais ma vie de fidèle n’est plus la même depuis ce jour, le 27 janvier 1977.
Puis, poussé par Jean Langlais, je me suis lancé dans un diplôme de musique sacrée à Pittsburgh.
Comment es-tu devenu anglican ?
Pendant mes nouvelles études, une idée me taraudait : j’étais à l’autre bout de l’église. Cette idée récurrente m’atteignait sur le plan psychologique. J’ai pris rendez-vous avec le psychiatre de l’Université. Il s’exclama : « Je ne crois pas dans cette saloperie de Dieu » ! Je lui répondis que je n’étais pas venu discuter théologie, mais de ma psychologie. Après trois secondes, il me demanda de partir pour ne plus entendre parler de cette « saloperie de Dieu ». « Que dois-je faire », lui ai-je demandé ? « Je ne sais pas. Trouvez une église et démerdez-vous. »
Comme organiste, je faisais des remplacements dans diverses églises, de différentes confessions, et j’avais l’embarras du choix.
Je suis allé le confier à une vieille amie juive, Esther, qui était alors proche de ma fiancée. Je lui ai déballé ce que m’avait dit le psychiatre. Je lui ai dit que je craignais devoir abandonner l’orgue pour être ordonné dans une église.
Esther m’a horripilé en me répondant : « C’est exactement ce que tu dois faire ! »
Finalement, ma fiancée, Melinda, qui était épiscopalienne me suggéra d’« essayer » son église.
J’ai dit d’accord, mais une seule fois. Nous avons assisté à la messe du dimanche, dans l’église de l’Ascension de Pittsburgh, à l’issue de laquelle, j’avais le sentiment d’être chez moi. Sept ans plus tard, j’ai été ordonné diacre et prêtre de l’église épiscopale.
J’ai été curé dans trois paroisses, l’une à North-Versailles, près de Pittsburgh, une autre à Philadelphia, et finalement la dernière en Floride. Puis, en 2001, j’ai été élu, puis sacré évêque pour l’Europe, basé à Paris, pour plus de dix-sept ans.
C’est quoi, être chrétien ?
Pour un fidèle ou un prêtre, vivre en chrétien, c’est parler franchement à Dieu tous les jours, c’est-à-dire prier. Le Livre de la prière commune anglican est une ressource très importante, un tuteur de prière, tout comme la lecture quotidienne de la Bible.
Toutefois, la prière sans engagement est nulle. L’engagement se réalise dans la rubrique « Aime ton prochain comme toi-même ». Cela veut dire non seulement s’occuper de soi, mais aussi de la vie des autres, car c’est à la rencontre d’autrui que nous pouvons rencontrer le Christ. C’est ainsi que nous pouvons témoigner de l’amour que nous avons pour lui.
Comme évêque pour l’Europe, je m’occupais de communautés très diverses utilisant les langues anglaise, allemande, italienne, espagnole, et bien sûr française.
Les cultures de ces églises sont très différentes selon les pays, surtout en ce qui concerne la place de l’Église dans la vie nationale.
Ainsi, en Italie, nous sommes des associations caritatives d’intérêt public, en Belgique, la Couronne fournit un traitement à notre clergé. En France, nous sommes régis par la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Il nous faut donc adapter la tradition anglicane aux situations ecclésiales de ces différents pays.
C’est d’ailleurs le défi de la Communion anglicane : 90 millions de fidèles dans 166 pays, sachant que « l’anglican lambda » est en réalité une femme, de couleur, de moins de 30 ans et non anglophone.
Comment vois-tu l’universalité de l’Église, dans la division actuelle ? Crois-tu en l’œcuménisme ?
D’abord, j’estime que le dialogue œcuménique a vaincu l’hostilité qui existait entre les familles chrétiennes. Par exemple, à la veille de ma consécration, en novembre 2001, j’avais été convoqué par feu le pape Jean Paul II pour qu’il m’adresse sa bienvenue officielle. C’était une première sur le plan œcuménique.
Pendant mon épiscopat, j’étais « diplomate ecclésial ». J’ai participé à de nombreuses discussions avec la Fédération mondiale des luthériens, avec le Conseil mondial des Églises, toutes institutions basées à Genève. Et aussi avec le Vatican, notamment le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne.
Désormais, les séminaristes catholiques, anglicans, orthodoxes, font des études en commun. Récemment, le pape François a ordonné que les séminaristes catholiques soient formés aussi dans l’interreligieux. Les premiers fruits de l’œcuménisme sont évidents. Les chrétiens, tous ensemble, font face à des défis à l’échelle mondiale. En Occident, il y a un sécularisme, une laïcité agressive qui décrètent que toutes les notions religieuses sont un leurre, que croire en Dieu, c’est de la psychopathologie.
Un certain courant de l’islam continue de considérer les chrétiens comme des citoyens de deuxième ordre. Avec la montrée du nationalisme hindou, il y a aussi des persécutions en Inde.
Nous ne pouvons, nous les chrétiens, nous tenir à l’écart les uns des autres. Ce serait un suicide collectif. Depuis toujours, la désunion des églises chrétiennes, les anathèmes mutuels, les guerres de religion, font croire que l’évangile n’est qu’une fantaisie qu’il vaut mieux ne pas entretenir.
Tant qu’il n’y aura pas une reconnaissance mutuelle entre les églises, nous serons tous et toujours des témoins infidèles, qui déshonorons notre Seigneur et faisons de l’évangile un mensonge.
Je soutiens cette thèse dans un livre que j’ai titré : « Choisissons le sentier étroit », qui fera l’introduction d’une théologie systématique.
La reconnaissance mutuelle, ce sera l’intercommunion, que nous avons par exemple avec les luthériens en Amérique. L’eucharistie célébrée, le corps du Christ vivant, c’est le fil de l’épée. Nous devons considérer ce qui est apostolique et ce qui ne l’est pas. C’est la question brûlante. La règle doit être : tous les successeurs des apôtres se retrouvent partout dans le monde et dans toutes les confessions chrétiennes.
Jean-Michel Cadiot - Pierre Whalon
le 11 janvier 2020
Photos de la cathédrale américaine, 23 avenue Georges V, 75008 Paris