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Georges Rouault
Nocturne chrétien, Paysage biblique I

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Georges Rouault
Nocturne chrétien, Paysage biblique I
1952, huile sur toile, 95 x 65 cm
Paris, Musée national d’art moderne.

Georges Rouault (1871-1958) n’est pas simplement un des grands peintres chrétiens du XXe siècle, il est plutôt un de ses plus grands peintres, tout court. Il a fait de son exercice singulier de la peinture une réflexion en acte sur notre condition humaine.

De près, on n’y comprend rien, on n’y voit rien surtout, à ce petit tableau de faibles dimensions, recouvert de couches de peinture si nombreuses, si épaisses qu’elles paraissent maladroites. Est-ce réellement de la peinture au juste ? ou plutôt un bas-relief que le vieux peintre a travaillé et retravaillé jusqu’à le rendre illisible, irregardable peut-être ? Georges Rouault a plus de quatre-vingts ans en ces années 1950, et il reçoit même en 1952 l’hommage national d’une exposition rétrospective au Musée national d’art moderne, à la fin de laquelle il présente cette toile. Lui qui a commencé son apprentissage chez un simple peintre verrier puis a appris la peinture dans l’atelier de Gustave Moreau à la fin du XIXe siècle, le voici maintenant, après toutes ces années ou furent inventés le cubisme, l’art abstrait, le surréalisme et j’en passe, comme un fantôme qui a survécu aux deux cataclysmes des deux Guerres mondiales. Et il se retrouve, lui qui est demeuré figuratif, contemporain de la peinture gestuelle de Jackson Pollock aux Etats-Unis, ou de Miro, de Dubuffet, de Georges Mathieu en Europe, mais pris comme eux dans le tumulte de la société de consommation florissante des Trente Glorieuses.

Peut-être Rouault lui-même n’y comprend-il rien à cette explosion irraisonnée d’une énergie, d’une fulgurance qui renaît sous sa main. Sur la toile, les formes s’inventent, se dessinent sous nos yeux dans la pâte colorée elle-même. Et cette matière couleur devient, si l’on s’éloigne un peu, ici sur la gauche, une silhouette blanche où l’on peut deviner un homme de lumière, le Christ peut-être, là, tout au fond, un embrasement de jaune qui allume tout le paysage, et, à tel ou tel endroit, un groupe de personnages en train de discuter, puis quelques maisons, des éléments de paysage, le ciel. Nocturne Chrétien, ainsi le peintre baptise-t-il cette invention picturale, mais cette nuit est d’une réelle douceur, et la couleur matière se révèle surtout une couleur lumière. Dans le flou des formes et l’apparente non-maitrise du peintre, c’est un genre nouveau qu’inaugure ici Rouault, le Paysage biblique, qui ne se réfère à aucune scène religieuse précise mais tisse des liens entre le ciel, la végétation, les constructions et nos histoires, nos vies d’hommes minuscules. S’agit-il d’un 5e évangile qu’esquisse ici le peintre ou des Actes des apôtres qu’il continue en image, sur cette terre orientale, qui paraît sainte ou sacrée parce que des hommes y vivent, y échangent des paroles ?

La lumière qui dore les silhouettes ténues de ces petits personnages dans ces lieux vagues, près de constructions sans âge ni style, leur donne une noblesse, empreinte d’une rare émotion. Calme, sérénité et grandeur monumentale de ces silhouettes, de ces vies minuscules et saintes qui sont les nôtres.

Paul-Louis Rinuy















Pour contempler d’autres œuvres de Rouault :
https://www.eternels-eclairs.fr/tableaux-rouault.php#XXIX