L’association AJC
La banalisation de la violence morale doit à tout prix être supprimée et c’est dans ce but que l’association AJC a été créée en automne 1999. Un an auparavant,
Jean-Claude, dit "J.-C." se suicide ; il avait 38 ans. Son geste était la dernière manifestation de sa douleur et de son désarroi : il était, depuis des années,
victime de « violence morale » dans son couple. Pour faire face à son impuissance, sa sœur décide de fonder une association avec une psychiatre très sensibilisée
au phénomène. Elles décident de lutter contre cette atteinte à la dignité humaine et de mettre tout en œuvre afin d’obtenir une reconnaissance juridique des
préjudices subis. Le nom de l’association s’impose très vite, non seulement comme un hommage "à JC" mais parce que cela forme le phonème de AGISSEZ.
« ASSOCIATION AJC CONTRE LA VIOLENCE MORALE DANS LA VIE PRIVEE ».
« AJC » est aujourd’hui une petite association qui comporte une présidente, deux salariés et deux bénévoles mais environ 450 membres. Submergés par
des demandes d’aide aux victimes de la violence morale en famille, ils ont fait appel à moi : quel genre d’aide apporter à ceux qui frappent à leur porte ? On
me demande de réguler l’équipe ; je fais un travail de supervision pour deux stagiaires en DEA de psychologie, chargés de l’accueil. Nous répondons à
un besoin bien précis, la violence morale, mal identifiée et masquée par les grosses associations concernant la violence physique. Nous venons d’éditer un livre :
La violence morale au quotidien, (Editions J.Lyon , mars 2013). Il s’agit ainsi de se faire connaître. L’équipe a été aidée par une journaliste pour
la rédaction, une avocate bénévole et une psychothérapeute (moi-même). Nous avons aussi un site internet :
http://www.ajc-violence.org
La violence morale est invisible
Que dire de la violence morale dans la vie privée ? Contrairement à la violence physique qui se voit, la violence morale ne se voit pas : les coups portés sont
bien réels mais ils ne laissent pas de traces sur le corps. Et cela complique tout. Tout d’abord le problème de la définition de cette violence est posé, y compris du
point de vue juridique. En août 2010 une loi est sortie qui reconnaît une violence morale et un préjudice qui ressort du pénal ; cette loi a été supprimée, parce
que trop imprécise, puis réintroduite très rapidement par François Hollande. Heureusement parce que ce vide juridique était très grave. Aujourd’hui, cette loi reconnaît
que la violence morale dans la sphère familiale est une infraction mais il est très difficile de l’appliquer dans la mesure où on ne peut guère décrire cette violence
puisqu’elle est « invisible ».
Bien qu’elle engage l’équilibre entier d’une famille, la violence morale se déploie toujours entre deux personnes seulement : un homme et une femme, un homme
et un enfant ou une femme et un enfant. L’une de ces personnes a absolument besoin de l’autre pour exister, comme un prédateur a besoin de sa victime pour subsister.
Dans le même temps, la victime dépérit. Des mécanismes pervers de dénigrement, de dévalorisation, de chantage affectif, d’assujettissement de la personne, se mettent en
place. La culpabilisation est un levier important. Il faut absolument isoler la victime et la culpabiliser pour pouvoir agir sur elle.
Tout repose sur un paradoxe : entre l’auteur et sa victime existe un lien ; au nom de cet attachement on va dire à l’autre : « Tu n’es pas aimable, on ne peut pas
t’aimer parce que tu ne vaux rien »… « Tu n’es pas aimable mais je t’aime ; j’ai besoin de toi et en même temps je passe ma vie à démontrer que tu n’es pas aimable. »
Le lien est en même temps très fort et très destructeur. Le couple est pris dans une sorte de spirale infernale. Affirmer à l’autre qu’on l’aime bien qu’il ne soit pas
aimable, fait supporter à la victime une injonction paradoxale qui l’aliène, la rend folle. Le lieu de la sécurité affective devient celui de la souffrance.
De l’extérieur quand on entend les femmes ou les hommes témoigner de cette situation, on se demande pourquoi ils restent ensemble. De cette question est né un courant
psychologique contre lequel combat l’association : la victime aurait quand même choisi cette situation; elle trouverait une satisfaction à être sous l’emprise d’un tel
prédateur. Si on ne comprend pas qu’une sorte de mécanisme s’est mis en place dont il est extrêmement difficile de sortir, on conclut que la victime n’a qu’à partir,
se détacher et en finir. En réalité cela ne marche pas ainsi : l’attachement à l’autre retient. Il n’y a pas le bien et le mal mais une sorte de système qui se
met en place et engendre des souffrances extrêmes.
Les chiffres
Nous n’avons pas vraiment de chiffres puisque cette violence est difficile à définir et à nommer. Dans un couple, nous nous sommes tous, un jour ou l’autre sous
le coup de la colère, traités « d’abrutis ». Mais ce n’est pas pour cela que nous sommes violents au point de détruire l’autre ou de l’aliéner. Quand est-ce que
cela bascule dans une relation pathologique que la société ne peut pas tolérer ? Où sont les limites ? Elles sont très difficiles à définir. Donc nous ne possédons
pas vraiment de chiffres sur la violence morale. Nous avons tout de même quelques repères. En 2009 le ministère de l’intérieur a publié des statistiques disant
que tous les deux jours et demi une femme meurt de la suite de violences conjugales (à peu près 146 femmes par an). Chez les hommes, tous les 14 jours il y a une
mort de violence conjugale.
Mais, en l’absence de preuves concernant la violence morale, on ne peut s’appuyer sur cette statistique. En 8 ans, j’ai moi-même suivi en psychothérapie une dizaine
de femmes victimes de violence morale. Deux sont mortes : l’une s’est suicidée et l’autre est tombée dans sa chambre dans un état d’épuisement total. Je l’avais en
psychothérapie depuis trois ans ; elle était séparée, protégée de son mari ; les enfants étaient sortis d’affaire. Physiquement son médecin ne pouvait rien : elle
était en train de disparaître. Paradoxalement alors qu’enfin tout allait bien, qu’ elle se trouvait dans une zone de confort, elle a fait une chute tant elle était affaiblie
et elle en est morte. L’autre s’est jetée par la fenêtre ; elle était en plein milieu de la tempête. Un décès se constate ; lorsqu’il est écrit « motif de
la mort : violence conjugale », cela inclut évidemment plutôt la violence physique. Dans le cas de mes patientes, il n’a pas été signalé qu’elles avaient
succombés à cause de violence morale. En 2005, une évaluation faite par le ministère des droits de la femme dit qu’à peu près 500 000 femmes par an sont victimes
de violence au sein de la famille.
Les profils des victimes et de leurs prédateurs
Les victimes sont majoritairement des femmes mais il y a aussi des hommes. Je n’ai pas d’explication sur ce point. Est-ce sociologique ? La femme est-elle davantage
dans un rôle de dépendance ? Cependant certains profils de femmes, auteurs de violence, sont redoutables. Une des stagiaires a fait un travail sur
le « stoking » : une thèse américaine montrant que le prédateur est un pervers narcissique. Les pervers narcissiques séducteurs, affirment leur emprise
sur une jeune brebis qui, avant que cela ne tourne au vinaigre, se sent très valorisée d’avoir été choisie. Le pervers narcissique est un des profils possibles mais
ce n’est pas le seul. Sans entrer dans les détails, l’association travaille sur plusieurs profils dont le point commun est une mainmise sur une seule personne. En dehors de
cette relation duelle, les prédateurs peuvent être très gentils et très intelligents. Ils appartiennent à tous les milieux.
Il faut distinguer la relation en famille et la relation sociale. Les auteurs de ce genre de violence sont des gens souvent tout à fait bien intégrés. Leur violence
est d’autant plus invisible et discrète. Même dans la famille proche – celle du prédateur ou de la victime – il n’est pas rare de considérer l’auteur de violence
comme particulièrement remarquable et très généreux (« il pense toujours aux autres »). Il peut jouir d’une aura de la part de ses collègues ou de ses voisins.
Il peut avoir des activités associatives. C’est dans le rapport duel – au sein du couple – que se déploie cette pathologie qui consiste à ne pouvoir exister
qu’en détruisant l’autre à petits feux.
Les pervers narcissiques vont manipuler l’autre sans éprouver la moindre culpabilité. Ils sont en général très doués dans le maniement du verbe, l’argumentation. Mais
on peut aussi trouver des paranoïaques, qui se sentent persécutés par tout le monde et sont toujours en train de faire des procès. On peut aussi avoir, à l’inverse, celui
qui a un profil de victime : il arrive avec son histoire et raconte qu’il a eu une enfance très malheureuse : il demande à son partenaire de le réparer en lui
donnant tout son amour. Quand l’autre le fait, il passe son temps à lui dire - en secret dans l’intimité - que ce n’est pas assez, que c’est nul, que ce n’est
pas à la hauteur. Quand on écoute ce type de prédateur, on a l’impression que c’est lui la victime. En revanche, un autre pourra se présenter comme très suffisant
et agressif. On peut avoir des profils contraires. Ils n’ont pas vraiment d’importance. Le regard doit porter sur « le rapport intime à l’autre ».
On comprend que pour la justice ce soit très difficile. La question est de qualifier ce qui s’est passé dans la relation duelle. Jusqu’où est-on allé ? Quand
a-t-on porté atteinte au psychisme de l’autre ? Les conséquences sur la victime sont une dégradation de tout le psychique ; elle perd la capacité de penser
de façon autonome ; son jugement est complètement faussé ; elle perd le contrôle de ses émotions ; elle est complètement asservie à celles de son
prédateur. Autant l’auteur de violence a souvent des liens sociaux normaux, autant la victime est toujours isolée. Souvent l’auteur a réussi à mettre la famille de
la victime dans son camp : la mère de la femme victime, ou son père, lui dit d’arrêter de se plaindre, qu’elle a un mari en or. Au sein de sa
propre famille elle est aliénée.
Du côté des victimes, il y a selon moi deux profils :
- Premier profil : la victime qui encaisse sans rien dire soit parce que dans sa propre histoire elle a été le bouc-émissaire de son entourage,
soit parce qu’elle s’est habituée à être le « vilain petit canard » et à porter tout le fardeau. Pour elle, c’est comme une routine, elle accepte parce
qu’elle a déjà vécu cela et trouve que c’est normal. Elle veut exister en réparant quelqu’un et tombe dans ce piège.
- Second profil : il s’agit de femmes choyées, avec des parents aimants, une belle histoire. On se demande comment elles ont pu tomber dans cette galère.
Chez des personnes ayant de l’instruction, un bon métier, on voit la dégradation se produire d’une manière incroyable : au fur et à mesure des années elles
deviennent des loques. J’ai connu la directrice de la communication d’un grand groupe, une avocate. Comment, à ce niveau d’aisance culturelle et sociale, en est-elle
arrivée là ? La seule « explication » : elles ont vécu comme des « enfants-bulles » ou des « enfants-rois ». De même
qu’elles ont tout reçu, sans limite, quand elles étaient petites, de même elles considèrent leur compagnon comme ce petit à qui il est normal de tout donner.
Ces deux profils de victimes se rejoignent dans un manque de lucidité et de maturité sur le plan relationnel. On est en présence d’une pathologie du « savoir aimer ».
Aimer ce n’est pas dévorer ou tuer l’autre. On n’aime pas aux dépens de l’autre. Quand c’est toujours l’un qui est sollicité à donner toujours plus et sans retour, quand à
chaque rencontre il est systématiquement diminué, il lui faut prendre ses jambes à son cou. Ce n’est pas normal. Un amour doit épanouir; cela ne doit pas enfermer,
aliéner ou rapetisser. Il est difficile de comprendre pourquoi les victimes restent dans une situation si aliénante.
Le problème de la séparation
Au sein de l’association, beaucoup viennent demander de l’aide et on serait tenté, devant leur détresse, de les pousser à se séparer. En fait les victimes
ne viennent pas nécessairement demander cela et les y pousser serait une erreur : la séparation peut les tuer car elles sont prises dans une relation ambivalente
entre attachement à l’autre et désir de sortir de son emprise.
Aux problèmes psychologiques s’ajoutent des problèmes judiciaires. Certaines victimes ont déjà engagé un processus de séparation avant de venir à l’association.
Ce qui les pousse à franchir notre porte est la galère dans laquelle elles se trouvent. Du point de vue juridique, il leur est difficile de fournir des preuves
de la violence qu’elles subissent. Il n’est pas possible non plus d’envisager un divorce à l’amiable puisque le lien est vital pour l’auteur de violences. Je ne
suis pas spécialiste de questions judiciaires, mais d’après ce que j’en vois, c’est souvent un imbroglio. Le dossier est tiraillé entre de nombreux intervenants
(avocats, juge, éducateurs…) qui ne se coordonnent pas. Il n’est pas rare qu’une procédure de divorce prenne dix à quinze ans… durant lesquels la victime demeurera
sous le joug de son prédateur.
Les enfants sont toujours les premiers à souffrir : ils grandissent dans un climat de haine, de distorsion, de langage paradoxal. Mais est-il meilleur pour eux que
le parent asservi envisage un divorce qui risque d’alourdir encore le climat familial pendant plus de 10 ans ? Souvent le parent-victime attend pour envisager le
divorce que les enfants soient sinon majeurs au moins sortis de la petite enfance. D’autant que le prédateur peut-être très gentil avec ses enfants : ils peuvent
le ressentir comme un bon père (ou une bonne mère) et prendre son parti.
Ceux qui accueillent, au sein de l’association, sont très circonspects à parler d’emblée de séparation pour une autre raison : en effet, des victimes mais aussi
des auteurs viennent frapper à la porte en se camouflant sous des aspects de victime. Comme le divorce est un combat judiciaire, beaucoup essayent d’utiliser l’association
pour avoir de l’emprise et marquer des points contre la demande de séparation de leur conjoint.
Le premier travail à faire est celui d’une prise de conscience et d’un accompagnement des personnes qui viennent solliciter l’association. C’est la base.
Des groupes de parole fonctionnent pour permettre que la souffrance s’exprime. Ensuite si ces personnes ont besoin d’aide sur le plan juridique, on tente de la leur
fournir. Mais c’est un travail très pointu et compliqué.
Les enfants
Tant qu’on reste dans l’histoire familiale et dans cette pathologie du lien, les enfants sont dans une position délicate. Ils grandissent dans ce creuset et sont
aux prises avec une violence redoutable. Comment grandir en s’identifiant avec des parents dont on assiste à la dévalorisation de l’un ou de l’autre ?
La séparation des parents pose aussi une autre question : la justice veut une égalité de droit de garde de l’enfant en cas de divorce. Elle considère que si cet
homme et cette femme ne s’aiment plus ils ont le droit de divorcer mais qu’ils seront toujours parents. Or quand le parent prédateur se fait passer pour la victime,
la situation pour l’enfant est intenable. Il entend de la part de son père (ou de sa mère) : « Moi je suis ton père (ou ta mère) et je t’aime. J’ai passé 10 ou 15 ans
à démontrer que j’aime ta mère puisque je lui ai fait deux, trois ou quatre enfants (les familles nombreuses ne sont pas rares) ; c’est ta mère qui veut
la séparation parce qu’elle est une mauvaise épouse et une mauvaise mère. » Comment un enfant peut-il, dans ce contexte, trouver des repères ? A qui la justice
va-t-elle confier la garde de l’enfant ?
C’est souvent lorsque les enfants grandissent que les femmes (ou les hommes) se disent que la situation ne peut plus durer. La violence en général ne s’exerce pas
sur les enfants : c’est vraiment l’autre membre du couple qui pose problème. Certains enfants, pour s’en sortir, ne pensent plus rien ; ils sont des champions
de l’hyper adaptation. Ils ont 20 sur 20 partout. S’ils se mettent à investir à l’école, tant mieux. Mais ces surdoués - ou ces enfants qui ont de bonnes
notes - sont coupés de leurs émotions. Ils n’associent rien : cette situation dont ils sont issus est tellement impensable… On peut se poser la question de savoir
comment ils pourront nouer des relations affectives dans l’avenir. D’autres enfants pataugent complètement ; ils décrochent de l’école, sujets à de l’anxiété et terrorisés
à l’idée de parler de maman ou de papa selon qu’ils sont dans leur famille paternelle ou maternelle. On voit une énorme souffrance. Alors qu’est-ce qui peut sauver tant
les enfants que les parents-victimes ?
Le recours à un tiers
Le recours à un tiers est salvateur : il permet de sortir de cette dynamique mortifère. Le tiers peut être le psychothérapeute, la justice ou l’association.
Le psychothérapeute
Certains psychanalystes pensent que la première chose à faire c’est d’installer les victimes sur leur divan afin qu’elles puissent en venir à prendre conscience
de leur situation et de son origine. Selon moi, la psychothérapie n’est pas forcément la meilleure réponse si la victime s’achemine vers un processus de séparation ou si
elle est totalement perdue. D’une part, on ne peut pas agir – prendre une décision importante qui engage l’avenir – quand on est en analyse. D’autre part,
les victimes ont besoin de soutien de la part du psychothérapeute plus que d’une analyse. Il me semble préférable que le thérapeute joue le rôle de support, de
béquille : il sert juste à renforcer les défenses de la victime pour qu’elle puisse récupérer ses facultés de penser, sa liberté de ressentir des choses,
la possibilité de retrouver son autonomie, de redevenir un individu à part entière. Quant aux auteurs de violence, en général ils ne sont pas demandeurs d’aide psychologique
ou, s’ils le sont, c’est dans un but de manipulation ; on est dans un faux-semblant.
La justice
Dire « judiciaire » c’est faire allusion au regard de la société et de la civilisation. Le cadre juridique rend possible ou impossible que de telles situations
existent. Il permet à la victime – mais aussi à l’auteur de violence – de prendre conscience du caractère pervers ou injuste de la situation. Cela aiderait
beaucoup que le cadre juridique soit clair. En France c’est loin d’être le cas. Il existe en Allemagne ce qu’on appelle des modèles de « droit collaboratif ».
Sur des problématiques complexes comme celles-là il serait indispensable que tous les acteurs et intervenants soient contraints à travailler ensemble. L’association
croit beaucoup à une initiative en Allemagne : le modèle ‘Kochem’. Le juge familial prend la main sur ce genre de situations en disant : « Désormais
nous travaillerons tous de concert ; il est hors de question que n’importe quelle décision puisse être prise de façon indépendante ». L’ensemble des
intervenants (juge, avocats, éducateurs, etc.) devient un tiers entre les deux protagonistes. Ce tiers doit être uni ; les acteurs - sous la houlette du
juge - collaborent avec des règles de fonctionnement très précises pour des prises de décisions qui soient toujours dans l’intérêt de l’ensemble des plaignants
(auteur, victime ou enfants). Ce mode de fonctionnement permet d’éviter la guerre, par avocats interposés ; il empêche que les divisions familiales se reproduisent
au niveau judiciaireQuand la société, par le biais du droit, fait tiers on peut espérer sortir de ces situations sans cela inextricables.
L’association AJC
Le fait qu’un espace soit ouvert où les victimes puissent rencontrer quelqu’un pour les accueillir sans préjuger d’avance de ce qu’elles devraient faire permet
de sortir d’un isolement complet. Dans l’association AJC, l’accueil est assuré par une spécialiste en criminologie (pour les aspects judiciaires) et, comme je l’ai dit,
par deux stagiaires en dernière année de psychologie. Je ne fais pas moi-même l’accueil, je forme des psychologues qui le font dans le cadre de leur master. Ces stagiaires
ont un travail d’écoute et de formalisation de l’entretien d’accueil ; elles passent ensuite la main à l’une des deux conseillères (juriste et psychologue)
qui considèrent si les personnes sont prêtes ou non à entrer dans une démarche. Si elles ne le sont pas, nous attendons qu’elles murissent éventuellement. Si elles sont
prêtes, nous leur proposons de venir dans un groupe de parole où les victimes vont pouvoir entendre ce que vivent d’autres victimes et progressivement prendre conscience
de leur situation. Une aide juridique est également proposée à ceux qui le souhaitent. Ceci pour les victimes. Quant aux prédateurs, ce qui marche c’est de les intégrer
dans un travail de dynamique d’équipe, de thérapie de groupe à condition que dans le groupe il n’y ait pas un autre prédateur. Il faut un groupe suffisamment fort pour
supporter, au milieu des victimes, la présence d’un prédateur.
Que l’on passe par l’aide d’un psychothérapeute, par la justice ou par une association, il est vital pour les victimes de trouver des lieux qui leur permettent
de sortir de cet isolement destructeur, d’une solitude si totale qu’elle peut conduire au suicide. Les victimes et les enfants sont dans un tel état de manque
de confiance, d’insécurité et de mensonge qu’elles ne peuvent s’en sortir sans l’aide de tiers.
Marianne Huteau (propos recueillis par Nicodème)
Peintures de Michaël Sorne - Série "La guerre"