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A l'écoute du corps
Nicodème

« Devant la libéralisation de la morale sexuelle, des chrétiens s’insurgent. N’est-ce pas la preuve que l’Église méprise le corps ? » Bien des jeunes se posent cette question. Nicodème s’efforce de répondre.

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Au fil des siècles, nombreux furent les courants de pensée qui ont méprisé le corps. Platon voyait en lui une sorte de tombeau qui enferme l’âme, l’empêchant d’accéder à ce qu’il appelait la vérité. Selon Mani, un intellectuel perse du IIIème siècle, l’univers serait pris dans un combat où se heurtent la lumière et les ténèbres ou, ce qui revient au même, le Bien et le Mal s’opposent. Le corps s’oppose à l’âme comme le Mal s’oppose au Bien. L’âme est bonne et le corps est mauvais ; pour bien vivre il faut se méfier du corps. Plus récemment des courants, qualifiés de puritains ou de jansénistes, se sont imposés dans le monde chrétien ; ils consistaient à se méfier de ce qui touche notre condition charnelle, la nourriture, la boisson, la sexualité. La société était sous l’emprise d’un grand nombre d’interdits concernant par exemple le vêtement ou les relations entre l’homme et la femme. Au XVIIème siècle, on se demandait s’il n’était pas sacrilège d’aller communier lorsque, la veille, on avait dansé.

Au cours du siècle dernier et surtout après Mai 1968, on a vu, en Occident, tomber bien des interdits. Les relations sexuelles hors-mariage étaient unanimement réprouvées ; la limitation des naissances était prohibée. L’avortement était puni par la loi et, dans bien des milieux, le divorce était considéré avec méfiance. Aujourd’hui, on considère souvent, en matière de sexualité, que « tout est permis ».

Il se trouve qu’au fur-et-à-mesure qu’on l’exalte, le corps est de plus en plus méprisé. On reste assez peu ébranlé en constatant que, pour échapper à la faim, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants sombrent dans la Méditerranée. Les discours des candidats aux élections n’ont guère fait de place aux « va-nu-pieds » qui, dans notre pays, n’ont pas de toit, aux familles qui, le 20 de chaque mois, n’ont plus les moyens de se nourrir. Le comble du mépris s’étale dans les journaux quand on annonce le nombre de victimes dans les guerres. On estime à 1 300 000 le nombre des personnes tuées en Afghanistan, en Irak et au Pakistan, à 465 000 celui des morts en Syrie. Il a fallu que l’horreur se manifeste en nos pays pour qu’on soit abasourdi devant le prix qu’il faut payer à ceux qui sèment la violence.

La violence est le fruit de la haine alors, qu’en réalité, le corps est le lieu où l’amour peut se manifester. Certes, l’amour dans la rencontre sexuelle peut être source de joie. Il triomphe aussi dans la tendresse qui se manifeste dans un foyer, dans la main tendue à celui qui s’enferme en lui-même, dans le soin qu’on apporte au malade ou au blessé, à la façon du Samaritain dont parlait Jésus. Par-delà tous les courants qui le méprisent comme par-delà tous ceux qui s’y asservissent, le corps de chacun appelle autrui et d’abord il l’appelle au respect. On ne peut faire société sans y répondre.

Le chrétien, plus que quiconque, se doit d’entrer dans ce jeu d’appel et de réponse. L’amour ne va pas sans le langage. Dire « je ne lui parle plus » revient à dire « je ne l’aime plus ». En humanité tout commence avec la parole, ce qui revient à dire que tout commence avec Dieu : « Au commencement était le langage et le langage était chez Dieu et le langage était Dieu. » Ayant prononcé ces mots au tout début de son Évangile, Saint-Jean ajoute : « Et le langage a pris corps. » En voyant Jésus, en tendant l’oreille aux propos sortis de ses lèvres, en partageant les repas avec lui, les disciples ont compris que cet homme venu de Nazareth manifestait à la fois la réalité de Dieu et la réalité de l’homme. Dieu leur est apparu comme inséparable des propos échangés avec cet homme en qui la foule ne voyait que le fils de Marie et d’un charpentier.

Cette parole mystérieuse n’était pas seulement celle qui circulait à travers les mots de ses discours. Ses amis ont compris que son corps lui-même était parole envoyée par le Père. Roué de coups, condamné et cloué sur la croix, il était offert aux regards de la foule : Jean a insisté pour nous dire ce qu’il avait vu. Il a reconnu que celui qui était objet de mépris demeurait encore la parole qui faisait entendre le Père. Ce que Jean a découvert au jour du vendredi s’est manifesté aux autres apôtres à la Résurrection. Avant de retrouver vivant celui qu’ils savaient mort, ils reçurent au tombeau, c’est-à-dire au lieu où on l’avait enseveli, une parole, un message d’espérance.

« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » avait dit Jésus. Il est avec nous comme il était avec l’humanité dès son commencement : « Au commencement était le langage. » A la suite des philosophes grecs, on en est venu à séparer l’âme du corps. Mieux vaut distinguer, pour demeurer dans la cohérence de l’Évangile, la parole et le corps. La parole ne se réduit pas aux phrases de nos discours ; elle s’enracine dans notre chair, elle est inséparable de notre chair. Le corps parle : un regard, un sourire, une main tendue donnent à entendre. Le corps nous tourne vers autrui : il appelle ou il répond. Dans le vis-à-vis humain l’un et l’autre promettent ou menacent.

Mépriser le corps, l’asservir, en jouir, l’écraser, le tuer, oublier qu’il est un message à recevoir et à transmettre, c’est injurier Dieu qui nous rejoint dans notre condition charnelle.

Nicodème
Peintures de Marc Chagall

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