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Débat avec l'équipe animatrice
Michel J. :
Il y a dans ta démarche une conception de l’amour que je trouve très belle. Dès le point de départ, quelque chose m’a frappé :
j’ai reconnu dans le mal que tu dénonces un comportement catholique : « tu n’es pas aimable mais je t’aime quand même » C’est
comme cela que souvent on nous présente Dieu… « Reconnaissons que nous sommes pécheurs… mais Dieu nous pardonne… » disons-nous au
début de chaque eucharistie. Je pense qu’une démarche comme celle-ci peut assainir beaucoup notre relation.
Etienne :
Les personnes qui viennent vous voir n’ont pas d’ami(e)s auxquels elles peuvent se confier ?
Marianne :
Cela n’a rien à voir. Il est vrai qu’il existe de vrais amis mais les situations sont tellement inextricables que même en ayant des amis
les victimes sont isolées. Ce qui est difficile c’est qu’on est très vite dans un faisceau de mensonges. On ne sait plus où est la vérité.
C’est pour cela qu’il est important d’avoir une ligne directrice et de pouvoir prendre du recul.
Corinne :
Les victimes n’ont pas forcément conscience de ce qui leur arrive. Elles souffrent mais n’ont pas nécessairement conscience de l’origine
de leur souffrance. Même pour les tiers ce doit être très difficile de démêler puisque tout se passe dans l’intimité.
Marianne :
C’est difficile pour les tiers et pour les victimes. Il faut du temps pour prendre conscience de ce qui arrive. Il y a des déclics dans
la prise de conscience. Souvent ce sont les enfants en pré-puberté qui sont les déclencheurs (avant on les materne). Parfois il s’est passé
beaucoup d’années où on a vécu dans le mensonge, la souffrance, le dénigrement. Les victimes sont des « loques » qui sont devenues
incapables de réagir. Quand on commence à essayer de leur faire préciser leur demande, on est souvent devant une grande marche arrière.
Ensuite, quand bien même il y a une prise de conscience et la volonté de s’en sortir, ce n’est pas fini ; on est parti pour une bagarre
redoutable. C’est une vraie guerre. A l’intérieur des personnes on a la même guerre que celles que l’on voit dans la société. Pour moi
c’est l’infiniment petit et l’infiniment grand. Ce que je dis est peut-être un peu simpliste. Mais je crois qu’on assiste dans les deux
cas à une même espèce de lutte à mort entre mon territoire et celui de l’autre, d’où je viens, qui je suis, en quoi je crois... C’est la même quête
d’identité - de dire j’existe - mais est-ce que j’existe en dévorant l’autre ?
Etienne :
J’ai été frappé de ce que conseiller la séparation soit dangereux.
Marianne :
Cela peut être dangereux. Tout dépend de l’état de la personne. Il faut voir aussi que l’autre attaque.
Vous déclenchez une guerre. Si vous voulez délier cela, c’est la guerre où tous les coups sont permis.
Christine F.:
Si on ne peut ni lier ni délier comment peut-on en sortir ?
Marianne :
Tu négocies.
Etienne :
Pourquoi dire qu’il ne faut pas faire de psychothérapie… Je ne suis pas du tout analyste mais faire prendre conscience aux victimes
de ce qui leur arrive et par le fait même leur permettre de rebondir d’une manière ou d’une autre, cela semble plutôt une bonne chose...
Marianne :
Bien sûr cette prise de conscience est indispensable. Mais il y a un temps pour tout. Quand on est dans un processus de séparation,
ce n’est pas le moment d’entreprendre une analyse. Il faut un accompagnement un peu musclé pour redonner de la confiance aux victimes.
Donc il faut des psychothérapeutes qui puissent aider, plus interventionnistes que dans une écoute bienveillante où va pouvoir se
faire la prise de conscience. Ce n’est pas le moment. C’est le moment d’être vraiment à côté de la personne et de formaliser les choses
pour lui donner de l’assurance et de la force.
Corinne :
Par rapport à votre retour d’expérience, les femmes arrivent-elles à reconstruire une relation normale avec un homme ?
Marianne :
C’est dur et met très longtemps. Il faut d’abord avoir traversé la séparation et que les enfants eux aussi soient sortis d’affaire… tout
le temps où les enfants sont soumis à des manipulations on n’en est pas sorti. Il faut que les victimes se reconstruisent socialement,
professionnellement. Sur le plan affectif, certaines retombent dans le panneau, sous d’autres formes. Il y a des histoires qui se répètent.
Dans la presse on ne parle que du pervers narcissique. Des livres vous expliquent comment reconnaître le pervers narcissique mais ce n’est
pas si simple. Les gens disent : « A quoi vais-je savoir que je n’ai pas à faire avec quelqu’un qui se révélera un prédateur ? »
Pour échapper à un prédateur, son profil importe moins que d’avoir ou d’acquérir soi-même une maturité dans la relation.
Iyad :
Tu n’as pas parlé du syndrome de Stockholm.
Marianne :
Le syndrome de Stockholm est l’identification de la victime à l’auteur : par exemple, tu as été pris en otage et tu adoptes le discours
de ton agresseur, tu partages ses valeurs, tu te mets à penser comme lui. Dans les situations de violences conjugales il n’y a pas cela.
La question n’est pas que la personne s’identifie à son agresseur mais qu’elle l’aime. Ce n’est pas le même mécanisme. Les victimes de
violences conjugales n’adoptent pas le point de vue de l’autre, elles se soumettent totalement à lui. Elles sont vampirisées. Elles ont
un amour inconditionnel qui leur fait accepter d’être constamment humiliées et dénigrées. Ce qui leur manque c’est de dire : « Mais
cela ne va pas, et moi alors ! »
Michel J. et Corinne :
Il semble que des gens soient prédisposés à ce statut de victime… et que le bourreau et la victime se cherchent un peu…
Marianne :
Je ne suis pas pour cette interprétation. Il est vrai qu’il n’y a pas de hasard, il faut un terrain favorable.
Mais le problème en disant qu’ils se cherchent c’est que judiciairement il y a des gens qui disent « vous l’avez bien cherché »,
autrement dit « c’est de votre faute ». C’est un piège car cela donne des arguments au bourreau et ne permet plus la prise de
conscience par la victime de sa situation d’aliénation.
Marité :
Pour moi, Marianne a dit deux choses très importantes : d’une part on est dans une pathologie, d’autre part la nécessité du tiers.
Qui dit pathologie dit tiers non familial mais tiers avisé, thérapeute, professionnel qui va pouvoir faire la part entre l’agresseur, la victime,
les inversions de positions ; quelqu’un capable de faire un étayage solide sans prendre de décision à la place de l’autre ; quelqu’un qui
ne cherche pas à donner des conseils mais qui est capable de renforcer chez l’autre ce qui peut lui permettre de devenir progressivement autonome.
Je crois qu’on est dans une vraie pathologie qui suppose une médication efficace et ajustée.
Marianne :
La médication sera bonne quand il y aura une cohésion de tous les intervenants.
Fin du débat avec l'équipe animatrice.
Régine
Très beau texte ! Moi qui suis un petit peu dans la partie, je trouve que l'analyse clinique est très bien pensée et sort des clichés propagés
aussi par les psy.
Esthelle BEJAUD,
psychologue scolaire
On ne peut pas comprendre ces phénomènes psychologiques si on ne se penche pas sur le passé de chacun des protagonistes, et particulièrement,
sur le passé des victimes. Chaque histoire est singulière mais toutes comportent des traits communs. Face à un séducteur, il y a un ou une séduit(e),
c'est à dire une personne qui est dans l'incapacité à l'âge adulte de discerner, de repérer la séduction qui est TOUJOURS mensongère.
Pourquoi cela ? Si on refuse de moraliser ce constat, il s'agit d'adultes qui ont dans leur enfance été victimes de séductions visibles
ou invisibles (et cela peut aller du parent gentil qui abuse sexuellement, au parent gentil qui devient tout à coup humiliant, au parent qui
façonne une petite fille modèle et gentille dans un chantage affectif que l'enfant ne perçoit pas... les situations de séduction d'enfants
sont multiples et variées). Il faudra un très long travail d'analyse pour que l'adulte commence à prendre conscience de la séduction ou de
l'humiliation dont il a été victime. On peut le comprendre avec sa tête pour autrui, et n'en avoir aucune véritable conscience dans son corps.
Il n'est pas du tout facile de s'extraire de fonctionnements qui vous ont façonné.
Autre point à souligner : les enfants sont irrépressiblement attachés à leurs parents, et ce type de séduction fait toujours affleurer la peur
de l'abandon. L'enfant ne peut pas résister au parent séducteur tant il a peur de l'abandon. Il va donc se jeter dans ses bras, il va participer
de cette séduction pour aimer et être aimé. Lorsque cela dure une enfance entière, l'enfant est alors façonné sur ce mode et devient un adulte
INCAPABLE de voir la séduction et l'humiliation qu'il confond avec l'amour. Cela donne des enfants qui perdent leur intelligence, qui perdent
leur vivacité d'esprit pour coller au plus près du fonctionnement parental. Pour ne pas perdre l'amour du parent, l'enfant s'empêche de penser,
de discerner la séduction, le mensonge. Devenu adulte, il ne PEUT pas la voir.
Si on ne connaît pas ces fonctionnements très subtils, on ne comprend rien à la paralysie des victimes