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Au cœur de l’Opus Dei
Maria del Carmen Tapia

Témoignage sur le fonctionnement et la vie quotidienne au sein de l’Opus Dei,
sur sa direction et sur la personnalité problématique de son fondateur, Mgr Escrivá

Éditions Albin Michel, 2016
Format numérique et papier


 
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Présentation

« Ce livre reflète ma vie dans l’Opus Dei et révèle en même temps la nature intrinsèque de cette institution, depuis 1948, lorsque je demandai, à Madrid, à être admise comme numéraire (1), jusqu’en 1966, à Rome, quand Mgr Escrivá m’obligea à présenter ma démission. Il raconte également les représailles dont j’ai été l’objet de la part de l’Opus Dei pendant de nombreuses années, alors que j’avais cessé d’appartenir à cette institution. »

María del Carmen Tapia est née dans une famille aisée de Carthagène (Espagne) en 1925. Elle entre officiellement en formation à l’Opus Dei en 1950. Progressivement, elle y exerce d’importantes responsabilités. L’intérêt de cet ouvrage est de faire sentir de l’intérieur en quoi Maria del Carmen y a été heureuse un temps et pourquoi elle a été détruite par la suite.

Nous nous contentons de relever quelques extraits de son histoire : ils concernent sa période de formation et décrivent l'organisation générale de l’Opus Dei. Cet ouvrage, d’une lecture facile en même temps que très documenté, mérite d’être lu intégralement.

Quelques extraits du livre

L’Opus Dei et l’Espagne franquiste

Qu’est l’Opus Dei, appelé officiellement « Prélature de la Sainte-Croix et Opus Dei » ? Il se définit officiellement comme une institution appartenant à l’Église catholique, qui fut fondée le 2 octobre 1928 par Josemaría Escrivá de Balaguer, prêtre espagnol, canonisé en 2002 par Jean-Paul II. Depuis sa fondation en 1928 jusqu’à nos jours, l’Opus Dei a connu divers changements. Je ne me donne pas pour tâche de retracer dans ce livre l’itinéraire juridique de cette institution, mais mon itinéraire personnel en tant que femme, ma relation directe avec le Fondateur et une époque dite « fondatrice », ainsi que ses conséquences. Et enfin, après ma sortie de l’Opus Dei, des appréciations concernant des faits très concrets.

(…) Depuis ma sortie en 1966, certaines choses ont changé. Les directrices ne lisent plus les lettres que les numéraires reçoivent ou envoient (mais elles demandent toujours d’en rendre compte) ; les femmes peuvent porter un pantalon ; un ou une numéraire, même prêtre, peut rendre visite périodiquement à sa famille apparemment sans problèmes ; quant aux téléphones portables, on ne sait pas encore très bien qui peut ou non les utiliser parmi les numéraires et les numéraires auxiliaires ; le fait d’être toujours accompagnée par une autre numéraire pour aller faire des achats, en particulier dans les cas des auxiliaires, n’est pas complètement réglé non plus. Mais, pour l’essentiel, l’Œuvre n’a pas changé, car l’idée que Mgr Escrivá répétait – « il n’y aura jamais de réformateurs ni de réformatrices » – est très claire.

Le Quartier Général de l’Opus Dei se trouve à Rome, au 36 rue Villa Sachetti. Il est composé d’une immense structure de bâtiments de styles différents, peu visibles de la rue et qui communiquent entre eux.

Le but de ce livre est précisément de permettre au lecteur de franchir cette porte et d’entrer dans la maison de la section féminine de l’Opus Dei, où j’ai vécu comme numéraire pendant six ans sur les dix-huit ans que j’ai passés dans l’Opus Dei. (…) Pour ce qui est de la totalité du complexe, Mgr Escrivá (2) observait souvent : « Je vous assure que je peux accueillir un cardinal à l’entrée principale, le conduire d’un bon pas à travers la maison, faire une pause d’une demi-heure pour déjeuner, poursuivre la visite et le laisser sortir par la porte de derrière à l’heure du dîner, sans que nous ayons vu ne serait-ce que la moitié de la maison. »

L’Opus Dei est un phénomène socioreligieux étroitement lié à la situation politique de l’Espagne, et en particulier à celle de l’après-guerre. À la fin de la guerre civile, les espoirs et les idéaux de la jeunesse s’affranchirent de l’animosité et de la haine de nombre d’adultes. Nous étions une jeunesse pleine d’aspirations : personnelles, politiques, religieuses. D’aspirations altruistes. Une jeunesse qui avait atteint la maturité à force de coups pendant les années de la guerre civile. (…) Ces enfants de la guerre civile espagnole, ces adolescents de notre guerre, ces jeunes gens des années quarante-cinquante furent, en majorité, ceux qui grossirent les rangs des premières vocations de l’Opus Dei. (…)

L’abbé Escrivá offrait la grande aventure : tout donner sans rien recevoir en échange ; conquérir le monde pour l’Église du Christ ; une vie contemplative à travers le travail ordinaire ; être missionnaires sans en porter le nom, mais avec une mission à accomplir. Pour les étudiants, il s’agissait de se surpasser dans leur tâche en transformant en prière le temps d’étude afin d’atteindre, plus tard, le poste le plus haut placé dans le monde professionnel, puis de l’offrir à Dieu. Il n’était pas question de devenir moines ou nonnes. Il s’agissait d’une question laïque. Le domaine de l’apostolat ? Notre environnement, parmi nos amies. Il n’existait pas de maison centrale : la maison de notre famille suffisait. Et que fallait-il dire ? Rien. La manière d’agir était basée sur l’exemple, sur le silence et sur la discrétion. Tous ces facteurs furent à l’origine d’un style particulier, d’une effervescence authentique chez les jeunes, les hommes et les femmes qui entrèrent dans l’orbite de l’Opus Dei durant la décennie des années quarante aux années cinquante et que l’on appelle dans le jargon de l’Opus Dei « les premiers » ou « les anciens ».

Entrée de Maria del Carmen à l’Opus Dei

Maria del Carmen, avant d’avoir connu l’Opus Dei, s’en méfiait. Lorsqu’on lui propose un poste d’assistante d’un scientifique de haut-vol, à la revue Arbor, elle l’accepte. Elle ignore alors qu’elle va travailler avec un membre de l’Opus Dei. Mise en confiance par ce prêtre dont elle estime l’intelligence, elle participe à une retraite de l’Œuvre durant laquelle on lui dit qu’elle est appelée par Dieu à devenir membres de l’Opus Dei. Seuls les hommes, à cette époque, ont le droit de se marier. MC est fiancée et se prépare au mariage…

Après plusieurs mois de luttes et après avoir sans cesse entendu que « mon chemin était tout tracé et que j’avais été choisie par Dieu pour cette nouvelle forme d’apostolat », je rompis avec mon fiancé et j’écrivis au président général, Mgr Josemaría Escrivá, la lettre requise pour lui demander d’être admise dans l’Opus Dei comme numéraire (membre à plein temps). Inutile de dire que, sur l’injonction de Guadalupe (3) et conformément aux règles de l’institution, je ne pouvais rien dire à qui que ce soit à propos de la lettre que j’avais écrite – qui impliquait un engagement absolu et à vie –, encore moins à ma famille ou à tout prêtre n’appartenant pas à l’Œuvre.

(…) Je dois reconnaître que l’Opus Dei m’attirait en tant que nouveauté laïque. Il me donnait l’impression d’être un groupe d’avant-garde au sein de l’Église : j’étais attirée par l’idée de sanctifier le travail ordinaire, d’être une missionnaire sans aller dans aucun pays lointain et en passant inaperçue, et de ne pas avoir à changer mon aspect extérieur pour mener une vie totalement consacrée à Dieu. (…)

Il ne fait aucun doute que la façon dont les responsables de l’Opus Dei me présentèrent la vocation était basée sur ma propre manière d’être si passionnée, et sur le fait que j’aimais faire les choses à fond. Ils virent ma soif d’apostolat et l’orientèrent vers l’esprit de l’Œuvre. Ils me firent voir les limites que le mariage impose à la tâche apostolique, ce qui engendra en moi un vrai dilemme. Ils virent aussi que je savais évoluer dans n’importe quel milieu et m’indiquèrent que je pourrais utiliser cette capacité pour aider spirituellement des femmes de mon âge et même, par la suite, des femmes mariées. Ils me firent aussi remarquer que, grâce à mes relations, je pouvais avoir accès à n’importe quel milieu. C’était vrai et j’avais conscience que quel que fût l’endroit où j’allais, je ne rencontrais pas de barrières. Ils me mirent face au dilemme suivant : mettre ce don au service de Dieu ou de ma propre vie. (…)

Formation

Six mois après avoir écrit sa première lettre à Mgr Escriva, alors qu’elle habite encore chez ses parents, Maria Carmen entre en formation pour une période de six mois, dans le centre Los Rosales.

C’est par un processus lent et sans à-coups, généralement de plusieurs années, que les supérieurs de l’Opus Dei modèlent les âmes et les personnes. Le point de départ est, bien entendu, la demande d’admission. Petit à petit, à travers une étape dite de formation, les personnes changent et finissent par acquérir ce « bon esprit » ou esprit de robot, entre les mains des supérieurs, sachant que « la formation ne se termine jamais ». (…)

Je voudrais clarifier ce qu’est la liberté dans l’Opus Dei, à la lumière de mon expérience et de celle de beaucoup d’anciens membres. Il y existe une liberté théorique, semblable à celle que décrit Soljenitsyne dans Le Premier Cercle. Les membres ne jouissent pas de la liberté parce qu’ils en ignorent la véritable signification. Disons qu’ils jouissent de la même liberté que n’importe quel membre d’un parti extrémiste ; en d’autres termes, que leurs possibilités de choix sont limitées aux options que leur offre l’Opus Dei. Ce qui dans la pratique signifie que leur liberté est toujours contrôlée et assujettie à l’endoctrinement « formatif » d’une manière ou d’une autre. Je donnerai, en guise d’exemple, celui de la confession. Théoriquement, un membre de l’Opus Dei peut se confesser à qui il veut, conformément à ce que stipule le code de droit canonique et à ce que disent les Constitutions de l’Opus Dei. Mais la pratique est fort différente ! Les membres doivent se confesser aux prêtres dans la maison où ils résident ou dans le centre auquel ils appartiennent. (…) Si un membre le faisait malgré tout, le directeur ou la directrice devrait en informer son supérieur immédiat, voire ses supérieurs à Rome. (…) Un prêtre numéraire qui entendrait la confession de quelqu’un n’appartenant pas à l’Opus Dei dans une église ou une chapelle étrangère à l’Œuvre est moralement obligé de rapporter le fait et de révéler le nom de la personne si un prêtre supérieur de l’Opus Dei lui en donne l’ordre. (…) Je me souviens très bien avoir entendu Mgr Escrivá dire dans la lingerie de l’administration de la Villa Sacchetti devant quelques-unes de celles qui, comme moi, formaient alors le Conseil central : « Je préfère un million de fois qu’une de mes filles meure sans recevoir les derniers sacrements plutôt qu’ils lui soient administrés par un jésuite. »

(…) Le plus terrible en ce qui concerne la liberté dans l’Opus Dei, ou, pour être plus exact, l’absence de liberté, tient au fait que cela se passe dans une institution qui appartient à l’Église catholique. Ni Jean-Paul II, ni Paul VI, ni aujourd’hui le pape François ne connaissent cet aspect négatif de l’Opus Dei. Je dirais que la facette politique, sociale et même professionnelle n’a dans certains cas que peu d’importance. Ce qui est véritablement grave, c’est l’étroitesse d’esprit des supérieurs de l’Opus Dei vis-à-vis de leurs subordonnés, le « lavage de cerveau » que, sous couvert de « formation spirituelle », de « connaissance historique » de l’Œuvre ou de ce qu’on appelle le « bon esprit », tous les membres subissent à travers un endoctrinement constant. Ce lavage de cerveau, même en admettant que tous les supérieurs agissent avec une intention excellente et droite, est le résultat d’une ignorance psychologique condamnable, dont l’application crée un sentiment de « conscience coupable » et transforme ces membres en des robots virtuels dans les mains des supérieurs

La formation commença officiellement le 2 février 1950.
En entrant dans la maison du centre Los Rosales, à quelques kilomètres de Madrid, la directrice nous conduisit à l’oratoire et ouvrit la porte pour saluer le Seigneur dans le tabernacle, comme on a coutume de le faire dans l’Opus Dei quand on pénètre dans la maison ou que l’on en sort. Nous montâmes immédiatement à l’étage, où se trouvaient les dortoirs. La directrice nous assigna nos lits. Il y avait à cet étage trois dortoirs pour vingt et une personnes, et une seule salle de bains. Les premiers jours, je dormis dans le dortoir de six lits, puis on me déménagea dans celui qui contenait douze lits pour le reste de mon séjour dans cette maison. Même si nous le savions d’avance, on nous dit en arrivant que les lits étaient en bois, sans sommier ni matelas. Ce fut la première fois que je dormis sur un lit en bois. Le bois était recouvert d’une couverture légère. Pour le reste, le lit se faisait comme n’importe quel lit : avec des draps, des couvertures et un dessus-de-lit. On n’utilisait qu’un oreiller.

Dans l’Opus Dei, les femmes numéraires sont les seules à dormir sur une planche. Tous les autres, que ce soit le prélat, les prêtres et les servantes ou numéraires auxiliaires, tous sans exception dorment dans des lits normaux avec sommier et matelas. On nous expliqua que c’était parce que nous, les femmes, étions plus portées sur le sexe que les hommes… Un exemple de la différence de traitement entre hommes et femmes et de la fixation que l’Opus Dei faisait sur le sexe. J’ai parfois entendu Mgr Escrivá dire qu’il avait emprunté cette idée à des sœurs cloîtrées qui vivaient à Madrid, dans le quartier d’Argüelles plus précisément. Les lits en bois ne sont pas particulièrement moelleux, mais on finit par s’y habituer. Le plus terrible, c’est le froid. Dans une maison comme Los Rosales, située au cœur de la Castille, en hiver, sans chauffage, le froid était si épouvantable que nous portions toutes notre manteau dans la maison. On ne chauffait pas parce que le charbon était cher et que le budget de la maison était très modeste. J’avais si froid la nuit que je n’arrivais pas à dormir

L’emploi du temps était organisé de telle manière que nous n’avions pas une seconde de répit ; point très important dans l’endoctrinement de groupe dans une secte : ne pas donner l’occasion à ses membres de pouvoir penser et réfléchir. Il fallait tout faire conformément à des directives imposées. Et pratiquement au pas de course. (…) Le genre de vie que nous menions au centre Los Rosales était un bouillon de culture parfait pour l’endoctrinement qui, peu à peu, nous transformait en d’authentiques fanatiques de l’Opus Dei : 1) séparation totale d’avec notre environnement ; 2) vie en groupe ; 3) ne pas disposer d’une minute de libre ; 4) avoir un emploi du temps organisé de telle sorte que le travail excessif, la vie de méditation et de mortification occupaient nos journées et nos nuits ; 5) l’Opus Dei et le Père (5) comme thèmes et buts. (…)

On nous expliqua avec un zèle particulier l’importance que revêtait le Catéchisme de l’Œuvre. Ce livre renfermait toute la doctrine de l’Opus Dei et le Père exigeait que tous les membres l’apprennent par cœur. C’était un document interne et, étant donné son importance, il ne fallait jamais en parler, ni le montrer, ni même évoquer son existence aux personnes étrangères à l’Œuvre. On nous informa également que, pour l’étudier, chacune de nous disposerait d’un exemplaire pendant une heure. (…) Pendant le cours de formation nous dûmes étudier le Catéchisme tous les jours. Le prêtre chargé de ce cours nous posait les questions auxquelles nous devions répondre. Aucune excuse ne pouvait justifier que nous ne sachions pas par cœur les réponses. Le Catéchisme contient toutes les questions éventuelles que des personnes étrangères à l’Œuvre pourraient nous poser, ainsi que les réponses exactes que nous devions donner, y compris à la hiérarchie de l’Église de Rome. Il allait de soi que nous ne devions jamais rien spéculer sur aucune des questions ou des réponses. (…)

Organisation interne de l’Opus Dei

En apprenant ce Catéchisme, nous découvrîmes beaucoup de choses que nous ignorions, dont les différentes catégories de membres, ou associés, qui existent dans l’Opus Dei :

Les numéraires, qui pratiquent le don total de soi à travers un engagement d’obéissance, de pauvreté et de chasteté ; parmi elles, celles qui occupent des postes de direction sont appelées les inscrites. C’est au sein des inscrites que le Père peut désigner les électrices, qui n’ont qu’un rôle consultatif lors de l’élection du président général, et qui sont nommées à vie. Autrement dit, quand le président général, ou prélat, est élu par un vote délibératif du Conseil général (gouvernement central des hommes de l’Opus Dei), ces derniers doivent tenir compte, lors du vote final, de l’opinion de la section des femmes.

L’Opus Dei compte aussi des numéraires servantes. Le Catéchisme disait textuellement : « Il existe d’autres numéraires qui se consacrent aux travaux manuels ou au service domestique dans les maisons de l’Œuvre : on les appelle des servantes. » Toutefois, en 1965, Mgr Escrivá remplaça le nom générique de servantes par celui de numéraires auxiliaires. Dans la vie ordinaire, au sein de l’Œuvre, on les appelle des auxiliaires. Leur mission consista dès le début à travailler comme servantes dans les maisons de l’Œuvre. En plus de leur travail, dont elles ne sont jamais dispensées, certaines consacrent une partie de leur temps à travailler dans des fermes que possède l’Opus Dei, à l’imprimerie de la maison centrale de Rome ou à une autre tâche manuelle.

Autre catégorie : les agrégées, dénommées oblates dans ce premier Catéchisme. En 1950 il n’y en avait pas une seule ; c’est après qu’elles commencèrent à arriver. Ces associées ont les mêmes engagements que les numéraires. Ce qui les différencie des numéraires, c’est qu’elles appartiennent à n’importe quelle classe sociale, et non pas seulement à l’élite, comme les numéraires. Les agrégées ne peuvent jamais habiter dans les maisons de l’Œuvre. Elles n’y sont autorisées que pour de courtes périodes, qui coïncident généralement avec les périodes de formation lors de retraites, de cours annuels, etc.

Les surnuméraires forment une autre catégorie d’associées. Quand j’entrai dans l’Œuvre, il n’y en avait aucune. Lorsque j’étais au centre d’études, j’avais des idées très floues sur ces membres. À plusieurs reprises, les supérieures nous dirent que, le moment venu, elles nous expliqueraient en quoi consistait leur rôle. Les surnuméraires peuvent être mariées ou célibataires et ont un engagement partiel avec l’Opus Dei, en accord avec leur état et leur condition sociale. Pour une surnuméraire mariée, l’engagement de chasteté consiste à avoir autant d’enfants que Dieu voudra, et c’est uniquement avec la permission spéciale de son confesseur qu’elle peut recourir à la contraception avec la méthode Ogino. L’obéissance des surnuméraires dans l’Opus Dei concerne leur vie spirituelle et, pour ce qui est de la pauvreté, elles doivent verser toute aumône à l’Opus Dei : elles versent mensuellement à l’institution, par l’intermédiaire de la personne qui reçoit leur entretien fraternel, ce que l’on appelle l’« apport », à savoir une somme comprenant une part fixe, l’aumône qu’elles donnaient habituellement à la paroisse ou à toute autre association caritative et qu’elles cesseront d’aider économiquement lorsqu’elles demanderont à être admises dans l’Opus Dei en tant que surnuméraires ; et une autre part, produit de leur générosité. Il est vrai que les surnuméraires ont toujours été et sont encore le ciment économique de l’Opus Dei.

Les coopératrices sont un groupe spécial de femmes qui, sans être membres de l’Opus Dei, servent avec leurs prières, leurs aumônes et, dans la mesure du possible, avec leur travail professionnel ou social, les desseins de la Prélature. Elles reçoivent des bénédictions de l’Église de Rome et constituent un groupe qui accueille en son sein aussi bien des catholiques que des non-catholiques ou des « catholiques écartées de l’Église », ainsi que des divorcées. C’est précisément sur ce point que l’Opus Dei s’appuie aujourd’hui pour dire que Mgr Escrivá et l’Œuvre avaient un esprit œcuménique bien avant le concile Vatican II. Or rien n’est plus éloigné de la réalité. La raison en fut essentiellement économique. On proposait à ces personnes, à travers une relation personnelle et individuelle, la possibilité d’aider socialement en collaborant avec des entreprises de l’Opus Dei. (…) En échange de quoi on leur offrait une série de biens spirituels, qu’elles y croient ou non. Dans des pays à majorité non catholique, c’était là une aide financière pour l’Opus Dei.

Jugement de Maria del Carmen sur sa période de formation

Le lavage de cerveau consiste précisément à montrer aux membres, surtout au début, que l’Œuvre est parfaite parce que c’est Dieu qui l’a créée, que tout ce que dit le Fondateur est également de nature divine, parce que tout lui est inspiré par Dieu lui-même. Cela nous était enseigné dès le départ pendant les cours de formation du centre d’études. Et, à l’instar d’un thème musical, la première note, lancée par le premier violon, le Père, était immédiatement reprise par les seconds violons, les supérieurs, et suivie par les instruments à cordes et à percussion, appelés entretien fraternel, cercles d’études, méditations, cours, retraites, exercices spirituels, correction fraternelle, etc.

L’endoctrinement que nous recevions ne nous permettait pas de réfléchir pour nous faire notre propre opinion. Notre réaction devait par conséquent consister à rejeter violemment toute pensée critique comme un manque d’unité et de « bon esprit », et à la signaler dans l’entretien fraternel comme un point négatif de notre vie spirituelle.

Si les paroles de Mgr Escrivá frappent, c’est parce qu’il ne se réfère ni à l’Église ni à la chrétienté, mais à l’Œuvre : « Aimer l’unité de l’Œuvre suppose de sentir que l’on fait partie de ce corps là où on nous l’indiquera. Il nous est égal d’être une main ou un pied, une langue ou un cœur, parce que nous sommes tous dans toutes les parties de ce corps, parce que nous ne sommes qu’une seule chose par la charité du Christ qui nous unit. Je voudrais que vous vous sentiez comme les membres d’un seul corps. Unum corpus multi sumus [I Cor, 10, 17]. Tous, une seule chose et que cela se manifeste dans une unité de vues, dans une unité d’apostolat, dans une unité de sacrifice, dans une unité de cœurs, dans la charité avec laquelle nous nous traitons, dans le sourire devant la Croix et sur la Croix. Sentir, vibrer tous à l’unisson ! » (6) Dans ce chapitre il est également clair que l’unité est l’une des trois passions dominantes qu’un membre de l’Opus Dei doit avoir. Il est évident pour moi que l’un des moyens à travers lequel l’Opus Dei conduit ses membres vers le fanatisme consiste précisément, sous prétexte de formation, à abolir de leur esprit tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à la critique la plus voilée de l’institution.

Est-ce à dire que nous qui entrâmes dans l’Opus Dei étions toutes sottes ou si ingénues qu’on nous manipulait comme des marionnettes ? Non ! Nous entrâmes simplement dans l’Œuvre dans l’intention la plus droite d’accomplir la volonté de Dieu. Nous étions candides et croyions foncièrement que les supérieurs incarnaient la voix de Dieu. Nous étions pleines de bonnes intentions et convaincues que, pour vivre cette laïcité comme une forme nouvelle d’apostolat intellectuel, nous devions nous abandonner entre les mains de Dieu, en tenant pour acquis que toute cette doctrine procédait aussi de Dieu et en considérant que si certaines choses nous choquaient, cela était dû à notre ignorance spirituelle en matière de sainteté.

Que resta-t-il de ma façon d’être, optimiste, décidée, indépendante ? De cette jeune fille qui voulait conquérir le monde et qui jetait son bonnet par-dessus les moulins ? Il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais vraiment pas, mais on prenait les devants en me répétant que je devais demander à Dieu de me concéder le « bon esprit » que prêchait le Père, et l’on me rappelait la maxime 68421 de Chemin. Intérieurement, je pensais que je devais déposer mes valeurs aux pieds du Christ, et que mon sacrifice, pour la communion des saints, irait au profit de tous les besoins existant dans l’Église. Je ne perdis ni mon optimisme ni ma gaieté, mais j’appris à survivre dans une atmosphère qui, comme on nous l’assurait, n’était pas habituelle dans les maisons de l’Opus Dei.

Pour moi, vivre entourée de plus de vingt femmes m’était insupportable. Je n’ai jamais eu l’esprit grégaire. Lors de la confidence (7), on m’assurait que le centre d’études n’était qu’une étape de formation intérieure visant à adapter notre âme à l’esprit de l’Opus Dei et que, plus j’assumerais fidèlement la doctrine, plus je serais heureuse et plus mon apostolat serait efficace. On me demandait de faire intérieurement la différence entre l’esprit de l’Opus Dei et mon environnement immédiat. Voilà pourquoi je décidai d’assimiler de mon mieux toute la doctrine.

Mes supérieures se montrèrent très intelligentes : elles m’endoctrinèrent merveilleusement bien en obtenant que j’abdique ma volonté devant la soi-disant volonté de Dieu et en utilisant mon esprit religieux sincère comme un terrain fertile pour semer la doctrine de l’Opus Dei. Et elles y parvinrent : elles firent de moi une fanatique parfaite.

Maria del Carmen Tapia

1- Les numéraires pratiquent le don total de soi à travers un engagement d’obéissance, de pauvreté et de chasteté. / Retour au texte
2- Mgr José María Escrivá de Balaguer, fondateur de l’Opus Dei, mourut à Rome, le 28 juin 1975. Il fut béatifié par Jean-Paul II à Rome, le 17 mai 1992, et canonisé également par Jean-Paul II à Rome, le 26 octobre 2002. / Retour au texte
3- La « formatrice » de Maria del Carmen. / Retour au texte
4- « Le Père » signifie ici Mgr Escriva, fondateur de l’Opus Dei. / Retour au texte
5- Cuadernos-3. / Retour au texte
6- Josemaría Escrivá, Camino, Valencia, Gráficas Turia, 1re édition, 1939. Cette première édition fut publiée sans le nihil obstat requis par la curie espagnole. Elle porte néanmoins l’imprimatur de A. Rodilla, vicaire général. / Retour au texte
7- Entretien régulier avec une personne de l’Opus Dei que l’on ne choisit pas et à qui il faut tout dire sous peine d’être sanctionné pour mauvais esprit. Ces confidences obligatoires demeurent toute la vie. / Retour au texte