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1er dimanche de l'Avent


Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 13, 33-37

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
« Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment.
Il en est comme d'un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin.
Il peut arriver à l'improviste et vous trouver endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez!»

« Comme un homme parti en voyage »
Michel Jondot

Dieu ne s’exile jamais !
Christine Fontaine

Le temps de l’Espérance
Michel Jondot


« Comme un homme parti en voyage »

Dieu est absent

Il faut se rappeler les périodes de deuil pour mieux entendre l’Evangile de ce jour. Nos vies n’avaient guère de sens en dehors des liens avec un être cher. L’existence de chaque jour perd ses couleurs lorsque ces liens sont détruits ; le temps qui s’annonce est alors comme un long tunnel dont il nous semble que nous ne verrons pas le bout.

En réalité l’humanité est tout entière dans le deuil si l’on en croit le message de Jésus. Elle est semblable à une maison dont le propriétaire est absent : « C’est comme un homme parti en voyage. » A plusieurs reprises Jésus évoque son absence et l’absence de Dieu en ce monde qu’il a créé. Il parle d’un royaume dont le seigneur est parti après avoir remis ses trésors à des serviteurs. Il invente l’histoire d’un maître qui a quitté sa vigne après l’avoir remise à des vignerons.

Nous vivons en un siècle où cette mise à l’écart est plus évidente que jamais. Jusqu’à une date récente, la société était tout entière structurée autour du nom de Dieu ; sa morale s’inspirait de l’Ecriture et le pouvoir, pour mieux s’imposer, s’affirmait comme l’image du Seigneur Tout-Puissant. Ce faisant on pouvait se référer à l’Evangile. En quittant sa maison, en effet, le propriétaire, à en croire la parabole, « a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail et demandé au portier de veiller. » Ces temps passés sont révolus et dans nos pays laïcs les hommes n’ont pas besoin de recourir à un Etre transcendant pour organiser les sociétés.

Une épreuve pour les croyants

Le siècle que nous vivons est une épreuve pour les croyants. Ceux-ci, avouons-le, sont souvent assez peu conscients de cet éloignement de Dieu. Ou bien on masque son absence par un surcroît de religiosité qu’il faut parfois considérer comme une fuite dans l’imaginaire, nourri de cet opium dont Marx avait parlé. Ou bien on s’accommode du monde tel qu’il est en refusant de reconnaître que l’injustice et la violence qui déchirent le monde sont une insulte au Dieu en qui on prétend croire. Ou bien encore on abandonne purement et simplement toute référence au Dieu de Jésus.

« Je vous le dis à tous : Veillez. » Sans doute les chrétiens doivent-ils se réveiller devant ce constat. A ce sujet, on ne peut manquer d’évoquer l’expérience de Thérèse de Jésus. A la fin du 19ème siècle, à un moment où s’amorçait l’avènement d’un monde nouveau, soumis aux progrès de la technique, à un moment où l’incroyance commençait à se propager, une jeune femme vivait, à l’intérieur d’un Carmel de province, dans une foi sereine et fervente jusqu’à une fête de Pâques où sa foi fut bouleversée. « Aux jours si joyeux du temps pascal – écrit-elle - Jésus permit que mon âme fût envahie des plus épaisses ténèbres et que la pensée du ciel… ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment. » Pendant de longs mois, jusqu’à l’heure de sa mort, Thérèse fut ainsi déchirée entre cette conscience de ce qu’on peut appeler « la mort de Dieu » et sa foi au Dieu vivant. En réalité ce que Thérèse a vécu, si l’on en croit ses écrits, était une manière de rejoindre ses contemporains ; elle s’est efforcée de vivre, à l’intérieur des murs d’un couvent, le drame de ceux qui, baignant dans l’incroyance, sont privés, sans qu’ils en soient conscients, de la joie de Dieu.

Thérèse parle de « ténèbres » pour évoquer sa lutte. Le mot est bien choisi pour évoquer ces semaines qui commencent avec ce premier dimanche de l’Avent. Tout au long de ce temps qui conduit à Noël, la lumière va se réduire ; ce déclin évoque bien les temps de deuil pendant lesquels il nous semble que toute joie s’est éteinte. Mais ce tunnel vers la nuit débouche sur la lumière : Noël marque moment où les jours vont commencer à grandir. L’Avent est un temps où s’affrontent les ténèbres et la lumière ; il s’agit pour les croyants de ne pas échapper au « combat » : Thérèse emploie ce mot pour parler de l’épreuve qu’il lui a fallu traverser.

Le triomphe de la foi

La foi, à en croire la carmélite de Lisieux, est l’arme dont nous disposons. « Ce n’est plus un voile, pour moi, c’est un mur qui s’élève jusqu’aux cieux et couvre le firmament étoilé. Lorsque je chante le bonheur du ciel… je n’en ressens aucune joie, car je chante simplement ce que je veux croire. » Dans la première des épitres de St Jean, l’auteur parle de victoire : « telle est la victoire qui a triomphé du monde, notre foi. » Au milieu de la tristesse et du deuil, au cœur d’un monde où Dieu est absent, il nous est possible non de ressentir la joie mais de la chanter. Nous voulons croire à la joie. Croire n’est pas connaître ; la foi n’est pas une évidence mais un acte de volonté : « Je veux croire. »

Cette décision, il faut le souligner, ne nous détourne pas de ce monde apparemment vidé de Dieu. L’expérience de Thérèse nous en avertit. Les murs du Carmel ne la protégeaient pas de ces « murs qui couvrent le firmament étoilé ». Précisément parce qu’elle était rejointe par l’incroyance de son temps elle a pu vivre la foi comme une victoire.

A coup sûr, beaucoup peuvent dire à leur tour, en regardant notre siècle, que le ciel est fermé et que Dieu est mort. Nous ne pouvons éviter de l’éprouver au moins à certaines heures : quand, par exemple, nous savons que la mort va nous séparer ou bien quand on voit que les efforts de l’homme et les progrès techniques mettent en danger le cosmos et jettent des populations entières dans la faim et la détresse. Nous ne pouvons échapper à la nuit et pourtant nous croyons ; la foi nous conduit à l’impossible. Elle est la lumière qui luit par-delà les ténèbres d’un monde qui engendre la tristesse et le deuil.

Michel Jondot


Dieu ne s’exile jamais !

L’exil de Dieu

Ils vivaient ensemble sous le même toit, ils avaient fondé une famille et construit une maison lorsque la guerre est venue qui les a séparés. Il a dû partir en exil loin de son pays tandis que son épouse restait à veiller aux tâches de la maison. En l’absence du père de famille, la vie doit bien continuer, chacun a son travail à accomplir ; chaque membre de la famille fait tout ce qu’il peut pour faire face à la vie dans l’attente du retour de celui qu’ils ont vu partir.

Lorsque leur père était au milieu d’eux, les enfants ne savaient pas à quel point il leur était présent. Il a fallu ce départ forcé pour qu’ils réalisent combien leur père leur manque, combien ils ont besoin de sa présence. Ainsi en va-t-il avec Dieu. « Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a fixé à chacun son travail et recommandé au portier de veiller. » Il faut peut-être que Dieu s’absente pour que l’humanité ressente à quel point Il lui est présent. Il faut peut-être que Dieu s’exil volontairement pour que les gens de sa maison découvrent qu’il leur manque.

« Veillez donc, dit l’Evangile, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra. » « Veillez » comme veillent ceux qui s’aiment. « Veillez » dans l’attente du retour, dans l’espérance qu’il reviendra, celui qui vous manque. Veillez à ne pas passer à côté de la joie du retour.

Ainsi Dieu ne s’absente jamais que pour éveiller le désir de sa maisonnée, pour le faire grandir et pouvoir combler davantage ceux qui guettent son retour. Dieu ne s’absente jamais que pour être présent.

L’exil de l’humanité

Un maître de maison, un père de famille, un époux ou un frère est emmené en exil. Dans les premiers temps, le manque se fait durement sentir. Il n’est pas un instant de la journée où celui qui est parti ne soit présent à la pensée. Les mains sont au travail, l’esprit est occupé par les tâches quotidiennes mais le cœur est en éveil : le cœur est ailleurs, entièrement tourné vers celui que l’on attend.

Dans les premiers temps la maisonnée tout entière veille. Puis, petit à petit, sans même qu’on s’en aperçoive il se peut qu’on en vienne à oublier. Chacun a son travail et l’intérêt à construire la cité des hommes l’emporte sur l’attente de Dieu. Le désir se tourne vers la seule tâche à accomplir et se détourne de Dieu. Le cœur de l’humanité s’endort.

Que Dieu revienne et il trouve sa maisonnée endormie ; le cœur des siens s’est assoupi : Il n’est plus attendu. A son retour d’exil le maître de maison trouve une famille où il n’a plus sa place. Il partait pour être rappelé, il partait pour creuser la soif de Dieu dans l’humanité mais celle-ci à trouver d’autres sources pour l’abreuver. Dieu est en exil dans sa propre maison. Dieu est exilé.

« Il avait donné tout pouvoir à ses serviteurs. » Il leur avait donné le pouvoir de construire la cité des hommes. Quand il revient, voici que cette œuvre les occupe tout entiers. Alors il se peut que Dieu, pour réveiller le désir de son peuple, lui fasse traverser l’épreuve ; il se peut que Dieu retire à sa maisonnée le pouvoir qu’il lui avait donné. « Mais pourquoi faut-il toujours que leurs entreprises humaines échouent pour qu’ils se réveillent ? », dit Dieu. « Pourquoi faut-il qu’ils manquent de tout pour en venir à m’appeler ? Quand cesseront-ils de m’exiler ? »

Le retour

« Le maître de la maison peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : veillez ! » dit Jésus Christ.
« Si le maître de la maison, à l’heure de son départ, nous avait fixé la date de son retour nous pourrions nous préparer à sa venue », dit l’homme. Mais voilà, Dieu part sans fixer de délai. Comment pouvons-nous attendre indéfiniment celui qui viendra un jour que nul ne connaît ? Dieu ne nous pousse-t-il pas à nous organiser sans lui ? Dieu ne nous contraint-il pas à nous passer de lui en agissant ainsi ?

Mais Dieu sait ce qu’il fait. « Le maître de maison peut arriver à l’improviste », dit-il. Dieu sait bien que, s’il fixait un délai, en attendant l’échéance sa maisonnée penserait à autre chose… et en viendrait jusqu’à oublier la date de son retour. Que Dieu déclare : « Je pars et je reviens dans cinq ans » et ce délai connu, au lieu d’éveiller le désir, le tuera, l’endormira.

Mais si Dieu peut venir à n’importe quel moment – « à l’improviste » – alors l’attente devient celle de chaque instant. D’instant en instant, pour celui qui veille, le désir demeure et s’agrandit. Le Dieu qui s’absente se rend présent à celui qui le désire. Car, en vérité, Dieu ne s’absente jamais de celui qui l’espère. Il se donne à lui autant en lui manquant qu’en le comblant. Sa présence et son absence sont pour Lui deux manières de se donner. Dieu ne s’exile jamais !

Christine Fontaine

Le temps de l’Espérance

Dieu est parti !

D’année en année le silence de Dieu se fait de plus en plus oppressant. Celui-ci a à peu près disparu de l’horizon culturel de notre temps. Dans les familles qui sont encore chrétiennes, la transmission de la foi est de plus en plus problématique.

Ce qui est vrai à l’échelon de nos sociétés occidentales a son correspondant dans nos vies personnelles; elles ne sont pas rares les heures où il faut subir la dureté de la vie sans se faire d’illusions. On peut bien appeler «au secours!» à certains moments d’épreuve; on peut confier ses angoisses à des amis croyants, au fond de nous-mêmes on n’est pas vraiment sûr que le ciel nous écoute!

Ces situations, sans doute, sont celles où nous avons à faire l’expérience de ce que la Tradition appelle l’Espérance. Le temps de l’Avent dans lequel nous entrons est le temps de l’Espérance.

Le rêve est dangereux

« Il en est comme d’un homme parti en voyage ». La phrase de l’Evangile évoque à la perfection ce temps de l’Espérance où Dieu nous manque. Pour comprendre ces propos de Jésus, j’aurais tendance à me référer au début de la Bible. Après qu’Adam et Eve eurent goûté au fruit défendu, Dieu vint les rejoindre et leur révéler leurs illusions. Ils ont fait leur malheur en goûtant au fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du mal! Ils sont encore en danger : ils pourraient bien toucher à ce que le texte de la Genèse appelle «l’arbre de la vie». Pour protéger l’humanité, il les met à l’abri du rêve en les écartant du Jardin d’Eden, mettant en place des gardiens qui en interdisent l’accès: « il posta devant le jardin les Chérubins et la flamme du glaive pour garder le chemin de l’arbre de vie ». Sauvés du rêve - ou, si vous préférez, sauvés du risque de cueillir par eux-mêmes la vie qu’ils attendent - les voilà équipés pour vivre en société. Ils sont pourvus de vêtements et devenus capables de transformer la terre et de l’arracher aux épines et aux chardons. A chacun son travail, à chacun de veiller pour sauver la vie. Au Jardin d’Eden, Dieu se promenait, proche de cette humanité qu’il venait de créer. Désormais, à l’écart de Dieu, Adam et Eve savent qu’ils sont désirés de Lui. Ils ne peuvent plus oublier l’appel de Yahvé: «Adam! Où es-tu? »Il en va de Dieu comme d’un homme parti en voyage…

Jésus, au terme de son parcours, réveille les souvenirs de ceux qui l’écoutent. Dieu est absent mais nous sommes l’objet de son désir. «Il a recommandé au portier de veiller»: la porte du pays des rêves est close, le danger est écarté. Il s’agit de rester éveillé; le soir ou à minuit, l’heure où chante le coq, celle où surgit le matin: chaque instant est rempli de l’attente que Dieu a de nous; Il vient à nous. Il est Celui dont nous avons à attendre les fruits de l’arbre de vie.

Dieu est plus grand que notre coeur

Lorsque tout disparaît de ce que nous attendions, de ce que nous espérions, c’est alors que nous pouvons nous rappeler ces propos de Jésus. On a coutume de dire qu’ils concernent la fin des temps. Ceci n’est exact que dans la mesure où nous incluons les instants qui passent dans la fin des temps. Pour les uns et pour les autres, le temps se conjugue avec le désir. Vivre, en humanité, consiste à se fixer des buts, à atteindre des rencontres et la joie naît lorsque le temps nous a amenés là où nous voulions aller et nous a conduits vers ceux et celles que nous souhaitions rejoindre.

A travers les différents objets qu’il cherche à atteindre comme tous ses contemporains, le chrétien sait qu’il vise Celui qui dépassera toujours ce que notre cœur peut atteindre et qui ne se confond jamais avec le bonheur que l’on croit tenir. Dieu dépassera toujours nos attentes. Lorsqu’aux heures où Dieu semble s’effacer, aux moments les plus sombres de notre existence, lors d’un deuil ou d’un échec, lorsqu’on apprend qu’on est touché par une maladie qui n’a pas de remède, alors peut naître l’espérance. Lorsque plus rien n’est à espérer, reste aux yeux du croyant, l’assurance que Dieu continue à l’appeler, à le désirer.

Les temps qui commencent avec l’Avent voient l’obscurité s’étendre de jour en jour. Cet effacement est à recevoir comme un appel à l’Espérance. Quand tout s’éteint, restons vigilants. Ce qui reste de jour demeure est le temps où nous sommes invités à reconnaître qu’il vient Celui pour qui, Jésus nous l’assure, nous sommes objets d’amour.

Michel Jondot