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Transifiguration du Seigneur

Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
Mt 17, 1-9

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmèna à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! »
Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »


Des yeux pour voir

Un certain regard

La plupart de nos contemporains sont unanimes pour reconnaître en Van Gogh un peintre remarquable. Pourtant de son vivant, il n’y avait guère que quelques amis pour s’intéresser à son œuvre ; il a fallu plus de trente ans pour qu’après sa mort on en vienne à admirer les formes nouvelles, les couleurs qu’il avait su créer, le monde qu’il donnait à voir. Un long travail dans la société a été nécessaire pour que le public s’arrache aux formes traditionnelles auxquelles il était habitué et qu’il ouvre les yeux sur la beauté d’un univers nouveau.

Un phénomène assez semblable s’est produit dans la vie de Pierre, Jacques et Jean. Que s’est-il passé exactement sur la montagne où ils avaient suivi Jésus? Ne soyons pas dupes du récit que nous livre St Matthieu. Aucun texte n’est capable de raconter ce qui s’est réellement produit ; ce qui est sûr c’est qu’il y eut un moment où leurs regards se sont ouverts sur le mystère de cet homme dont ils étaient les disciples. Certes, ils s’interrogeaient sur cette personnalité hors du commun : « Quel est donc celui-ci à qui le vent et la mer obéissent ? » Ils étaient séduits par sa force pour repousser le mal et faire face aux puissants, par sa douceur face à la souffrance d’autrui, par son amour des plus démunis, par sa liberté d’esprit. Ils étaient souvent déconcertés par ses propos étranges : « Que peut bien signifier cette parole ? », disaient-ils parfois. Ils avaient sans doute conscience d’être en compagnie d’un grand prophète mais ils étaient loin d’imaginer quel univers celui-ci était venu manifester.

Au cœur de leur aventure il y eut ce moment d’illumination qu’évoque l’évangile de ce jour.

« Qui le voit voit le Père »

Le visage du maître leur semble « brillant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière. » L’expérience est renversante : « Ils tombèrent face contre terre…saisis d’une grande crainte. » Le regard se brouille ; la lumière est obscurcie : « Une nuée lumineuse les couvrit se son ombre. » Les temps sont bouleversés et le passé rejoint le présent : « Voici que leur apparurent Moïse et Elie. » Devant cet événement, on ne peut rien dire ; Pierre tente de parler mais aussitôt sa parole est coupée. Ce qu’ils ont sous les yeux est une parole qui vient de loin : « Il parlait encore et voici que de la nuée, une voix disait : Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui je trouve ma joie ; écoutez-le. » Voilà le secret de ce texte ; Pierre, Jacques et Jean ont brusquement perçu que Celui qu’ils avaient sous les yeux était parole du Père. « Qui me voit voit le Père » dira plus tard Jésus. On dit parfois que sur la montagne le Nazaréen avait changé de visage ; il est au moins aussi exact de dire que Pierre, Jacques et Jean ont changé de regard.

L’expérience sans doute fut brève et la vie reprit son cours. Le mystère du Maître a recommencé à s’épaissir. Peu après la scène ; Jésus révéla quel avenir l’attendait : mourir et ressusciter ; mais « ils ne comprirent rien à cette parole. » La vie a continué jusqu’au jour tragique où l’un des trois compagnons de la montagne retrouva ce regard qu’évoque l’évangile de ce jour. Ce qui apparaissait de Jésus était insoutenable : ses amis s’étaient enfuis pour ne pas voir, sauf Jean qui n’a pas baissé les yeux sur ce corps en croix. Le regard sur ce visage « défiguré » déchiffrait le même message que celui qu’il avait perçu au jour de la « transfiguration ». Il insiste pour témoigner qu’il a bien vu : « Celui qui a vu rend témoignage et son témoignage est véritable et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que, vous aussi, vous croyiez. »

Croire : tel est sans doute le mot exact pour dire l’expérience des trois amis. Cette expérience est aussi celle du groupe des apôtres le troisième jour après la crucifixion. La résurrection elle non plus ne va pas sans le regard de ceux qui en sont témoins. La Résurrection n’est pas la cause de la foi : foi et Résurrection échappent au jeu des causes humaines ; elles vont de pair. C’est avant de l’avoir vu physiquement que Jean en vint à croire au bord du tombeau : posant son regard sur quelques linges, « il vit et il crut ». La foi est ce regard qui se posant sur une réalité humaine perçoit la présence, dans l’histoire, de ce Dieu qui s’incarne dans le monde.

Ouvrons les yeux

Une force a changé la société pour la rendre capable de voir, avec des yeux neufs, l’univers de Van Gogh. Pour y pénétrer, il faut s’arracher au piège des images : la télévision et les affiches nous envahissent. La foi ressemble à ce travail qui permet d’admirer des œuvres belles : c’est celui de l’Esprit. « Seigneur je crois, mais augmente ma foi » : cette prière de Pierre doit être la nôtre. Nous n’aurons jamais assez ouvert les yeux pour saisir le travail de Dieu qui ne cesse de se manifester.

Oui, ouvrons les yeux. Certes l’actualité, peut-être, nous déçoit, l’incompréhension de notre entourage nous fait mal, la souffrance et le deuil nous atteignent, notre pays ne sort pas du chômage, le cosmos est menacé. Nous avons pourtant « la faiblesse de croire » que notre histoire est à la fois traversée et dépassée par la tendresse de Dieu. Ouvrons les yeux sur notre humanité. Chaque visage, comme celui de Jésus sous les yeux de Pierre, Jacques et Jean ; fait entendre l’amour du Père. De chaque personne, Dieu nous dit : « Celui-ci est mon enfant bien aimé. »

Michel Jondot